J.Robin qui l’avait sans doute connu personnellement le jugeait généreux, honnête, d’un grand coeur, aimant au surplus profondémént son pays, » sa culture française et le déracinement qu’elle favorisa, avaient toutefois contribué à le détribaliser. Il s’était vivement intéressé à la politique, notre parti socialiste S.F.I.O. le comptait parmi ses membres. Bref, tout cela avait fait naître chez lui un sentiment de nette supériorité sur ses congénères ».
Beaucoup disait de lui: « Malal ( autre pénom de Ibrahima Bathily) voulait réellement chercher notre bien. Ce fut dommage que la plupart d’entre nous ne l’ait ni compris, ni n’ait fait un effort de le comprendre. soninké ni galabe naa, a nta naayene i ma wure ma wadi saaxe ».
Intellectuel imbu d’idées modernes autant qu’animé d’une bonne foi et d’un caractère énergique, il tenta de faire dans les limites de ses fonctions des réformes économiques et sociales (suppression de « coutumes surannées », introduction d’outillage agricole moderne, etc.), qui sucitèrent autour de sa personne l’opposition très vive des anciens pour qui s’attaquer aux traditions même les plus rétrogrades est synonyme de sacrilège.
D’autre part, ses heurts fréquents avec les autorités administratives qui voyaient leur propore perte dans ses trop grandes initiatives achevèrent de l’isoler dans une atmosphère de persécution où les deux partis s’acharnaient par de multiples moyens (fausse accusation d’homicide, de malversations, etc.) à se débarrasser de lui.
Ibrahima Bathily était de beaucoup en avance sur son milieu, pour dire mieux: il était venu trop tôt dans un monde qui tardait à mourir.
Désenchanté, désespéré au supême degré, après avoir établi un constat d’échec de ses trois années de service à la tête du canton, Ibrahima Bathily mit fin à ses jours en se tirant un coup de fusil dans la tête le 26 juin 1947 en début d’après-midi.
Dans une lettre adressée au Gouverneur général de l’A.O.F., il écrivait: « puisse ma mort servir à la France et au Goye en effervescence à cause des idées politiques qu’ils n’ont pu digérer ».
Il semble qu’ Ibrahima Bathily ait compris lui-même les raisons profondes de l’echec de son aposolat pusiqu’il écrivait le 7 mai 1947 donc peu de temps avant sa mort: »chez les Bathily encore athées en grand nombre, et encore superstitieux, voire idolâtres, les coutumes ont force de loi pour avoir favorisé particulièrement les hautes classes de l’aristocratie…Essayer de les modifier et de les adapter au progrès social, c’est également se rendre coupable d’hérésie » ( de la persécution et de l’intolérance). De même les lignes suivantes sont comme une auto-justification de son suicide:
» A quoi bon s’epuiser donc en de vains efforts pour essayer une lutte commandée par la France et dans laquelle lutte la France ne donne pas l’appui nécessaire? »
« A quoi bon d’entretenir la discorde, en nommant deux chefs dans un pays. Ces chefs se querellant l’un l’autre, il faut que l’un parte. Je suis volontaire ».
Ibrahima Bathily se comparait à un certain degré et à toutes proportions gardées à Galilée, coupable d’avoir soutenu que la terre tourne autour du soleil. Cette comparaison est justifiée dans la mesure où l’on pense à l’incompréhension, voire le mépris total avec lesquels les anciens ont accueilli son action. Il y’avait comme une inimiti nécessaire entre lui homme de progrès tourné vers l’avenir et ces vieillards, conservateurs hargneux, puisant toutes leurs règles de vie dans le passé.
L’acte d’Ibrahima Bathily nous semble instructif à un double point de vue; il montre d’abord combien il est difficile de moderniser les structures d’une société paysanne et « gentilice », ensuite et surtout, il met à nu les contradictions de la politique coloniale française.
Cet exemple montre clairement que l’application de la fameuse doctrine dite de « l’assimilation » n’a pas été généralisée dans les anciens territoires sous domination française. Comme les Britanniques, les Français ont, chaque fois qu’ils étaient en butte à des résistances persistantes de la part des féodaux locaux, à peu près pratiqué le système de l’indirect-rule. Ibrahima Bathily avait été agréé comme chef de canton parce qu’on le jugeait suffisamment assimilé pour ne plus pouvoir se rebeller contre les intérêts français, mais voyant qu’il ne pouvait assurer la stabilité que l’on attendait de lui, l’administration s’est érigée en juge et partie pour les vieux qu’elle ne voudrait point s’aliéner contre un jeune sans autorité réelle.
Aussi peut-on dire que Ibrahima Bathily a été victime de trois réalités de la société coloniale: une collectivité ankylosée dans des structures arrières, l’inconséquence sinon l’hypocrisie de la politique coloniale dont il ne semble pas avoir saisi tout à fait le jeu, ceci étant la conséquence d’un idéalisme forcené voire d’une certaine naïveté propre aux pionniers, enfin son drame est d’avoir appris de bonnes choses à l’école coloniale mais qu’il se sent incapable de traduire dans la réalité concrète malgré toute sa bonne volonté.
Par Coolmiss, une BATHILY