Mauritanie: Liens entre Poulars et Maures

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Les pays maures étaient divisés en Emirats indépendants avec pour chefs les Emirs, tandis que le Fuuta était divisé en provinces (autonomes sur certains points en ce sens que chacune était dirigée par un chef de province ayant sous son autorité des chefs de villages) sous l’autorité suprême d’un seul chef appelé Satigi sous les dynastes peuls dénianké et Almami sous les Toorodo ou les lettrés musulmans.

Ces derniers, du fait de leur islamisation ancienne ou peut-être par simple complexe, se rattachent presque tous aux arabes. En guise d’exemples : nous avons les Ly qui se disent descendants d’un nommé Faddallah, les Touré de Hamet Habiballah (Hamet étant la déformation de Mohamed), les Kane de Hamet Diouldo Kane (diouldo signifiant musulman), les Bâ, Bari, Diallo de Brahim Malik Madaniyou etc. Quelle est la part de vérité dans ces affirmations ? Qu’en est-il en réalité ?

Cheikh Moussa Kamara pense que c’est pour se donner du prestige que les marabouts Haal-Pulaar cherchent à se rattacher aux Arabes mais, qu’en réalité, tous ces Toorode sont des Peuls d’origine. Cette attitude peut se comprendre par le fait que l’islam a pour origine l’Arabie et que les conquérants musulmans en s’installant dans la sous-région ont dû, indéniablement, laissé des traces, humaines (de la progéniture), des reliques culturelles, des noms et prénoms arabes etc. Les chroniques du Waalo ne parlent-elles pas, comme cité plus haut, de l’union entre le conquérant Almoravide Aboubakr Ibn Oumar et une femme Tooroodo Fatimata Sall ? Mais paradoxalement, l’enfant né de cette union deviendra Wolof.

Les maures, population descendant des Arabes Beni Hasan et des tribus nomades autochtones vivant dans le désert du Sahara, vont établir des relations multiples avec leur voisin du sud, le Fuuta. Des relations commerciales basées sur des échanges entre les céréales produites dans la vallée et les diverses productions maures (la gomme, le sel, les dattes etc.); des relations politiques (basculant entre vassalité et égalité selon les périodes et suivant les témoignages); mais aussi relations matrimoniales pouvant revêtir plusieurs caractères.

Ce sont ces derniers types de relations qui temporisent tant soit peu les périodes de tensions, surtout quand le mariage contracté à un caractère politique. Dans la mémoire collective Fuutanke, c’est l’insécurité liée aux razzias maures contre les populations noires de la vallée, qui a conduit et même forcé celles-ci à traverser le fleuve pour se réfugier sur la vie gauche. Cela est illustré par un dicton populaire Pulaar qui dit : « Maa rewo ronkaa no worgo hodaa », en français, il a fallu des empêchements au Nord, pour se résoudre à habiter au Sud.

Sous la dynastie Deeniyanke, l’insécurité liée aux razzias maures, ajoutée à l’instabilité consécutive aux rivalités politiques avaient abouti à la faiblesse du régime peul qui s’est soumis, pour survivre, au protectorat maure lequel exige de lui le paiement d’un tribut communément connu sous le nom de Moudo Horma, afin d’assurer son soutien ou sa protection. C’est dans ce climat de défaite qu’est intervenu le mouvement dirigé par le marabout haal-pulaar, Thierno Souleymane Bal pour mettre fin à ce tribut de la honte tout en profitant de l’opportunité pour lancer une révolution islamique. Les révolutionnaires vont balayer les dynastes Peuls qu’ils considèrent comme de mauvais musulmans, et instaurer à leur place le régime tooroodo ou le pouvoir des clercs islamiques.

Durant les deux premières décennies du régime islamique, le Fuuta était unifié et puissant, sous l’autorité rigoureuse et totalitaire d’Almami Abdoul Kader. Cette puissance va se manifester aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières où tout doit répondre à l’esprit de la théocratie instaurée ou disparaître. C’est ainsi qu’Almami Abdoul s’attaqua avant de mettre fin au régime d’Eli Kowri, Emir du Trarza en 1786 et s’allia au Tajakani Bouna Mokhtar. Une tentative analogue fut lancée dix ans plus tard sur le Kayor, mais se solda par une défaite du Fuuta en 1796 face au Damel du Kayor. L’Almami est fait prisonnier, son poste est vacant. On assiste à l’émergence d’une force d’interposition en la personne des Jaagorًe (les grands Electeurs) et à des remous politiques. Le choix provisoire (pour assurer l’intérim) se porte sur Abdoul Sire Lamine Talla connu sous le nom de Almami Muttar Kudeeja Talla.

L’emprisonnement de l’Almami du Fuuta va réveiller le vieux démon de la domination maure. L’Emirat du Brakna ne tarde pas à se manifester en observant toutefois une politique de domination plus subtile puisque doublée d’une politique matrimoniale:

-Les Awlad Siyyid s’allient aux gens du Tooro tandis que les Awlad Ahmed jettent leur dévolu sur le Halaybé.

-Les Awlad Noghmash choisissent le Laaw où ils sont liés par le sang aux Wane et à leur
tête Ibra Almami, partisan et pratiquant incontestable des alliances matrimoniales.

-Les Alwad Ali se rencontrent dans le Yirlaabe-Hebbiyaabe, le Booseya et le Ngeenar, où l’on note une alliance très forte entre les Ahl Hayba (fraction des Awlad A’li) et Abdoul Bokar Kane, chef du Booseya, contre les Yirlaabe dirigé par Mamadou Silèye Amar Anne.

