Survie, Résistance et Devenir
Tout au long de la traite et de l’esclavage des Noirs, des mouvements abolitionnistes se sont montrés actifs à travers le monde. Pour autant, les principaux concernés ne baissèrent pas toujours les bras. Les captifs africains ne se sont pas laissés mener à l’abattoir sans réagir. Il y eut déjà des actes de résistance en Afrique, notamment dans les lieux d’embarquement à destination du Nouveau Monde. Pruneau de Pommegorge, employé de la Compagnie des Indes, décrit une de ces révoltes sur la célèbre île de Gorée :
«Cinq cents captifs ont comploté pour massacrer les Blancs. Ils sont trahis par un enfant de onze à douze ans, mis au fer pour petit vol et couché au milieu d’eux sur un cuir de bœuf. Ce dernier va tout dévoiler. Rentrés du travail, les captifs sont encerclés, enferrés et bien goupillés. Le lendemain, ils comparaissent tous. Mais le procès est intenté contre les deux ou trois meneurs qui étaient chefs dans leur pays. Les deux chefs, loin de nier le fait ni chercher des faux-fuyants, répondirent avec hardiesse et courage que rien n’était plus vrai, qu’ils devaient ôter la vie à tous les Blancs de l’île, non pas par haine pour eux, mais bien pour qu’ils ne puissent s’opposer à leur fuite et au moyens qui leur était offert d’aller rejoindre leur jeune roi. Qu’ils avaient tous la plus grande honte de n’être pas morts les armes à la main, , sur le champ de bataille pour lui, mais qu’actuellement, puisqu’ils avaient manqué leur coup, ils préféraient la mort à la captivité. A cette réponse vraiment romaine, tous les autres captifs crièrent d’une voix unanime : Deuguela ! Deuguela ! « Cela est vrai ! Cela est vrai !.» Le conseil de la direction s’assemble pour délibérer. Pour donner un exemple à tout le pays, il fut décidé que les deux chefs de la révolte seraient mis à mort le lendemain devant tous les captifs et les gens de l’île assemblés… Le lendemain, tous les captifs sont assemblés dans la savane. On en fit former un rond ovale ouvert par un bout. Vis-à-vis cette ouverture, on fit placer deux petites pièces de canons, chargées non à boulet, mais de la seule bourre nommée le valet. Enfin à l’extrémité de cette ouverture, les deux chefs de la révolte y furent placés et tués par le maître canonnier et avec la seule bourre de canon. Ces malheureux furent enlevés et jetés morts à quinze pas d’où ils étaient canonnés. Tous les autres captifs, frappés d’un exemple aussi terrible de sévérité, rentrèrent à la captive rie dans la plus grande consternation. Si cette exécution parait terrible et inhumaine, elle est une suite nécessaire du commerce infâme que presque tous les Européens font dans ces contrées.»
La plupart des Africains arrachés à leurs terres ancestrales, se sont mis à conspirer contre les maîtres même bien avant leur débarquement dans le Nouveau Monde. Ensuite, des actions de rébellion menées par des groupes d’esclaves plus ou moins organisés, vont jalonner l’histoire de l’asservissement des peuples noirs partout où ils seront déportés. Ils vont saboter la production, casser leurs outils, désobéir, déserter, agresser ou empoisonner leurs maîtres, refusant ainsi la soumission inconditionnelle.
Les esclaves apprendront à lutter quotidiennement pour conserver ou récupérer un peu de dignité. La première phase de résistance de ces déracinés fut passive. Pour contrer l’entreprise de dépersonnalisation et de déculturation pratiquée par les maîtres, les déportés s’accrocheront à des traditions africaines par le chant, la danse, la religion, les parures, la science des plantes ou la représentation du monde par des objets fétiches. Sévices corporels, avilissement extrême et répressions sanglantes étaient des pratiques courantes dans l’univers esclavagiste. Mais la résistance des déportés y prendra aussi des formes très dures : on ira jusqu’à l’automutilation, l’avortement volontaire, l’infanticide, le suicide – pour que l’âme retourne au pays des ancêtres – ou l’empoisonnement du maître par les plantes toxiques. D’autres esclaves emploieront des formes plus subtiles en feignant la maladie, la stupidité ou en manifestant de la mauvaise volonté dans l’exécution des tâches quotidiennes, voire en détruisant du matériel. Et face à l’ignominie, les redoutables instincts guerriers – un instant contenus -, des plus vieux peuples du monde, vont se libérer pour immortaliser de légendaires épopées sur les pages du temps.
