Modérateurs: Moderatrices du Forum des Filles Soninkara, Moderateurs Soninkara
Il s'agit d'une histoire vraie, pas d'une fiction ,écrit par Hervé Blaise Menguelé qui a vécu en Chine de 1998 à 2002. Il y relate sa vie d'étudiant noir en Chine, les difficultés, les déboires, les évènements heureux, les rencontres, etc...
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Bonne lecture ^v^
En ce dimanche 1er septembre, le groupe des 10 étudiants que nous étions dont 9 camerounais et un djiboutien, arriva sans histoire à l'aéroport de Pékin. Il était 10:30 et au hall d'attente, on distinguait un chinois avec une plaque sur laquelle on lisait clairement "CAMEROON STUDENTS". Nous étions sauvés! On n'avait effectivement craint qu'il n'y ait personne pour nous accueillir.
Le décor, d'emblée, me frappa. Il y avait une foule immense au sein de laquelle on distinguait à peine deux ou trois étrangers. La couleur jaune dominait largement. Une rumeur persistante se faisait entendre. Tantôt des cris de joie à la vue d'un parent qui revenait d'un pays lointain, tantôt des exclamations proférées dans une langue que nous ne comprenions pas. Dans cette vaste clameur, on ne reconnut aucun visage ami. Tout au contraire, il était bien perceptible que nous étions objets de bien de curiosités. En témoigne ces regards perçants, unanimes de toute cette foule qui, pour beaucoup, voyait certain des hommes noirs pour la première fois de leur vie.
Les premiers jours furent relativement calmes. Il fallait en effet beaucoup dormir pour apprendre à gérer la lourde différence horaire. Et quand la nostalgie nous donnait un peu de répit, on se faufilait dans la foule immense pour acheter quelques victuailles et nous ravitailler en produits de première nécessité. Le spectacle de ces premiers jours dans les marchés populaires de Pékin ressemblait for bien à un concert géant de Michael Jackson lorsque sa gloire était au zénith. Hommes, femmes, enfants, chiens, tous accouraient pour ne pas rater l'évènement. On leur avait soufflé que là-bas, de l'autre côté de la rue, il y avait des hommes de couleur noire, des hommes venus certainement d'Afrique. Et en une poignée de seconde, nous étions cernés par une foule gourmande de sensation, une foule avide d'assouvir ce besoin pressant de voir un noir de près. Certains nous adressaient la parole mais avec cette malice qui se lisait sur les contorsions de leurs lèvres. Et vu l'écho hilare qui se propageait une fois qu'ils avaient craché leur venin, il était clair que nous venions d'être l'objet de paroles pas très amicales. Les expériences qui allaient cependant suivre allaient être plus douloureuses encore.
Quelques étudiants africains qui étaient en Chine depuis des années nous firent la description des rapports quotidiens avec nos hotes. Amicaux dans bien de cas mais surtout conflictuels. Ils nous prodiguèrent toute une panoplie de conseils sur les situations à éviter. De toute évidence, la Chine, cette Chine dans laquelle j'habitais dorénavant allait avoir un impact décisif dans ma vie. Je ne savais pas encore lequel mais je sentais que ce pays avait quelque chose de bien particulier. Et aujourd'hui avec le recul, assis sur une chaise dans l'appartement que ma femme et moi louons à Zurich, je me suis proposé de partager quelques unes des expériences vécues dans ce grand pays. Ces expériences, je vais les relater dans la perspective non pas d'un simple étranger en Chine, mais bien de celle d'un étudiant noir africain...
