Mokobé est, avec Rim’K et AP, l’un des trois gaillards du groupe de rap du 113, fondé en 1994. Né en 1976 à Saint-Maurice (Val-de-Marne), de parents maliens (avec ascendants sénégalais pour son père et mauritaniens pour sa mère), le rappeur francilien a affirmé son retour vers l’Afrique en sortant en 2007 Mon Afrique, un album dansant, marqué par les rythmes, l’humour, la critique caustique communs à l’Afrique occidentale. Quatre ans ont passé, ponctués par un disque du 113 en 2010, Universel, où ce groupe, parmi les plus respectés de la scène rap française, prenait un virage Dance. Mokobé a publié Africa Forever à la mi-novembre (Sony Music), qui se prolonge par le Oulala Tour – du titre d’une chanson – à travers cette France « des renois, des rebeux, des reblancs ». Armoire à glace en blouson noir, « Moko » porte un tee-shirt où est imprimée sa devise : « Les jaloux vont maigrir. » Nous voilà prévenus. « Le rap est la musique la plus écoutée par les enfants, alors forcément, ça dérange. Remarquez, déranger, ça veut dire exister », dit le gars du 9-4 en mangeant une omelette-frites.
La jalousie vous fait peur ?
Ça fait mal, je l’ai senti en 2000, quand le 113 a gagné aux Victoires de la Musique (révélation de l’année), j’ai vu les têtes ! Pourtant le rap est aussi bien écrit que les chansons françaises, il utilise des métaphores, il peut être réaliste, Brassens aurait aimé. Dans le milieu du rap, il y a des envieux, et d’ailleurs, trop de rappeurs se contentent de crier derrière le micro sans jamais être sur le terrain, alors qu’il est inacceptable que des familles dorment dehors.
Il paraît que vous twittez beaucoup, que vous êtes un champion des SMS d’alerte ?
Oui, quand j’apprends quelque chose, j’informe. Par exemple, quand la police a détruit les campements des expulsés de La Courneuve (le 7 novembre), juste avant la date de la trêve hivernale… J’ai prévenu, j’y suis allé à La Courneuve… On a apporté des denrées alimentaires, JoeyStarr y est allé, Sexion d’Assaut aussi, d’autres pas, malheureusement. Cet été, on a expédié 200 tonnes de vivres pour la Somalie depuis Villiers-sur-Marne, avec l’association Diasma (diaspora malienne). Dans ce cas-là, je me sens patriote, et ma participation à ce genre d’actions m’a valu d’être très bien reçu en Afrique, où j’ai donné beaucoup de concerts après Mon Afrique, sur lequel étaient venus chanter Salif Keita, Youssou N’Dour, ou Booba.
En 2009, vous avez été fait chevalier de l’Ordre national du Mali.
Cette décoration a soulagé le coeur de mes parents. Je suis soninké, de la caste des nobles, pas de celle des griots, qui sont les seuls à avoir le droit de chanter. Mon père était agent de maîtrise aux éditions Nathan, et ma mère faisait le plus beau métier du monde, mère au foyer (rires). Le Mali d’ATT (Amadou Toumani Touré, président de la République) n’est pas un pays dangereux, même si, au nord, il sert de base de repli aux kidnappeurs du Niger et de Mauritanie. Tombouctou, le pays dogon sont splendides. Cela étant, l’Afrique est pillée. L’histoire des valises pleines de billets rapportées vers la France m’a fait rire et m’a dégoûté à la fois. Les politiciens se sont gavés, français et africains. Derrière les murs de Ben Ali, en Tunisie, on a trouvé des caisses de lingots, des milliers de paires de chaussures ! Les vrais voyous sont en costard.
Vous aussi, vous êtes en costard, très classe, dans un clip où vous reprenez Frank Sinatra.
Je ne connaissais pas du tout Sinatra, j’ai découvert une nuit par hasard sur YouTube Fly Me to the Moon. Au premier mot qui sort de sa bouche, on entend les applaudissements !
J’aime bien être chic, c’est une revanche sur la vie. Pauvre, on peut porter de beaux costumes, les sapeurs congolais l’ont montré, et c’était déjà vrai à Harlem. Mais pour retrouver sa fierté, il vaut mieux savoir d’où l’on vient. Connaître son histoire pour savoir se situer, s’en servir comme d’un bouclier. Quand Seydou Keita joue au FC Barcelone, c’est une fierté. Je suis attaché au Mali, mais je suis tunisien, je suis algérien comme Zizou ou Karim Benzema. Nous sommes tous des immigrés, il n’y a que le lieu de naissance qui change.
En dehors de ça, Lucy est mon ancêtre, tout comme celle de Marine Le Pen. Quand je pense que lorsque Ségolène Royal a porté un boubou bleu au Sénégal en 2009, un élu (l’UMP parisien, Alain Destrem) a osé dire : « Cela me rappelle ma femme de ménage ! » Si je suis fier, je twitte aussi, je dis qu’il faut aller voir Omar Sy, un ami, un Sénégalais, dans Intouchables.
Est-il vrai que vous avez été twitté par Laurence Parisot, la présidente du Medef ?
Oui (il sort son smartphone) : « J’ai eu le plaisir de rencontrer ce soir Mokobé. Oulala, il est formidable. » Moi, si j’emmenais Laurence Parisot en Afrique, je lui montrerai un continent qui bouge. Pas les clichés.
« Africa Forever » est un album festif, électronique, appuyé par des voix connues, comme celle de la Malienne Oumou Sangaré, ou par des rappeurs d’ici, comme Soprano. Il ne se prive pas d’écorner les stéréotypes africains. Qui est 50 CFA ?
C’est la conversion en CFA de 50 Cent, figure du hip-hop new-yorkais, du bling-bling. 50 CFA a des dents de devant en moins, mais il en rajoute, plus américain que les Américains, alors que c’est juste un blédard. Il existe pour de vrai, vous pouvez le croiser à Châtelet-Les Halles.
Propos recueillis par Véronique Mortaigne ,le monde.fr