Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Sujets sur le Sénégal

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Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar doudou » Mer Mai 14, 2008 4:17 am

PS.Je recueille les chroniques de SJD que je rate jamais

[ C H R O N I Q U E ] - Les incuries d’Augias par Souleymane Jules Diop Jeudi 8 Mai 2008

« La guigne ne s’acharne que sur la bêtise »
Jules RENARD




Après avoir suscité la consternation dans le monde des organisations internationales, c’est la pitié qu’Abdoulaye Wade inspire. Voilà ce qu’il mérite : de la compassion. Il doit être très douloureux de descendre aussi bas qu’il le fait, quand on occupe une position aussi élevée que celle de « président de la République ». Wade aimait rappeler à ses visiteurs du soir qui élevaient le ton que « n’oublie pas que je suis le président ». Il ne l’aura jamais été finalement, de tout son règne. Toujours dans les bois, en train de chercher le petit fagot. Voilà un homme qui accuse tous les jours la solitude de l’habiter, et qui ajoute tous les jours de nouveaux ennemis à son voisinage. Je ne veux pas dire que les accusations portées contre la Fao ne sont pas fondées. C’est une mauvaise prose pour une bonne cause, celle de la réforme. Mais tout le monde connait ce professeur de vertu. Il ne se sert jamais de sa science. Cette réforme, nous l’attendons depuis 8 années dans notre propre pays, dans nos propres institutions. Que l’argent des sénégalais aille aux sénégalais, et pas dans les poches de quelques politiciens véreux. Mais le président de la République fait maintenant feu de tout déboire. Tout le monde est coupable, ou plus coupable que lui. Le pauvre Jacques Diouf est devenu, à son corps défendant, son bouc émissaire principal. Les Ong, des ventouses posées sur le dos des Etats africains, qui sucent tous les financements et les détournent dans des dépenses de fonctionnement inutiles. Cette accusation est en partie vraie, mais elle n’est pas tout à fait juste. Je suis choqué par les publicités d’Ong qui inondent les télévisions occidentales. Je sais que toutes les sommes récoltées ne vont pas aux enfants « affamés » d’Afrique; que tous les enfants africains ne sont pas des affamés; que tous les enfants affamés ne sont pas des africains.

Mais à quoi bon ramener ce débat sur la Place publique ? Il est d’autant plus inutile que les Ong empruntent des circuits de financement complètement différents des modes de financement traditionnels des pays du tiers monde. Elles ne peuvent pas gêner les Etats, elles ne peuvent que les accompagner. Durant les années d’ajustement structurel marquées par le désengagement de l’Etat de secteurs vitaux comme l’Education et la Santé, ces organisations ont joué un important rôle d’appoint. Le procès en sorcellerie qu’on leur intente est malhonnête et injuste. Le président de la République aime bien afficher son populisme aseptisé, mais il a tort de le faire.

Abdoulaye Wade a lui-même survécu et le Pds avec, grâce aux Ong. Il avait, au début des années 80, lancé l’Institut sénégalais d’éducation pour la formation et l’information, ISEFI. Le Pds n’a jamais formé, encore moins informé personne, mais son institut recevait 20 millions tous les mois, gracieusement versés par la Fondation Naumann. C’est grâce à ces financements que Wade a cessé de travailler et fermé son cabinet de la rue Thionk. Quand Fournier, le représentant de la fondation à Dakar a bloqué les financements suite à des accusations de mauvaise gestion, il a été violemment pris à partie et prié de quitter le Sénégal par les escouades du Pds. L’entrée de Wade dans le gouvernement dit « d’union » n’avait pas d’autre explication. Le Pds n’avait plus d’argent. Mais jusqu’à la fin des années 90, il continuait de vivre des petites miettes que lui donnaient des Ong comme le CRDI où était un certain... Jacques Habib Sy ! C’est vous dire la malhonnêteté qui entoure ce sujet. C’est un pirate des mers qui se noie. Il est prêt à s’agripper à tout, même à une planche pourrie. Il crie sous tous les toits qu’il n’y a pas de famine au Sénégal, que jamais de son vivant il ne demandera de l’aide à la communauté internationale. Mais dès qu’il reprend ses esprits, il prend des haut-parleurs pour accuser la Fao de non-assistance. Je connais toute l’admiration que Jacques Diouf éprouvait pour le « leader tiers-mondiste ». Il admirait Wade, et Wade le méprisait. Mais la Fao est sans doute loin d’être responsable de la situation catastrophique que vivent les Sénégalais.

