Avant d’aller plus loin, précisons tout de suite que l’empire du Ghana (le Ghana ancien) n’a absolument rien à voir avec la république du Ghana des temps modernes. C’est parce que cette dernière a été la première république noire indépendante du continent africain que Kwame N’Krumah et ses compagnons ont décidé d’octroyer le nom de Ghana (le premier empireouest-africain) à leur nouvelle république comme un symbole fort a des millions d’africains et aussi pour valoriser les riches traditions du passé.
Les bâtisseurs de l’empire du Ghana sont issus de l’ethnie Soninké. Leurs descendants vivent aujourd’hui au Mali, en Guinée et au Sénégal. Selon les endroits, les Soninkés sont appelés Sarakollé, Marka etc.… Plus tard, après la désintégration de l’empire, les Soninkées vont adopter le métier de Dioulas ou Wangara qui était jusqu’alors une spécialité de leurs voisins Malinkés. Mais ils étaient surtout adeptes au commandement, à la formation d’états, dus à leur sens très aigu du pouvoir.
Comme je l’ai déjà écrit dans un précédent article, « A propos du Wassolon : Histoire ou Fiction », les Soninké représentent un groupe ethnique très large. Du fait de la guerre et de la sècheresse, les Soninkés sont dispersés à travers tout l’Ouest africain. Leur dispersion est telle que certains de leurs éléments sont difficilement identifiables du fait de leur absorption par les autochtones de leurs pays de résidence. Dans certains cas ils ont perdu peu a peu, l’usage de leur langue d’origine pour prendre celle des aborigènes et il est aujourd’hui difficile de les prendre pour des Soninkés. Ce qui est le cas par exemple en Guinée où les Soninkés ont été absorbés par les Malinkés, et dans une moindre mesure par les Peuls et les Soussous. Mais ils n’en gardent pas moins leurs patronymes qui sont généralement Cissé, Sylla, Diakité, Dramé, Tounkara, Diané etc…
Plus tard, certains préféreront tout simplement adopter de nouveaux noms qui cadraient mieux avec leurs activités. Comme par exemple les Kaba ou les Yansané. Si des recherches très sérieuses étaient faites dans ce domaine, on verrait que 2 guinéens sur 3 peuvent retracer leur origine à Koumbi Saleh.
Koumbi était une ville pionnière sur plusieurs points. D’abord à cause de sa location. Située au Sud-Est de la Mauritanie, à la frontière avec le Mali, précisément à 320 kilomètres au Nord de Bamako, elle occupait une position stratégique pour le commerce de l’Or. C’était le point le plus au Sud pour les caravanes venant de l’Afrique du Nord et qui après la longue traversée du Sahara en faisaient leur destination finale. C’était aussi le point le plus au Nord pour les Dioulas en provenance des régions productrices de l’Or, principalement les mines de Bouré, a l’intérieur des frontières guinéennes.
Les Soninkés jouaient donc le rôle d’intermédiaires entre les caravaniers (arabes et berbères) et les dioulas qui, dans leur grande majorité, étaient issus de l’ethnie malinké. Les uns avaient besoin de l’Or transporté à des centaines de kilomètres par les dioulas et ces derniers avaient besoin du sel transporté sur le dos des chameaux et d’ânes durant la longue traversée du désert. Tout ce commerce était contrôlé et régularisé par l’empereur qui portait les titres de « Ghana » c’est-à-dire « Chef de Guerre » et « Kaya Maghan » qui voulait dire « Seigneur de l’Or ».
Un point très important à souligner ici est que l’origine de l’Or, la location des mines était tenue soigneusement au secret par l’empereur et ses plus fidèles courtisans. Même les autochtones soninké n’avaient aucune idée d’où provenait l’Or, a plus forte raison les arabes et berbères qui arrivaient avec les caravanes. Tout se passait donc au marché et c’est là que s’échangeaient les produits comme l’Or, le sel, l’ivoire et la cola.
L’originalité de Koumbi se trouvait ensuite dans le fait que la ville était partagée en deux cites bien distinctes. Il y avait la cite où résidait l’Empereur et ses sujets. Et a 10 kilomètres de là, se trouvait la cite des commerçants arabes et berbères. Ces derniers construisaient leurs maisons en pierre tandis que la cite de l’empereur était bâtie avec des matériaux d’origine locale, en banco.
Pour favoriser l’essor du commerce, l’empereur avait consenti à la construction de plusieurs mosquées dans la partie occupée par les commerçants berbères. On pouvait y dénombrer plus de 10 mosquées. Bien que les soninkés suivaient les religions traditionnelles africaines, ils s’étaient montrés très tolérants envers la religion musulmane. Il y avait donc là deux cités dans une même ville. Il est curieux de constater que l’on ait observé la même subdivision dans certaines villes de la Guinée, comme par exemple à Labé où il y avait clairement deux cités bien distinctes dans la même ville : la cité des autochtones et celle des nouveaux venus.
Enfin nous pouvons dire que Koumbi etait une ville pionnière pour le fait que c’etait un lieu de brassage des populations. Il y avait non seulement des Soninkés, mais aussi des peuls, des malinkés, des Sosso, des diallonkés, des kissis et des ouolofs. Les Soninkés jouaient le rôle d’hôtes et d’intermédiaires. Les Peuls étaient principalement des pasteurs qui parcouraient déjà tout le territoire avec leurs troupeaux. Il convient de signaler ici que les Peuls ont des affinités très poussées avec les Soninkés. Toutes les études ont montré que le Poular est plus proche du Soninké et du Sérère que n’importe quelle autre langue africaine. Les Peuls ont toujours vécu auprès des Soninkés et vice versa.
