L’édition 2008 du célèbre dictionnaire français « Le Petit Robert », cite Aimé Césaire l’inventeur de la Négritude pour préciser la définition de la colonisation, une innovation dont on n’entend pas beaucoup parler, et pour cause. Désormais le mot colonisation qui était lénifié voir positivé en termes châtiés « mise en valeur, exploitation de pays devenus colonies », ou pour coloniser « coloniser un pays pour le mettre en valeur, en exploiter les richesses », est passé par le correcteur de la plume césairienne. Ce qui change tout. En son contraire !
En rajoutant la citation d’Aimé Césaire tirée de son Discours sur le colonialisme : « colonisation=chosification », la lente dérive sémantique et colonostalgique qui depuis des années tente de noyer la réalité coloniale dans des fables brumeuses et honteuses en prend un coup. Les anéantissements, les radiations humaines, viols et vols, crimes au quotidien disparaissaient d’un coup de crayon avec ces formulations émasculées. Il semble bien que le Cran, groupuscule opportuniste et peu doué de Noirs autoproclamés représentatifs des mélanodermes de France, soit à l’origine de cette modification, ce qui, pour une fois n’est pas à son débit dans un fier bilan de banqueroute frauduleuse.
L’enjeu est l’action sur les mentalités, sur les représentations, loin de la quête maladive d’une reconnaissance du Blanc ou de toute autre attitude triomphaliste. La mentalité coloniale se nourrit de tous les interstices, tous les aspects anodins de la vie qui continuent d’alimenter à profusion l’imaginaire de hiérarchie des races, lequel interdit que le supérieur ait pu se tromper entièrement, en crimes et en génocides vis-à-vis de l’ontologiquement perdu, damné.
Dès 2003, dans un article intitulé Discours sur le colonialisme de Aimé Césaire : littérature de libération sans concession, Afrikara avait déjà pointé du doigt la puissance de feu des écrits de Césaire, le Nègre fondamental, avant une série de relectures puis un cinquantenaire de l’ouvrage Discours sur le colonialisme. Grande fut notre surprise de voir dès 2006 -nous n’y sommes pour rien, promis craché- la demeure du vieux sage et du poète immortel devenir le passage obligé de tous les élus et toutes les autorités métropolitaines en visite en Martinique, soi-disant pour saluer son œuvre. Discours sur le colonialisme en particulier. Un demi siècle d’oubli et de rejet plus tard.
Si on revenait sur la définition de la colonisation d’avant la correction Césaire, « mise en valeur », « exploitation des richesses » évoquent naturellement des actions positives, de création de richesses. Ces expressions, dans leur non-dit laissent supposer allègrement que les ressources n’étaient pas mises en valeur avant l’arrivée du providentiel blanc, sous-entendu qui se pose en jugement de valeur dépréciatif sur les populations indigènes. Ce n’est pas un simple mot qui a été rajouté, en intégrant Césaire c’est un univers mental, une vision du monde d’appropriation, de captation et de prédation qui a été soufflée. Gardons-nous tout de même de trop jouer de cette corde. Il ne s’agit que de la décolonisation d’un terme, certes important, mais parmi des milliers d’autres attitudes verbales, non verbales, habitus, et rigidités matérielles et opérationnelles. Merci encore au Nègre fondamental.