Toute blanche, blanche par endroit, peau tigrée, peau à deux tons, la majorité des femmes sénégalaises ne ressemble plus à la noirceur d'ébène tant chantée par Léopold Sédar Senghor. Malgré, les problèmes de santé que pose la dépigmentation, elle continue de séduire les femmes sénégalaises. Jadis, limitée aux « femmes mûres » et femmes mariées, cette pratique touche maintenant les femmes de tous âges et de toutes les couches sociales.
Le phénomène évolue avec son lot de conséquences économiques et sanitaires sous l'œil indifférent des pouvoirs publics.
C'est à se demander si les femmes sénégalaises se sentent bien dans leur peau. Des femmes analphabètes aux femmes lettrées, toutes semblent ne pas pouvoir résister au désir de changer de couleur de peau. On assiste à une sorte de « démocratisation » du phénomène de dépigmentation. Complexe d'infériorité, effet de mode, choix esthétique, quelque soit la justification, la dépigmentation reste un phénomène de société difficile à extirper du subconscient de nos femmes. Les coûts sont énormes et les conséquences dramatiques. La dépigmentation ou « khessal » en wolof est un véritable drame social et pose un problème de santé publique. Chaque année, son coût est estimé à plus de 5 milliards de FCFa. Un marché très lucratif pour les fabricants de produits cosmétiques qui ont une forte part de marché en Afrique. Quelque que soit l'éloge fait sur leurs supposées vertus, ces mélanges chimiques sont spécialement conçus pour agresser la mélanine qui protége la peau contre les rayons X. « Skin light », « top gel », « Sivo-clair », « Niouma » etc., cette palette de produits cosmétiques éclaircissants tant prisés par les femmes entre dans le registre des produits dangereux. Ils sont la cause de plusieurs maladies dermatologiques qui sont plus fréquents chez les femmes de 15 à 70 ans. En fait, la dépigmentation est très répandue et touche toutes les couches sociales. Selon une enquête réalisée en 1999 par l'Institut d'hygiène sociale (IHS) de Dakar, « la dépigmentation cosmétique apparaît plus fréquente chez les Dakaroises âgées de vingt à quarante ans, chez les femmes mariées ou faisant état d'un compagnon, chez les femmes ayant un niveau de scolarisation primaire, une activité professionnelle comportant un contact avec une clientèle, et chez celles qui disposent de certains biens de consommation (télévision, téléphone, automobile). » Les données de la même source révèlent que « 67% des femmes sénégalaises en milieu urbain se livrent à cette pratique » désastreuse pour leur santé. Elle est aussi présente dans les campagnes, malgré la rudesse de la vie. Même si la plupart par des femmes ont un penchant pour le « Léraal » qui consiste à donner un peu de clarté à la peau, le résultat reste alarmant. Devant cette course effrénée pour la beauté les femmes sénégalaises hypothèquent dangereusement leur santé.
Les risques pour la santé
Prés de 80% des Sénégalais souffrent de problèmes dermatologiques qui représentent 52% des motifs de consultation. Ces cocktails chimiques font des dégâts, la moindre agression cutanée est susceptible d'entraîner des taches ou des plaques verdâtres sur la peau, qui donnent l'impression d'une moisissure. Chez les femmes qui s'y adonnent, on remarque des vergetures sur le visage ou des dermatoses dues aux rayons solaires qui ont un impact sur la peau dépourvue de ses défenses naturelles. Les substances chimiques qui entraînent la dépigmentation de la peau sont nocives. C'est le cas des corticoïdes qui sont des anti-inflammatoires. Leur utilisation excessive peut causer le diabète et l'hypertension artérielle. Pour les femmes enceintes, elle pose un danger permanant sur santé de la mère et celle de l'enfant. L'hydroquinone est un anti-septique utilisé pour son agressivité sur la mélanine. Alors que le seuil de tolérance à l'hydroquinone est de l'ordre de 2%, les produits sur les étale contiennent un taux de 15%.Un taux formellement interdit par les normes sanitaires dans la plupart des pays d'Europe. Autre produit, autre poison : la cortisone est un anti-allergique et un anti-inflammatoire qui provoque le vieillissement prématuré de la peau. Le quinocore, l'eau de javel ou les sels de mercure sont d'autres substances également utilisées par les femmes à des fins de dépigmentation. Des substances dont la combinaison est souvent dangereuse et pouvant entraîner un cancer de la peau ou des leucémies (cancer du sang). Au Sénégal comme partout ailleurs en Afrique, les vendeurs de ces produits dépigmentant ne disposent d'aucune connaissance en dermatologie. Pire, ils ignorent parfaitement leur composition chimique.
Devant l'ampleur de ce fléau, les pouvoirs publics observent une omerta totale et semblent ignorer l'étendue des conséquences sociales qu'il engendre. Le décret 79-231 du 9 mars 1979 qui interdit la pratique du « khessal » aux élèves des établissements d'enseignement élémentaire, moyen et secondaire, sous peine d'exclusion temporaire ou définitive reste sans effet. Face aux taux de prévalence actuel, des dispositions juridiques sont nécessaires pour endiguer le phénomène. Au rythme où vont les choses, la femme noire à la couleur café risque d'être une denrée rare.
Baye Makébé Sarr
Source African Global News samedi 23 août 2008