par biko » Jeu Avr 17, 2008 11:42 am
Crise alimentaire :
la disette menace au Sénégal
La flambée du prix du riz touche de plein fouet la population, dont la moitié vit avec moins de 2 dollars par jour.
Ona faim dans le quartier de Sant Yalla. Sous un toit de tôle ondulée, des femmes lasses égrènent un quotidien à peine supportable. Elles ne souhaitent pas donner leur nom, par dignité. La petite pièce surchauffée pourrait se trouver un peu partout dans Pikine, l'immense banlieue de Dakar où s'entassent près d'un million de personnes dans des baraques en parpaing. «Ici, on ne fait plus qu'un repas par jour, et encore…», dit l'une des participantes de la réunion. Les enfants vont souvent à l'école le ventre vide, sans les tartines et le café au lait qu'affectionnent les Sénégalais. Au déjeuner, le riz est dilué dans beaucoup d'eau. Le dîner de couscous de mil n'est plus qu'un souvenir.
Ce n'est pas la famine, mais la disette n'est pas loin. Les statistiques de la Banque mondiale sont éloquentes. Au Sénégal, le taux de malnutrition des enfants de moins de 5 ans atteint plus de 22 %. Pis : il est en augmentation.
Le 30 mars dernier, des femmes comme celles-ci ont défilé dans les rues de la capitale, criant «On a faim !» : une scène inédite au Sénégal. Ici comme ailleurs, la crise des prix sous-tend désormais la vie politique. Les femmes de Sant Yalla ne sont pas allées manifester : «Avec quel argent ?» L'aller-retour en car vers Dakar coûte près d'une moitié d'euro, une somme inaccessible. Plus de 50 % des Sénégalais vivent avec moins de 2 dollars par jour. Le chômage est massif. Dans les masures qui entourent la cour de Sant Yalla, des adolescents et de jeunes adultes dorment en plein jour, faute de mieux. L'économie tertiaire souhaitée par le gouvernement n'a pas encore fourni les jobs attendus.
La débrouille, l'argent envoyé par la diaspora, la solidarité faisaient la soudure. Mais la corde est en train de casser. On survit au terme de journées épuisantes, où les femmes gagnent un euro en allant chercher du poisson ou des fruits à plusieurs kilomètres pour les revendre avec une marge minuscule. La montée du prix du riz est la principale responsable. Le Sénégal, gros importateur, a pris de plein fouet l'augmentation du riz. Et le riz, les Sénégalais y ont pris goût, surtout quand il vient de l'étranger. Une habitude ancienne. La France coloniale écoulait ici la production de ses possessions asiatiques, afin de consacrer le Sénégal à la culture de l'arachide.
Remboursement de la dette
Les subventions d'État, sous forme de détaxe et de suppression de la TVA, ne semblent pas produire grand effet. Les journaux ont annoncé que le prix du riz parfumé thaïlandais, variété la plus consommée, devait retomber à 280 francs CFA (0,42 euro) le kilo. Mais une visite à l'épicerie du coin, grande comme un placard, suffit à le démontrer : le sac est encore à 350 francs, près de 30 % de plus qu'il y a six mois. «Je l'achète à 320 francs», dit le détaillant, Abdoulaye Diallo, derrière son guichet grillagé. Les Sénégalais accusent les grossistes de spéculer en retenant la marchandise. Quant à Abdoulaye, le petit commerçant de Sant Yalla, il lui arrive de faire crédit, même aux plus démunis. Par charité islamique : sa barbiche et sa calotte indiquent l'«Ibadou», ces fondamentalistes qui refusent l'islam traditionnel des confréries et qui gagnent du terrain. Autour de nous, plusieurs jeunes filles portent le hidjab bien noué sous le menton, un costume inhabituel au Sénégal.
Comment en est-on arrivé là ? Le Pr Ibrahima Sène, agronome et militant au Parti de l'indépendance et du travail (PIT, gauche), dénonce l'ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale qui a canalisé les dépenses vers le remboursement de la dette, «facteur aggravant» d'une série d'erreurs : abandon de la filière arachide, dont la production est passée depuis sa privatisation de 300 000 tonnes à 60 000 tonnes cette année. Sous le gouvernement socialiste, les bénéfices devaient servir à financer la production de riz et de mil, un but jamais atteint. D'autres facteurs minent la culture du mil, comme le vieillissement des semences. Le président Wade ne regrette pas d'avoir privatisé l'arachide : «Il y avait de nombreux abus. Les gros producteurs profitaient du système de coopérative pour faire payer les petits paysans à leur place. Cinq mille agents vivaient sur le dos des paysans. Des transporteurs trafiquaient leurs déclarations.» Le chef de l'État reconnaît tout de même l'échec actuel, et espère que la filière, privatisée, va relancer la production de l'arachide.
La certitude, c'est que le pays doit faire sa révolution alimentaire et devenir autosuffisant en riz. Tout le monde pense que c'est possible au Nord dans la vallée du fleuve Sénégal, où l'on produit déjà la majorité du riz local. À condition de lever plusieurs obstacles : financement des engrais, du matériel de culture, mécanisation du battage, etc. Le professeur Sène, beaucoup moins optimiste que le président Wade (voir l'interview), estime que l'on n'y arrivera «pas avant 2030».
En attendant, il y a urgence pour les habitants de Sant Yalla et de toutes les zones de pauvreté. Il y a aussi urgence pour le gouvernement, qui a intérêt à diminuer la pression sociale, estime le représentant du FMI, Alex Segura. «Il y a des choses qu'il peut faire rapidement comme distribuer du riz et du lait aux enfants des écoles», dit-il dans son bureau de Dakar. Il pense aussi que l'État peut «opérer des transferts en cash» ; en clair : distribuer de l'argent «aux femmes, qui sauront le gérer». Paroles inédites dans la bouche d'un résident de la sévère institution internationale ? Mais la situation est elle aussi inhabituelle. Et où trouver l'argent ? «En diminuant les dépenses non prioritaires de l'État», répond l'homme du FMI, laissant à chacune le soin de les désigner.
On se bat pour les droits de l'Homme mais on oublie de se battre pour faire respécter ces droits entre nous.