Au moment où les populations ont besoin de leurs administrations locales pour faire à une situation inédite, le président de la République les décapite une à une. C’est le comble de ce remue-ménage. S’il demandait à tous les Maires de se rapprocher de leurs administrés pour connaître leurs besoins, les populations auraient applaudi. J’ai toujours soutenu dans ces colonnes que la fonction de Maire est une fonction à temps plein. Au Sénégal, les salaires ne sont pas payés au mois, ils sont payés à l’heure de travail. Je trouve inadmissible qu’Idrissa Seck soit payé à passer du bon temps avec sa famille à Compiègne. Depuis qu’il a été élu Maire il y a 5 ans, l’ancien Premier ministre n’a participé qu’à deux réunions. Son remplaçant immédiat est malade depuis deux mois, et la Municipalité peine à fonctionner normalement. Mais le président de la République est le premier responsable des dysfonctionnements de nos Municipalités. Quand il est arrivé en 2000, il a porté des indemnités mensuelles de 45 000 francs Cfa à 800 000, et fait voter une loi qui permet le cumul des fonctions et des mandats. C’est ainsi que cette fonction sacerdotale qu’on embrassait pour servir est devenue la convoitise d’affairistes de la trempe de Maniang Faye.

Mais le problème des Mairies n’est pas un problème d’homme, c’est un problème structurel lié aux lois qui régissent leur fonctionnement. Je disais il y a un mois ma stupeur quand j’ai vu que dans le nouveau budget de la région de Dakar, un milliard est consacré au fonctionnement, et 200 millions aux investissements. C’est comme si vous payiez à un entrepreneur le prix d’un château pour vous creuser un trou de serrure. Je comprends que des gens dont la carrière est de faire la politique se tuent pour occuper ces fonctions. Elles donnent droit aux indemnités de fonctionnement, aux contrats juteux et aux... emplois fictifs.
Malgré tout, je trouve tout de même injuste qu’on veuille régler des comptes politiques par des moyens illégaux, en prétextant des « blocages ». Surtout qu’au même moment, aucune réponse n’est apportée au blocage du Parlement, qui fait face à un, vide juridique étonnant. L’Assemblée nationale et le Sénat fonctionnent dans une parfaite absence de textes réglementaires. Les lois entrent en vigueur sans être promulguées, appliquées aux citoyens sans la moindre publication dans le journal officiel. Eh bien, il faut mettre de l’ordre dans ce poulailler où s’échauffent deux coqs de basse-cour, avant de s’attaquer aux privilèges des petites gens.

Je ne sais pas si Abdoulaye Wade se rend bien compte de la fierté avec laquelle chaque élu porte son élection qu’il tient jalousement de la population locale, de la petite indemnité des petits montants récoltés par le percepteur. Il ne doit pas se rendre compte des centaines de familles à l’échelle nationale qu’il envoie injustement au chômage, pour coller aux ambitions de son fils. C’est ce mythe local qu’il est en train de détruire avec son alchimie de politicien. Les municipalités ont toujours été des lieux où justement le parachutage n’a jamais marché. Les conflits électoraux ont souvent fini dans des bains de sang, parce que les populations tiennent à leurs terroirs et à ceux qui en sont le symbole. Ca, le président de la République ne le sait pas, parce qu’il n’a jamais été un élu local. Vouloir imposer des inconnus comme il avait voulu le faire en envoyant Abdou Fall à Thiès et Lamine Bâ à Louga est une sorcellerie de mauvais goût. Un Conseil municipal, c’est une Assemblée d’élus. Ce ne sont pas des flagorneurs parachutés de Dakar pour administrer des inconnus.

C’est pourquoi il reçoit toujours des rapports qui lui disent ce qu’il veut entendre : le pays va bien, il n’y a pas de famine. Vous avez entendu les déclarations de son ministre de la Communication à la télévision française ? La majorité des sénégalais crie famine, et le porte-parole du gouvernement l’accuse de trop manger. Qui a dit ça ? Aziz Sow, un ancien membre de la section sénégalaise de la IVe internationale élevé sous Trotsky, désidéologisé sous Wade. Les Sénégalais ne voudraient pas assez de riz, ils en voudraient trop, et passeraient des heures à en manger ! Mais croyez-moi, cette incurie, il la tient de son maître. Cette semaine, ils étaient en fête à Sorano. La semaine prochaine, ils s’en iront tous à Paris fêter en grandes pompes « la vie et l’œuvre de Wade » . Peut-être l’occasion de revisiter cet homme. Professeur, il a déserté l’université. Avocat, il a déserté le barreau. Député, il a déserté l’Assemblée nationale. Ministre d’Etat, il a déserté les ministères. Voilà que nous en faisons un président, et il exerce son mandat à l’étranger.

