Hommage à Ousmane Moussa Diagana

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Lorsque le professeur disparaît brusquement, l’étudiant, le neveu et l’ami s’émeut
Hommage bien mérité au regretté dit Dembo

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Le jeudi 09 Août 2001, à l’aube, Ousmane Moussa Diagana (1951-2001), l’éminent linguiste, poète et littéraire mauritanien, formé aux rudes épreuves des prestigieuses Universités Mohamed V et de la Sorbonne, plie l’échine devant le destin, en rendant paisiblement son âme candide et pure. Dembo (un surnom du professeur-poéte, qui signifie le troisième fils en langue ) valait, sans complaisance aucune, son pesant d’or et de social.

Le regretté Professeur a été, sa vie durant, un homme de grande envergure, modeste, d’une probité morale incontestable et incontestée. Il était doué d’une capacité d’écoute et d’analyse extraordinaire qui lui permettait de démêler promptement et avec une extrême minutie le bon gain de l’ivraie. Une lecture, même en diagonale, de sa gigantesque et inépuisable œuvre ne me démentira guère.

Bien qu’il fût linguiste de formation, Dembo, avide du bien immortel qu’est la science plurivoque, avait un fort intérêt pour toutes les autres disciplines connexes ou annexes à son domaine de compétence. Le puits de la science que fut l’homme était au carrefour de plusieurs cultures. Il intervenait avec la même passion bienveillante, le même intérêt, la même inspiration et la même précaution scientifique aussi bien dans les débats littéraires, historiques, sociologiques qu’anthropologiques ou ethnologiques. L’homme qui s’en est allé sans crier gare était un érudit au sens obvie du mot. En plus de sa maîtrise parfaite da sa langue maternelle, il maniait à sa guise la belle langue de Molière comme un Senghor, un Hampâté Bâ ou comme le vent manie naturellement la poussière dans ses randonnées interminables. C’est ainsi que sa disparition donna, osons le dire, une image lugubre au monde, à la langue et à la culture soninkés. Tout un pan de cette merveilleuse culture s’écroule, toute une avalanche de zones d’ombres qui commençaient à s’éclaircir et à se fixer par sa lumière dans les esprits risqueraient de se rebeller de nouveau, si la relève n’est pas bien assurée. C’est donc peu de dire que nous avons du pain sur la planche.

Imbu de son africanité, de sa mauritanité et de son identité soninkée, l’homme merveilleux qu’était Dembo N’diabou Halima n’a jamais renié ses origines, n’a jamais été un iconoclaste. Il se complaisait parfaitement dans l’ambiance et dans le microcosme soninkés. Cérémonies nuptiales (ñaxa), impositions des prénoms (siyiindu), circoncisions (roye yugaaxu), fêtes religieuses étaient ses moments favoris. Il en tirait un plaisir inouï. C’est un humaniste convaincu, un intellectuel averti, une espèce humaine rare, un défenseur acharné de la tradition orale quelle que soit sa provenance, un pédagogue multidimensionnel, un chercheur chevronné, un monument bien ficelé, une bibliothèque riche en joyaux, un travailleur de bonne moralité et infatigable qui s’en va en la personne de Dembo Moussa Dieydi Diagana, ce fils de Gattaga, l’un des vieux quartiers de Kayhayde (Kaédi). Sa modestie en face des choses mondaines était telle qu’il s’écartait honnêtement de tout chantier pouvant le basculer dans l’exhibitionnisme. L’homme avait toujours préféré l’incognito en dépit de sa renommée sans cesse grandissante. Bon musulman, il était pieux, honnête et taciturne. Le silence était son arme et son vade-mecum en tout temps et en tout lieu. Les circonstances de sa disparition -une très courte maladie- apportent d’ailleurs de l’eau à mon moulin.

Je pense encore à l’homme, au vrai soninké, imposant par sa taille et sa science, dans ses grands boubous teints en bleu, en gris ou en marron, empruntant quotidiennement son trajet kantien pour aller récupérer ses courriers à la poste et se procurer des journaux. Je pense encore à l’homme qui, à la tombée de la nuit, après la prière du futuro (al makhrib), tenait compagnie à ses deux bouts de bois de Dieu, dans les parages de la mosquée saoudienne, à Nouakchott. Il avait une affection incommensurable pour Moussa et Daouda. C’était trop beau pour que cela puisse durer longtemps. L’érudition, l’humanisme, la modestie, la bonhomie font rarement bon ménage avec la longévité. C’est ce qui est arrivé à notre oncle, ami, cousin, maître et père, à feu Dembo, paix à son âme.

