Lorsque l’on regarde de l’extérieur ou même de l’intérieur les pays dits francophones de l’Afrique noire, depuis le Sénégal jusqu’au Zaïre en passant par le Sahel et la Côte Atlantique, on peut avoir l’impression que ces nouvelles nations vivent une harmonie linguistique d’autant plus étonnante que la multiplicité des langues locales est extrêmement déroutante pour le visiteur étranger. Même si de réels problèmes de communication se posent entre les divers groupes linguistiques à l’intérieur de la plupart de ces pays, les grandes querelles de langues telles qu’on les vit en Belgique ou ici au Canada ne sont guère à l’avant-scène de l’actualité sociale et politique.
Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ? Car bon nombre de ces pays africains ont eu ou ont encore comme présidents des personnages connus mondialement comme Hamani Diori, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, tous des produits on ne peut plus purs de la culture française. Qu’on le veuille ou non, leur action politique, leur rayonnement international, bref la vision qu’ils ont projetée ou qu’ils projettent de l’avenir semble indiquer qu’une « francisation » sans cesse accrue des anciennes colonies françaises de l’Afrique noire est une [PAGE 48] condition indispensable pour permettre à ces peuples d’accéder à l’« Humanisme intégral » ou à la « civilisation de l’universel » pour reprendre des termes chers à Senghor.
Un rappel historique
En colonisant le vaste continent nord-américain, les Européens y ont implanté leur langue et leur culture avec d’autant plus de naturel qu’il s’agissait d’une terre presque vierge. Excluant toute coexistence avec les Amérindiens, les nouveaux arrivants les repoussent ou les exterminent. En tout état de cause, l’Amérique était, pour la plupart des Européens qui s’y installaient, une terre d’immigration permanente, une nouvelle patrie; tandis que les ressources humaines et matérielles de l’Afrique noire française devaient être exploitées, non pas pour le développement social et économique des colonies, mais pour procurer plus de bien-être aux habitants de la métropole.
Pourtant, l’Afrique indépendante a tout de même hérité des langues européennes qui sont devenues nos langues officielles. Par langues officielles, il faut entendre langue de l’enseignement, de l’administration et des mass media. A telle enseigne qu’il est devenu courant et normal d’entendre parler de l’Afrique anglophone, lusophone et francophone de la même manière qu’on parle d’un Québec francophone ou d’un Canada anglophone.
Soit dit en passant, des ethnies qui avaient et ont encore une langue africaine commune se retrouvent souvent, suite à la division arbitraire du continent, dans des pays différents avec des langues officielles différentes. C’est ainsi qu’on trouvera des Yoruba de part et d’autre de la frontière entre le Nigéria « anglophone » et le Bénin « francophone ». Il en va ainsi des ethnies frontalières entre le Togo « francophone » et le Ghana « anglophone », entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, etc. Alors qu’on imaginerait difficilement des organismes inter-états voués à la sauvegarde du patrimoine des groupes linguistiques ainsi morcelés, plusieurs blocs régionaux se sont constitués en Afrique sur la base exclusive de l’héritage linguistique colonial. Citons le cas de l’UAM (Union Africaine et Malgache), de son successeur l’OCAM (Organisation commune africaine et Mauricienne), des Sommets franco-africains ou même du Commonwealth et de l’Agence de coopération culturelle et technique qui regroupent bon nombre de pays africains. [PAGE 49]
Mais revenons à l’histoire. La philosophie linguistique des conquérants, dès leur arrivée sur les Côtes africaines, était claire. Pierre Alexandre, professeur à l’Ecole des langues orientales, note :
« Une seule langue est enseignée dans les écoles, admise dans les tribunaux, utilisée dans l’administration : le français, tel que défini par les avis de l’Académie et les décrets du ministre de l’Instruction publique. Toutes les autres langues ne sont que folkore, tutu panpan, obscurantisme, biniou et bourrée, et ferments de désintégration de la République. Tel était du moins le principe, qui trouva son expression définitive avec les décrets des années 30, interdisant l’emploi dans l’enseignement, même privé, de toute langue autre que le français (sauf pour le catéchisme et l’instruction religieuse, matières dépourvues de sanction officielle).1
On a abondamment écrit sur les raisons qui sous-tendaient une prise de position aussi absolue. Rappelons brièvement qu’en plus des avantages pratiques évidents pour le colonisateur – après tout, pourquoi le conquérant se plongerait-il dans les traquenards linguistiques du conquis – le Français se croyait porteur d’une civilisation étalon. C’est donc avec beaucoup de générosité qu’il nous offrait sa langue, la langue par excellence et, écrit encore Pierre Alexandre, « ce qui existait de mieux, en matière de culture, dans l’humanité tout entière. En fait, la Culture. »2
En dépit d’une diffusion fort parcimonieuse de cette langue et de cette culture – nous y reviendrons – une telle idéologie provoquera, néanmoins, de profonds bouleversements sociaux et psychologiques dans les sociétés africaines.
Par Ambroise KOM
Annotations
1. Pierre Alexandre, Langues et language en Afrique noire, Paris, Payot, 1967, pp. 111-112.
2. [2] Ibid., p. 119.
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