SJD
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Messagepar doudou » Mer Mai 14, 2008 4:19 am

[ C H R O N I Q U E ] L’héritier de Mugabe
Souleymane Jules Diop Vendredi 2 Mai 2008


« Tant d’énergie est dépensée pour
que tout soit bien immobile »
B. WERBER


Nous sommes si habitués à la sottise ordinaire, que la bêtise ne nous émeut plus. Nous vivons avec comme un fait de culture. Mais ce qui s’est passé entre Awa Ndiaye et Aminata Lô méritait plus qu’une petite lucarne dans la section des petits faits divers. Le président de la République ne peut pas non plus traiter cette affaire grave comme s’il s’agissait d’une querelle de ménagères à la borne-fontaine. C’est la crédibilité de tout son gouvernement qui est engagée. Si Abdoulaye Wade veut montrer que la charge ministérielle a ses exigences, il en a l’occasion. Il ne le fera pas, parce qu’il n’en a plus l’autorité. Depuis leur nomination au sein du gouvernement contre les avis de tous les enquêteurs, ces deux femmes se sont mises au service de la nébuleuse Génération du concret au lieu de se mettre au service de l’Etat. Elles ont toutes les deux la particularité d’appartenir à la cavalerie étrangère, prête à être montée en tout temps. Aucun passé glorieux, aucun mérite, si ce n’est celui d’avoir croisé un jour le chemin de Cheikh Tidiane Gadio et de Karim Wade.

Et croyez-moi, elles auront les félicitations personnelles d’Abdoulaye Wade au prochain Conseil des ministres. L’ordre ancien, constitué des amazones de la première heure, a laissé la place au nouvel ordre féminin à la vue aussi courte que la jupe. On ne va plus en Conseil des ministres pour rendre compte de l’état des dossiers et coordonner les activités gouvernementales. Cette rencontre du jeudi est devenu un défilé incessant de sacs à main Versace et de lunettes de soleil Coco Chanel. Celles qui l’ont le mieux compris y vont en grand boubou de soie et en porte-jarretelles pour séduire « le professeur ». Depuis l’apparition du silicone et du bistouri en Conseil des ministres, l’ordre protocolaire a changé. L’esthétique et le genre ont pris le dessus sur la rationalité et l’efficacité gouvernementales. C’est pourquoi les enquêtes de moralité n’ont plus aucune importance. C’est le « concret » qui compte ou le... comptant.

Ce que la Salle des banquets offre et que la salle du Conseil des ministres n’offrait pas c’est ce face-à-face possible qui permet au président de la République de dire, comme arraché à profonde méditation, « mais où sont mes femmes » ? Les convictions féministes d’Abdoulaye Wade sont très encrées. Le 03 juillet 2003, à son retour du sommet de l’Union africaine, il avait profité d’une question sur la présence des femmes dans les instances de l’Ua pour féliciter les femmes de son gouvernement qui venaient lui « poser des questions », ce que les hommes ne faisaient pas. C’est ce qui arrive quand le président de la République chante les mérites d’une « certifiée en cosmétique » et traite des licenciés en droit diplômés de l’Enam de « nuls ». C’est ce qui fait qu’une Aminata Lô, sortie des usines de fabrique de la Génération du concret avec son « deug » en pharmacie, est plus digne d’éloges que le « licencié » Moustapha Niasse. Ousmane Sèye a raison de tirer la sonnette d’alarme après les sorties remarquées du jeune Massaly et de Pape Samba Mboup. Mais l’assèchement intellectuel est un fait ancré chez les libéraux. Pape Samba Mboup est devenu une voix autorisée au sein de cette République. Les journaux ont une fois relaté, briefés sans doute par les gendarmes de faction à la présidence, que le ministre chef de cabinet voulait s’y introduire avec une prostituée. Mais là où je trouve les journaux injustes avec Pape Samba Mboup, c’est de ne s’être pas interrogés pour qui il faisait entrer cette prostituée à la présidence, puisqu’il n’y avait pas de chambre, et n’y avait pas élu domicile. Il y a une grande urgence à ramener l’éthique au cœur de la République. Cette course à la morale de caniveau ne peut pas continuer. Mais tous ces gens à la morale à un franc ont trouvé en Abdoulaye Wade un homme comme eux. Personne n’était jamais allé aussi loin dans le sacre de la bêtise. Tout ce qu’ils ont besoin de savoir, et qu’ils apprennent avec rigueur leur premier jour de classe, c’est « traduire la vision du président de la République ». Mais le président de la République n’a pas une vision, il a une illusion.