...Une semaine à peine après notre arrivée, Adam, un promotionnaire camerounais, fut secoué par un fort accès de fièvre. Sa maladie nous inquiéta beaucoup car il était peut atteint de paludisme. Pour parer à toute complication, nous le conduisîmes au dispensaire universitaire. Et c'est précisément à cet endroit que j'allais être témoin de la première scène qui allait me hanter toute ma vie. Une femme était assise, attendant d'être servie par le médecin. Elle avait à ses pieds, un bambin qui se livrait à des exercices de jovialité enfantine. Tout heureux et calme, gambadant de temps à autre quant il pouvait s'échapper deux secondes des étreintes maternelles. Il perdit soudain tout enthousiasme a peine à t-il aperçu des visages d'une couleur si sombre, si noire. Apeuré, il s'immobilisa, son petit visage rond et joufflu devint pâle, et il se mit à scruter avec méfiance et suspicion ces hommes qui lui rappelaient certainement ses pires nuits de cauchemar. Qu'il hurla alors! Il pleura toutes ses larmes, cria de toutes ses forces, implora l'assistance de la divinité. Sa mère, très désemparée de voir son fils dans un état aussi angoissant, lui cacha le visage. A peine enfoui dans les habits maternels qu'il cessa d'implorer tous les dieux. De temps à autre, le marmot sortait sa tête question de vérifier si les "fantômes noirs" étaient encore là. Et quand il se rendait compte de la triste évidence de notre présence interminable, il redoublait d'ardeur dans son imploration de la grâce des dieux. Sa mère, sans vergogne hurla en Chinois qu'il fallait qu'on s'éloigne pour que son digne fils retrouve enfin sa sérénité. L'altercation fut animée, celle qui opposa la bonne femme à Ibrahim, un compatriote qui était à sa quatrième année à Pékin et dont le niveau en langue chinoise était excellent. Le baptême de feu avait des allures de mauvais rêve mais les mois à venir allaient s'avérer plus cauchemardesques encore.
L'université de Langue et de Culture de Pékin dans laquelle nous devions commencer notre initiation au mandarin est très réputée pour son sérieux dans son approche d'enseignement. Située en plein cœur du district de Haidian, elle impressionne par sa modernité. Et quoique pas assez grande, elle accueille approximativement quatre milles étudiants étrangers chaque année.
..Il fallait maintenant apprendre la langue. On nous scinda les classes. Dans la mienne, nous étions une vingtaine dont 4 camerounais et une fille noire de Vanuatu. Les autres étaient indonésiennes (4), japonais (3), Australie (1), Nouvelle Zélande (1), Suisse (1), Thaïlande (1), Laos (1), Russie (1). Nous avions deux professeurs qui alternaient. La plus jeune, Madame Liu s'illustra très rapidement dans des commentaires tendancieux. Dans ses vaines tentatives de démontrer sa connaissance du monde, elle peignait l'Afrique avec cette singularité déconcertante qu'il nous est arrivé plusieurs fois de protester. Elle décrivait l'Afrique comme ce continent pourvu en terres fertiles, peuple de paresseux, d'idiots, d'hommes irresponsables.
Les Chinois dans l'ensemble ne nous accordent aucun respect, ni à nous africains, ni à notre continent. D'ailleurs, le mot Afrique en Chinois se dit "FEIZHOU", ce qui signifie le continent du néant, du vide. Pour une petite comparaison illustrative, l'Amérique se dit « MEIGUO » qui signifie le continent merveilleux, magnifique...
IL était fréquent qu'on soit accosté dans la rue pour se faire demander pourquoi on est si noir et vilain. Notre interlocuteur ne s'arrêtait naturellement pas en si bon chemin, il continuait volontiers à puiser dans sa ciboule des âneries comme "comment étés-vous venus en Chine puisqu'il n'y a pas d'avion ni d'aéroport en Afrique ?"
Le répertoire de ces anecdotes est inépuisable. Et chaque fois que je pense à la Chine, j'ai toujours mon ami Kagashane en mémoire. Ce brave étudiant tanzanien qui me dit un jour « frère, il va nous falloir développer l'Afrique si on veut se faire respecter ». Je suis d'accord avec toi Kagashane, il falloir s'y atteler. Je me souviens bien de ce jour là où tu es venu dans ma chambre me relater cette histoire qui t'avait fait bien mal.
Tu étais arrivé à la gare pour prendre le prochain train. Tu t'étais assis dans le lounge et pendant que tu attendais, deux vieillards qui étaient vraisemblablement un couple ne te quittaient plus des yeux. L'homme, plus en verve, interpella sa dulcinée en ces termes:" mon épouse Zhang, regarde! La Chine, notre chère Chine est vraiment déjà pourrie. Même les singes d'Afrique, il y en a déjà"!
Kagashane, ne te laisse pas impressionner par ces paroles qui sont la marque même de la bêtise humaine. Souviens-toi que ta femme est chinoise preuve que dans ce tableau sombre, il y a quand même un rayon de soleil qui perce les ténèbres. Avec nos efforts, avec notre perspicacité, l'homme comprendra enfin que toutes les créatures divines sont égales.
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