Ces valeurs ou traditions constituent, malgré l’ouverture des jeunes soninké à la « modernité », le ciment maintenant les bases qui fondent l’héritage des Soninké dans un monde où tous les peuples, toutes les civilisations et toutes les cultures, sans exception, se cherchent une voie dans un univers où toutes les identités semblent être menacées par une mondialisation inquiétante qui remet en cause les particularités culturelles, artistiques et linguistiques. L’une des illustrations les plus parfaites de ces traditions en milieu soninké est le kallengorahu.
Même si cette tradition vielle de plusieurs siècles est en passe d’être enterrée par les jeunes générations, sans doute influencées par le contact de la civilisation occidentale par le biais de l’école ou de l’immigration, force est de constater, de fait, que dans la communauté soninké de la Mauritanie, du Mali, du Sénégal, de la Gambie…, le kallengorahu, qui est parfois traduit par le terme cousinage, joue un rôle on ne peut plus important dans les relations sociales.
Dans la société soninké où la pudeur est l’une des règles avec lesquelles on ne badine jamais, certaines paroles ne peuvent être dites que dans le cadre du kallengorahu. Car, dans ce domaine, il n’y a plus de tabou. Tous les propos sont les bienvenus.
Le kallengorahu est, en d’autres termes, une sorte de cercle regroupant des cousins et des cousines issus d’une même famille. Mais, dans la plupart des cas, ce cercle peut être élargi à d’autres membres de la communauté. Ainsi le kallengorahu peut exister, au-delà des cousins et cousines, entre :
1. Deux générations : dans ce cas de figure, le kallengorahu consiste à tisser une relation à plaisanterie entre les grands parents et les petits enfants. Dans une société soninké traditionnelle où le respect des anciens est strict, il est parfois choquant, pour celui qui ne connaît pas l’existence de ce kallengorahu générationnel, de voir les petits enfants et les vieux s’échanger certaines paroles qui sont parfois contraires aux règles de la bienséance en milieu soninké traditionnelle ;
2. Entre castes : dans la société traditionnelle soninké, il n’est pas rare de voir des personnes de castes différentes d’échanger des paroles qui, si elles n’étaient pas dites dans le cadre de kallengorahu, pourraient provoquer une altération pouvant tourner au drame. C’est le cas par exemple entre la caste des forgerons (tago, sing tage) et celle des griots (geseru, sing. Gesere).
Cette tradition de kallengorahu en milieu soninké est considérée comme une sorte de pacte qui accorde une liberté totale aux kallengoro (parents à plaisanterie) de se dire, sans aucune forme de restriction.