Il y a une semaine, c’est Farba Senghor qui donnait des leçons de réalisme gouvernemental à l’ancien « premier-ministrable » Sourang. Un mois auparavant, c’est Cheikh Tidiane Gadio qui étalait au grand jour ses conflits avec le tout puissant Karim Wade. Le gouvernement ne fait plus rien. C’est Karim Wade qui règle les accords avec Dubaï, qui se retrouve le lendemain aux Ics pour annoncer la recapitalisation de l’entreprise. Une indécence de plus, après les misères que son ami Godard a causées à ces pères de famille. Là aussi, Ousmane Ngom arrive en organisateur. La machine à fabriquer les cartes nationales d’identité pour laquelle il avait facturé le contribuable 26 milliards de francs Cfa est en panne. Depuis un mois, le Sénégal ne produit plus de carte d’identité, la merveille « De la rue » et des enfants de Cheikh Tidiane Sy.

J’avais écrit dans ces mêmes colonnes qu’Adjibou Soumaré ne nous apporterait rien de bon. J’ai essuyé les critiques de tous ceux qui voyaient en lui un « grand commis de l’Etat ». A ce niveau de la République, il faut avoir du caractère. Cet homme n’en a pas. Il faut savoir dire non à Abdoulaye Wade quand il le faut. Cet homme ne le fait jamais. Il avait le bon profil pour nous laisser aller à la catastrophe sans broncher. Il dirige maintenant de petits voyous qui travaillent chacun à son propre compte en banque. Tous les jeudis, Abdoulaye Wade les réunit pour des séances jubilatoires, avec son orgie de réformes en tout genre : tantôt du manioc, tantôt du tabanani, tantôt du bissap. Pour briller sur tout le monde, il faut avoir une bande de médiocres. Parmi les rares qui peuvent se prévaloir d’une certaine expérience, il y a deux catégories : ceux qui comme Abdoulaye Diop et Cheikh Tidiane Gadio, veulent partir, pour ne pas être comptables de cette fin de règne tragique. Les autres, Djibo kâ et Abdourahim Agne, veulent y rester, mais le Sopi qu’ils avaient combattu hier ne veut plus d’eux. Changer ce gouvernement est de la plus grande des urgences. Mais pour mettre qui ? Pour la première fois, entrer dans un gouvernement d’Abdoulaye Wade ne suscite aucun intérêt, aucune passion. Comme si espérer nous était devenu impossible. C’est l’inconvénient d’avoir suscité trop d’espoirs et fait trop de promesse sans en tenir une seule. Ce plan Goana chanté sous tous les toits sera malheureusement sans aucun effet. Parce qu’il est le premier à ne pas y croire. On ne peut pas passer de 40 000 hectares de terres aménagées à 240 000 en un clin d’œil. Et tous les experts savent que la production de riz ne devient rentable qu’à partir de quatre tonnes à l’hectare. Il n’y a aucun producteur de la vallée qui fait plus de deux tonnes à l’hectare. Si ce riz venait à être produit, son prix de revient serait tellement élevé qu’il serait hors de portée des ménages. Toutes ses réformes engagées en grandes pompes finissent en eau de boudin. Il va permettre à des clients du régime de s’enrichir, et au pays de s’endetter davantage. La politique et le calcul sont chez cet homme deux faces d’une même raquette. Tout ce qu’il cherche à régler, c’est le mécontentement, pas les causes du mécontentement : distribuer un peu de riz aux paysans, des véhicules aux mouvements associatifs, en pensant qu’ils vont se taire et le laisser régner. Il vient de rééditer le coup avec les syndicalistes, en les gavant d’argent pour les diviser. Tous ceux qui n’obéiront pas à cet ordre implacable seront pris pour des ennemis, même dans son propre camp.