Adulé par les uns et estimé par les autres, Dembo n’était pourtant pas apprécié à sa juste valeur. Pourquoi une telle incongruité, une telle antinomie ? La réponse n’a évidemment plus de valeur. Ce qui prévaut actuellement, c’est de prier pour le repos de l’âme du sage défunt et d’éviter désormais de manifester des réticences à l’égard des hommes et des femmes de telles trempes. Ne les laissons plus jusqu’à leur extinction pour faire d’eux des anges, quand bien même nous savons, selon la boutade soninkée fort répandue (Soninke ni galãbe anta naayene i ma wure ma wandi saaxe) et signifiant littéralement, que  » Le Soninké est comme le galãbe (arbre textile); il ne veut pas courber l’échine sous le poids de sa propre mère, mais sous celui d’autrui « . Autrement dit, le soninké accepte de meilleure grâce l’obéissance à un étranger plutôt qu’à quelqu’un des siens. Faisons alors notre autocritique, pour que de telles surprises ne nous arrivent plus, car la mort, cette loi inévitable, ce destin malin, n’attend pas.

Je me dois de noter, après avoir présenté mes condoléances à la grande famille internationale, mauritanienne, kaédienne et à tout le monde soninké, qu’il ne s’agit nullement ici d’un texte panégyrique. C’est un hommage bien mérité que je rends à celui qui fut mon ami, à celui qui m’ouvrait nuits et jours la porte de son foyer pour me prodiguer des sages orientations scientifiques et des conseils de qualité, à celui qui consacra presque tous ses travaux académiques et de recherches à la langue et à la culture soninkées. Rendre un hommage au professeur Ousmane Moussa Diagana sur un site consacré à la culture et à la langue soninkée est une chose somme toute normale, tant il fut un des grands défenseurs de cette culture, de cette langue.

En réalité, nous sommes à Allah et c’est à Lui que nous retournons !

 » Ô âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée ; entre donc parmi Mes serviteurs, et entre dans Mon paradis « , Coran, Sourate 89 (l’Aube), versets : 27, 28, 29 et 30.

Qu’Allah, dans son incommensurable bonté, applique ces versets au cas du regretté Ousmane Moussa Diagana
Que le Sable rouge de Nouakchott lui soit léger !

Pour mieux connaître l’homme, ne serait-ce qu’à titre posthume, je vous invite à lire, entre autres :

DIAGANA Ousmane Moussa., Interférences phoniques, lexicales et syntaxiques entre l’arabe et le soninké, Mémoire de licence, Université  Mohamed V, Faculté des Lettres  et des Sciences Humaines, Rabat, 1976-1977, 111 p et 28 p de corpus.

DIAGANA Ousmane Moussa.,  » Interférences lexicales entre l’arabe et le français « , Traces N 4, Rabat, 1984, pp.59-80.

DIAGANA Ousmane Moussa., Approche phonologique et morphologique du parler soninké de Kaédi (Mauritanie), Thèse de 3ème cycle, Paris V, 1980, 668 p.

DIAGANA Ousmane Moussa., Le parler soninké de Kaédi (Mauritanie) syntaxe et sens, Thèse de doctorat d’Etat, Paris V, 1984, 1025 p.

DIAGANA Ousmane Moussa., Chants traditionnels du pays soninké (Mauritanie, Mali, Sénégal), Paris, Harmattan, 1990, 268 p.

DIAGANA Ousmane Moussa., La langue soninkée. Morphosyntaxe et sens, Paris, L’Harmattan, 1995, 530 p.

DIAGANA Ousmane Moussa., «  Islam et expressions littéraires  en milieu soninké et pulaar « , Notre librairie, N 120-121, 1995, pp. 164-171.

Photo : Crédits à :  DIAGANA Ousmane Moussa., Chants traditionnels du pays soninké (Mauritanie, Mali, Sénégal), Paris, Harmattan, 1990, 268 p.

Posté   le 10 Aug 2008   par   Madibiramu

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