Mamadou SOUMARÉ (Doctorant en éthnologie)
L’objectif de cette étude n’est pas d’aborder de manière exhaustive l’histoire des Soninké, car nombre d’anthropologues, d’historiens, ont déjà fait des recherches sur cette question. L’intérêt de rappeler avec brièveté cette légende, est d’éclairer la signification de l’émigration pour les Soninké. En effet, dans l’évocation du mythe fondateur du Wagadu (Ghana), deux thèmes saisissants apparaissent : la dispersion et le voyage (pérégrination de Di a, le père, puis son fils, Diabe, à la recherche d’une terre habitable).
Il semble que la rupture de la convention avec le serpent « bida », génie tutélaire, soit à l’origine des désastres qui ont précipité la chute du pays. Mais cette explication de l’éclatement de l’empire du Wagadu, ne convainc pas toutes les têtes pensantes de l’histoire des Soninké. Selon d’autres sources, rapportées par les chroniques d’Al Bakri, d’Al Zhuri et d’Al Idrissi, l’empire connut entre le XIe et XIIe siècles des conflits d’autorité. A cela s’ajoute selon Abdoulaye Bathily, l’insuffisance des ressources agricoles, qui ne permettaient plus de « supporter le poids d’une population dense à l’époque, à cause de l’afflux que le développement du commerce avait provoqué »(1) Toujours, selon le même auteur, l’éparpillement des gens du Wagadu s’est déroulé de manière soudaine dans la légende, mais si on l’analyse dans une perspective historique, c’est au contraire un processus « de longue durée » Il poursuit en affirmant que « c’est, nous semble-t-il, la légende qui, usant du symbolisme, lui a donné une attitude dramatique » (2).
Avant l’installation de Dyabe, fils de Di a, au lieu-dit Kumbi devenu capitale du Wagadu, il fut informé par l’oracle (hyène et vautour) des conditions à remplir pour jouir de la propriété de l’endroit. Elles supposaient d’accepter d’offrir à l’animal mythique une vierge tous les ans, en contrepartie de quoi il assurerait la prospérité aux gens du Wagadu, en leur distribuant de l’or.
Cette tradition séculaire fut respectée, semble-t-il, par les habitants du pays jusqu’au jour où le tour de sacrifier la promise de Mamedi, « le taciturne » (safan xotte), arriva. Celui-ci farouchement opposé au sacrifice de Asya (nom de sa compagne) prit la décision de passer outre à cette loi quitte à créer le Mal.
Le jour tant attendu, Mamedi mit à exécution son forfait en tuant le génie tutélaire avant qu’il ne s’empare de sa proie. Celui-ci proféra la malédiction suivante : « ma mort sera la cause de toutes les calamités que vous n’avez pas connues tant que vous m’avez respecté. A partir d’aujourd’hui, pendant sept ans, sept mois et sept jours, il ne tombera pas d’eau dans le Wagadu et vous ne trouverez plus une paillette d’or. » (3).
Dans les lignes qui précédent, nous avons essayé d’exposer les points de vue divergents sur les raisons qui ont conduit à la disgrâce de ce grand ensemble soninké. Le déclin politique de l’empire, serait-il à l’origine de la conquête du Ghana par les Almoravides en 1076 ? De toute évidence, cette date consacre la fin définitive de l’empire du Ghana créé dès le VIIe siècle. Il semble que celui-ci, à une certaine époque, avait obtenu l’hégémonie sur d’autres territoires. C’est ainsi qu’il avait étendu son contrôle sur d’autres peuples comme les berbères de Sanhjas et les Tekrur. Avec l’annexion de l’empire par les Almoravides, l’islam va faire son entrée dans la cour royale. Cette islamisation des habitants du Ghana, suscite des réserves chez certains chercheurs tel que A. Bathily, selon lequel « déduire de ce passage que le Ghana a été détruit par les Almoravides et sa population forcée d’embrasser l’islam, relève de la spéculation ». Dès lors, l’empire étant agonisant, la dispersion des Soninké devint irrémédiable.
Mais selon le témoignage d’un gesere (littér. « traditionaliste »), l’éparpillement des Soninké à travers différentes régions de peuplement (Gidimaxa, Jahunu, Tiringa, Gajaaga, Jomboxu, Gidime) fait suite au refus par certains du dédommagement proposé par la mère de Mamedi, pour les sept ans durant lesquels le génie tutélaire avait prédit aux habitants du Wagadu des lendemains difficiles. D’autres avancent des facteurs climatiques qui auraient contribué à cette dispersion. Certes le mythe fondateur n’élucide en rien la question de l’émigration des Soninké. Cependant, il sert de « support identificatoire » (4). En effet, les jaaru (griots et ménétriers) et les geseru (traditionalistes) s’appuient sur son contenu pour élargir leur auditoire et demander des cadeaux à tous les Soninké d’où qu’ils soient.
Bibliographie
- Idem., op. cit., p.158.
- POLLET Eric, la société soninké du Dyahunu, Bruxelles, Ed. l’Université de Bruxelles, 1971, op. cit, p.25.
- YATERA Samba, La Mauritanie : Immigration et développement dans la vallée du fleuve Sénégal, Paris, L’harmattan, 1996, op. cit., p.19.