L’histoire est tellement remplie d’ironie. Il y a une dizaine d’années, c’est au nom d’une grande offensive agricole que Robert Mugabe a chassé les grands propriétaires de leurs terres pour les distribuer, disait-il, « au peuple ». Ce dictateur sans vergogne a conduit son pays à la ruine totale. Il est devenu l’ami intime d’Abdoulaye Wade, le seul qui lui reste. S’il y a une grande offensive à mener, c’est contre ce régime qu’il faut la mener.

SJD
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar doudou » Mer Mai 14, 2008 4:20 am

La cheap thérapie
Souleymane Jules Diop Jeudi 24 Avr 2008

« Voilà l’homme tout entier s’en prenant
à sa chaussure, alors que c’est
son pied qui est responsable »
Samuel BECKET



Il y avait de bonnes raisons de s’inquiéter de la vitesse avec laquelle la situation du pays se détériore. Il y en a une nouvelle, sans doute plus alarmante : c’est la désinvolture avec laquelle le président de la République change tous les jours de problèmes et de solutions. Hier il ne voulait pas de l’aide internationale, aujourd’hui il en demande à l’Inde. Hier il annonçait la production de 500 000 tonnes de riz par an, il veut maintenant en importer 600 000 par an. Tout ce qu’il dit la veille ne l’engage pas le lendemain. Mais ceux qui croient à ses cargaisons de riz indien doivent tempérer leur enthousiasme. Ce que Wade évoque comme une solution est une partie du problème. L’Inde est à l’origine de la flambée du prix du riz sur le marché depuis sa décision prise en octobre 2007 d’interdire ses exportations de riz, à l’exception du Basmati, hors de portée des ménages. Les autorités indiennes avaient une bonne raison de le faire. La production mondiale a encore baissé en 2007, menaçant de faire de ce deuxième producteur mondial un importateur de riz. C’est par mesure de sauvegarde que l’Inde a décidé d’arrêter ses exportations, pour répondre aux besoins de son milliard de consommateurs. Mais il y a derrière cette décision des arrière-pensées financières que les autorités indiennes n’ont jamais cachées. En bloquant les exportations, les Indiens ont provoqué une grande spéculation sur les céréales qui profite à tous les grands producteurs. Ils ont créé l’Opep du riz, exactement dans le même scénario que celui de 1973, et d’autres pays vont bientôt les rejoindre.
L’Inde ne peut pas, alors que le prix du riz atteint 1000 dollars la tonne sur le marché mondial du fait de sa rareté, nous promettre 600 000 tonnes tous les ans et à des prix préférentiels. Ce ne sont pas des décisions qui se prennent sur un coup de téléphone. Le riz indien n’appartient pas à l’Etat indien, il appartient à des producteurs indépendants qui vendent au plus offrant. Aux Etats-Unis, les grands distributeurs ont commencé le rationnement du riz, vendu au compte-goutte et à un prix élevé. Le Brésil a décidé mercredi de suspendre ses exportations pour les mêmes raisons, satisfaire ses besoins intérieurs et prévenir toute pénurie sur le marché. Penser un seul instant qu’on peut indiquer à ces producteurs la destination exclusive de leur riz relève d’une grande naïveté. Penser qu’assurer 600 000 tonnes au Sénégal pendant 6 ans peut se décider sur un simple coup de fil relève de l’enfantillage.

Maître Wade voit parfois la vie avec les yeux d’un enfant. Il y a deux ans, il est revenu d’une tournée mondiale avec la promesse de bateaux pleins de pétrole, dont deux « avaient » déjà pris le chemin de Dakar. Je ne doute pas de sa bonne foi. Mais ce qui inquiète, c’est le temps qu’il a fallu à cet économiste émérite qui rappelait la semaine dernière à des journalistes français qu’il était « doué en maths sup », pour savoir que les Etats membres de l’Opep ne peuvent pas donner gratuitement leur pétrole. Il avait, avec la même légèreté, en présence d’experts venus de toute l’Afrique, annoncé qu’il ferait du Sénégal un exportateur de pétrole « dans quelques mois ». Ce qui fait croire au président de la République que tout lui est possible, du règlement du problème palestinien à l’invention de la « Wade formula », c’est l’illusion de sa toute puissance. Il nous mène en bateau. Et, personne ne doit le souhaiter, mais il nous mènera au naufrage. Évidemment, on ne peut pas juger le président de la République et absoudre le « grand ingénieur » qui lui prodigue ses conseils avisés en matière financière. Karim Wade est le complice de cette marche inéluctable vers les abîmes. Et au moment où le pays subit les conséquences de huit années de cabotage hasardeux, il est caché dans son petit paradis, pour laisser passer la tempête. Quand il fera plus beau, on le verra de nouveau en costume et lunettes de soleil entouré de ses gardes du corps.