Les Malinkés quant à eux, étaient principalement des dioulas commerçants, très habiles et très entreprenants. Ils transportaient l’Or et l’Ivoire des contrées lointaines de la forêt jusque dans les marchés de l’empire. Les Sossos et les ouoloffs, eux s’étaient distingués dans le travail du fer. Une activité qui revêtait un caractère rituel et secret tant le fer avait une importance stratégique. Si les soldats de l’empire étaient si invincibles et si craints c’est parce que leurs lances étaient en fer. C’est ce qui probablement donna un avantage à Soumangourou Kanté lorsqu’il entreprit sa conquête du pouvoir à Koumbi Saleh.
Les Djallonkés et les Kissis étaient des agriculteurs très accomplis. Tous ces groupes avaient quelque chose en commun : tous pratiquaient des religions africaines et s’accrochaient aux traditions de leurs ancêtres.
C’est le célèbre auteur et historien musulman de l’Andalousie, Abou Oubeid Al-Bakri qui a révélé au monde les différents aspects de la vie dans l’empire du Ghana. Dans son livre « Kitab Al Masalik Wa’l Mamalik », le livre des routes et royaumes, il nous dit que l’annonce d’une réunion ou d’une assemblée etait toujours faite en tapant sur un tambour appelé Deba. Au son du deba, la population abandonnait tout pour se réunir. Voyez la similitude avec le même genre d’instrument utilisé au Fouta-Djallon et que l’on appelle « Tabalde ». Il est souvent utilisé à l’occasion de grands événements ou d’une réunion importante. Une preuve que la tradition a parfois la vie dure.
Tout compte fait, à son apogée, la ville de Koumbi etait la plus avancée, la plus prospère et la plus peuplée sur le continent africain et comptait plus de 15000 habitants, sinon plus.
L’invasion
C’est à partir de 1050 que des groupes de berbères venant du Nord-Ouest de la Mauritanie commencèrent à envahir le Ghana. Confrontés à une pauvreté extrême, ces berbères n’avaient d’autre choix que de chercher à survivre par tous les moyens. Ils tournèrent alors leurs regards vers leurs voisins qui étaient plus riches. C’est ainsi qu’ils décidèrent de faire main basse sur l’Or du Ghana. Comme cela arrive souvent dans l’histoire, cette guerre de conquête revêtit aussitôt un caractère religieux.
Le leadership du mouvement fut confié à un érudit musulman connu pour sa dévotion, son austérité et son intransigeance. Abdullah Ibn Yassin, tel etait son nom, avait ouvert un centre religieux appelé l’ermitage. Ses disciples étaient donc connus comme les ermites, Al Murabethin, ou les almoravides.
La stratégie adoptée fut d’abord de convertir les chefs des états africains les plus proches, comme ceux du Tékrour, au Nord Ouest du continent. Le Tékrour qui deviendra par la suite le Fouta-Toro était alors dominé par des chefs soninkés.
Les Almoravides divisèrent leurs forces en deux colonnes. L’une partit vers le nord et s’empara de Sijilmasa (carrefour important du commerce de l’or), avant de soumettre le reste du Maroc. Puis ils passèrent le détroit de Gibraltar pour s’emparer de l’Andalousie, dans le sud de l’Espagne. La deuxième colonne se dirigea vers le sud dans la direction de Koumbi Saleh. Elle était placée sous le commandement de Abou Bakar qui scella une alliance avec le Tékrour. Ce sont donc les almoravides appuyés par des guerriers venus du Tékrour qui s’abattirent sur l’empire du Ghana. La lutte fut âpre, longue et difficile. Les envahisseurs prendront la grande cité d’Aoudaghost in 1054. Ils ne réussiront à prendre la capitale Koumbi Saleh que plus tard vers 1076, et cela après plusieurs batailles très sanglantes.
A Koumbi ce fut le massacre. Les soldats vaincus furent exécutés, le plus souvent décapités. Les femmes furent violées avant d’être poignardées. Les femmes enceintes ne furent pas épargnées. Elles furent éventrées. Les enfants, même les plus jeunes furent assassines. Les maisons furent brûlées. Tout cela se passa dans la cite impériale où habitait l’empereur et ses sujets. Seuls s’échapperont ceux qui réussiront a trouver refuge dans l’autre partie de la ville ou résidaient les berbères et les arabes venus du Nord. Même si des siècles et des siècles se sont écoules depuis et que d’autres horreurs ont remplacé ces événements dans la conscience collective, c’est ce que l’histoire retient comme le massacre de Koumbi Saleh. Là sont tombes des soninkés, des peuls, des malinkés, des diallonkes, des sossos et des kissis. Et c’est en ce moment que certains groupes commenceront leur lente migration vers le Sud, principalement vers le territoire des rivières du sud, terre riche et terre d’asile.
Curieusement, les almoravides ne réussiront pas à garder Koumbi Saleh, encore moins a tirer profit de leur conquête. Ils chercheront en vain les mines d’or et ne trouvèrent absolument rien. Apres la chute de Koumbi, les dioulas avaient tout simplement cessé d’acheminer l’Or vers la capitale. Les états vassaux prirent le relais.
Ensuite les almoravides durent faire face à de nombreuses révoltes. C’est en essayant de supprimer l’une d’elles que le chef Abou Bakar fut tué. Les almoravides furent contraints d’abandonner Koumbi et se replier vers le Nord, au Maroc et en Andalousie d’où ils tiraient de meilleurs avantages.
Apres ce retrait, Koumbi fut exposée à la convoitise de plusieurs chefs de guerre. Apres plusieurs batailles et une longue période de confusion, Soumangourou Kanté, roi du Sosso réussit à s’imposer. Il s’empara de Koumbi Saleh en 1203.
Mais Koumbi ne sera plus comme avant !