Les héros – personnages de tragédie moderne -, en seront le Brésilien Zoumbi, les Américains Gabriel Prosser, Harriet Tubman, les Haïtiens Mackandal, Toussaint Louverture, Dessalines, les Cubains Aponte, Macéo, le Martiniquais Delgrès, les Guadeloupéens Ignace et la Mulâtresse Solitude. Mais aussi, toutes les femmes de la diaspora noire qui, d’une manière affectueusement discrète, ont grandement permis à leurs hommes opprimés, de lever la tête, de se battre et de choisir leur manière de mourir à l’heure de la fin. Des Métis et Mulâtres d’Antigua furent émancipés à la fin du XVIIIème siècle.
Cette longue lutte pour la reconnaissance de leurs droits, avait été soutenue par des mouvements abolitionnistes anglais. Mais beaucoup de ces hommes et femmes issus du mélange de sang entre les bourreaux et leurs victimes, passaient pour des êtres flous, insaisissables et sans identité définie. Partagés entre leurs origines africaines et leurs liens ambigus et éphémères avec les oppresseurs, ils ont souvent choisi le camp des tout puissants maîtres pour quelques avantages existentiels immédiats. Ainsi, détenteurs de titres de propriétés, ces nouveaux libres se fondront dans le moule du système esclavagiste. Ils se mirent à exploiter leurs frères d’infortune, préférant les avantages du système plutôt que de le combattre.
Pendant longtemps encore, beaucoup de ces Mulâtres et Métis seconderont les maîtres pour le bon fonctionnement des plantations. Egalement dans les îles danoises, un édit royal octroyait en 1831, la citoyenneté blanche aux Métis et Mulâtres méritants, notamment pour leurs «comportements collaborationnistes» avec les maîtres. Quant aux esclaves noirs, beaucoup déserteront à cause des humiliations quotidiennes et des répressions sanglantes. Ces fuites étaient appelées «marronnage», de l’espagnol cimarron qui veut dire «sauvage fugitif.» Une autre origine du mot est Symaron, nom d’une peuplade située autrefois entre Nombré – de – Dios et Panama. Après une sanglante révolte contre les Espagnols, cette peuplade fut réduite en esclavage. Le marronnage représentait une grande menace pour la stabilité du système esclavagiste au point que les colons et maîtres blancs le qualifiaient de «plaie permanente.» Temporaire ou définitif, le marronage sera constant jusqu’à l’abolition de l’esclave. Les colons vont dresser spécialement des chiens pour chasser les Nègres marrons.
Ils constitueront également des milices qui auront pour rôle de poursuivre les esclaves fugitifs et d’empêcher les mutineries. Mais quelles que soient les appellations : Palenqué ou Cumbés en Amérique hispanique, maroon village/hideoud en Amérique anglaise, marronage dans les Antilles françaises, quilombos ou mocambos au Brésil, beaucoup d’esclaves réussiront de véritables Révolutions en fondant des Républiques libres au cœur même du système esclavagiste. Chez les Orientaux, en Mésopotamie, la dynastie des Abbassides avait bâti au VIIIème siècle une brillante civilisation. Elle importa une masse considérable d’esclaves noirs (Zendjs), pour la construction de villes comme Bagdad et Basra. Dans ce pays les Noirs étaient affectés aux tâches les plus rebutantes. Ils étaient parqués sur leur lieu de travail dans des conditions misérables, percevant pour toute nourriture quelques poignées de semoule et des dattes. Les esclaves vont se révolter en 869, sous les ordres de Ali Ben Mohammed. Ils vont piller la ville de Basra, massacrer les habitants et mettre en déroute les troupes envoyées pour combattre l’insurrection. Après s’être affranchis, les esclaves noirs organiseront un embryon d’Etat avec une administration et des tribunaux.
Dans cette nouvelle entité autonome, ils appliqueront la loi du talion aux Arabes vaincus qui seront réduits en esclavage et objet de trafic. Ils tiendront pendant plus de 10 ans avant d’être écrasés en 883, par une coalition de troupes envoyées par les califes locaux. La plupart des résistants préféreront la mort les armes à la main plus tôt que la reddition. Dans le Nouveau Monde, au Brésil, le marronnage sera civilisateur car, les esclaves fugitifs qui se cachaient dans la forêt, transmettaient aux populations indiennes les techniques africaines de travail du fer, du bois et la science des plantes. Dans le Nord-Est du pays, des résistants nègres marrons fonderont la République de Palmarès, un quilombo qui fonctionnait « à l’africaine. » De nombreux villages, peuplés chacun selon l’origine ethnique de ses habitants, s’y côtoyaient et vivaient en parfaite harmonie. A Palmarès les esclaves vont réinventer l’Afrique. ils vont instaurer de nouvelles structures de parenté, de pouvoir et tisser de nouveaux liens de solidarité malgré leurs différences ethniques (Bantous, Cabindas, Angolas).
Source: Tidiane.net