-Les Litama, quant à eux, sont liés aux gens de Ngenaar et du Damnga .
Il est à signaler dans le Halaybe, comme dans certains royaumes wolofs, des alliances matrimoniales à caractère religieux, qui unissent les disciples aux familles de leurs maîtres. C’est le cas notamment des mariages contractés par le Cadi Ahmadou Mokhtar Sakho de Boghé avec deux femmes mauresques. La première, une femme des Oulad Iberi, tribu maraboutique du Trarza, Mint Ahmeyyat, lui donnera une fille Mounina Sakho, et la seconde, une femme des Idacheghra, autre fraction maraboutique, Asma’ou Mint Oumarou, sera la mère de ses deux fils Mohamed Lemine Sakho et Abdourahim Sakho.

Les relations entre le Fuuta et ses voisins maures ne se limitent pas à ce bref aperçu dans la mesure où sa composante qui s’est investie le plus dans cette voie, les Ahel Moodi Nalla, n’ont pas été cités. Les Ahel Moodi Nalla (Moodi Nallankoobe, en pulaar), marabouts haal-pulaar-en très métissés, vivent principalement à Daw et Doolol au Fuuta, et dans quelques villages du Guidimakha. Leur métissage avec les maures est si fort, la ressemblance si frappante que la confusion entre les deux ethnies est quasi-inéluctable.

Les rapports entre Maures et Moodi Nalla sont fraternels, intimes, les uns se confondant aux autres. Une fraction des Ahel Sidy Mahmoud se réclame des Ahel Moodi Nalla et, inversement les haal-pular-en considèrent les Moodi Nallankoobe comme étant des Maures. Des liens les unissent à presque toutes les tribus maures, relations faisant d’eux des partenaires privilégiés pour toutes les parties et des interprètes qualifiés auprès des Noirs. Ces derniers les qualifiaient de «marabouts-blancs» par opposition aux autres Toorobbe appelés «marabouts noirs». Entre les Ahel Moodi Nalla et les Idaw’ish (vivants au Tagant) les relations étaient très bonnes à telle enseigne que les incursions répétées lancées par ceux-ci sur les populations de la vallée les épargnaient. Les Ahel Moodi Nalla arrivaient même à convaincre leurs amis Idaw’ish à rendre le bétail volé à leurs propriétaires.

C/ – LE FUUTA ET SES VOISINS DE L’EST ET DU NORD-EST

Par rapport à ses autres voisins de l’Est et du Nord-Est, à savoir le Boundou, les pays et le Khasso, le Fuuta avait des relations fluctuantes mais, les alliances matrimoniales permettaient de normaliser les rapports politiques.

A l’époque des Deeniyankoobe, le Satigi Samba Bookar Sawa Laamu était connu pour son alliance avec le Gajaaga (pays soninké ), relation renforcée notamment par son mariage avec une femme nommée Moussa Silman, mère de son fils Boubou Moussa .

De même qu’il est connu que son successeur Samba Guéladio Djégui était plutôt l’allié du Boundou et des maures Ahel Heyba.

Quand vers la fin de l’époque des Toorobbe , Abdoul Bokar s’imposa comme chef du Fuuta, il contracta un mariage avec la fille de l’Almami du Boundou, Jiba Hamady Sy et un autre avec la fille du chef du Khasso, Dinding Sambala Hawa Diallo.

CONCLUSION

Si les alliances politiques étaient souvent renforcées par des alliances matrimoniales au Fuuta Tooro, c’était surtout pour assurer au pouvoir en place un soutien à toute épreuve .

En effet on renie rarement son sang et chaque mariage contractée rendait effective une parenté nouvelle, une amitié nouvelle, et enfin une communauté de biens et d’intérêts. Ainsi, le nombre important des mariages n’est rien d’autre que la volonté de multiplier le nombre de ses alliés, l’accroissement de son prestige et de son pouvoir.

Après le démembrement du Fuuta, des mariages mixtes qui unissent des personnes d’ethnies différentes, pour ne pas dire de races différentes, ont continué à être contractés dans un tout autre but. Les unions de cœur consécutives au bon voisinage, elles sont innombrables surtout entre les provinces du Tooro et Dimar avec les ةtats wolofs. Des relations matrimoniales entre fuutanke exilés et femmes du territoire d’accueil sont aussi à signaler. L’observation faite dans des cas de mariage à caractère religieux se rencontre également, à une échelle plus large chez les Moodi Saahal (nom donné par les noirs à leurs étudiants dans le pays maure) qui épousent souvent les filles ou les proches de leur maître Maures.

Des cas moins fréquents de mariages non-consanguins sont souvent contractés par des fonctionnaires Fuutanke à des femmes résidant ou appartenant à leur lieu de mutation.

Mais quel que soit le cas, la société haal-pulaar y voit une extension de la famille et de la communauté. De la même manière, elle considère que les liens de parenté se distendent si ceux qui les partagent ne les renforcent pas par de nouvelles unions.

Malgré cette préférence affichée pour la parenté, le monde poularophone accorde une bonne place au bon voisinage, pour répondre aux recommandations du prophète Mohamed (PSL) d’une part, mais aussi pour s’accorder aux traditions qui reconnaissent que le véritable parent de l’homme est son voisin, premier à répondre présent en cas de besoin.

Les Archives de l’Université de Nouakchott
Source: Mauritanie Web

Posté   le 12 Jan 2009   par   doudou

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