On croyait Abdoulaye Wade un vendeur de rêve. C’est un vendeur d’illusion. Le rêve procède de quelque chose de plus noble, il nait d’une vision. L’illusion procède d’un aveuglement. Il n’y a rien dans son plan Goana qui tienne. Il avait floué les égyptiens en 2004, en leur faisant croire qu’il avait 500 mille tonnes de Maïs, sur un objectif fixé à un million de tonnes. Quand les égyptiens sont venus lui acheter sa production, ils se sont rendu compte que nous n’avions même pas produit le quart. La réalité est que la production céréalière du Sénégal a baissé de façon vertigineuse depuis 2000, du fait d’une politique agricole hasardeuse.

Il ne faut pas souhaiter le pire quand il y a déjà le mal. Mais au rythme où vont les choses, sa Goana sera de la pure agonie. Nous n’avons pas les moyens financiers de juguler cette crise. Nous ne pouvons rien contre un kilogramme de riz à un dollar américain. Mais nous pouvons la rendre moins insupportable. Le président de la République parlait de l’organisation de semi pensions dans les écoles. Ce n’est pas impossible. Avec 5 milliards de francs, il est possible de faire manger un sandwich par jour à 50 000 jeunes des écoles Primaires et secondaires pendant 200 jours dans l’année. C’est un bon moyen de mesurer la portée que peut avoir sur le destin de ce petit pays la décision de détourner les 7 milliards offerts par Taïwan pour les placer dans un compte à Nicosie.

Il y a des choses simples qui sont encore faisables. Rien ne justifie la taille gigantesque de notre gouvernement. Si la France peut vivre avec 15 ministres et les États-Unis avec 14, je ne vois pas pourquoi ça nous ferait du mal. Nous avons un Sénat inutile et des sénateurs payés à ne rien faire. Ce serait courageux de reconnaître l’impasse dans laquelle nous sommes engagés, et faire marche arrière sur ces questions comme sur l’augmentation du nombre de députés. On ne verra malheureusement jamais Abdoulaye Wade se remettre en question. Il aura toujours une solution à lui. Tout le monde a tort à ses yeux. Le Pam a tort, la Fao a tort, les Ong ont tort, l’opposition a tort. S’il y a un des aspects positifs à cette crise, c’est de révéler enfin cet homme au monde entier. Aller d’une si grande fascination pour l’opposant à un si grand mépris pour le président de la République a quelque chose de tragique. Il n’a de son pouvoir que la crainte de le perdre. Tous ceux qui le menacent sont des ennemis. Nous l’aurions pris pour un martyr s’il n’avait pas été président pour se révéler sous ses véritables traits. L’issue de cette grande aventure que nous avons tentée il y a 8 ans est catastrophique. Le sort de cet homme l’est encore plus. Il joue son propre sort, dans sa propre tragédie. Mais le plus grand mal, Wade ne l’a pas fait aux adultes qui ont fini d’espérer. Il l’a fait aux enfants et aux jeunes, qui n’ont plus aucune raison d’espérer. Les crises d’hystérie sont des crises d’angoisse. Les enfants portent dans leurs sacs à dos la misère de leurs parents. Il y a quelques années, Lamine Guèye était le fleuron de la moyenne bourgeoisie. Les enfants y mangeaient en cantine, s’ils n’habitaient pas dans les maisons environnantes. Cette classe moyenne s’est effondrée pour laisser un trou béant entre les nantis et les autres. Les crises d’hystérie ont atteint les régions, preuve que la misère s’est elle aussi généralisée. Vous ne verrez jamais parmi ces enfants hystériques les protégés du nouveau régime. A la question de savoir comment mettre fin à ces crises d’hystérie dans les écoles, le psychologue Serigne Mor Mbaye vient de proposer une solution originale : organiser des séances de « Ndëpp » dans les écoles ! Cette « cheap thérapie » aurait pour effet de chasser le diable des écoles. Mais c’est de la présidence qu’il faut le chasser !

Auteur: Souleymane Jules Diop
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar doudou » Mer Mai 14, 2008 4:21 am

Qui sème le ventre...
Souleymane Jules Diop Jeudi 17 Avr 2008

« C’est un grand avantage dans les affaires
de la vie que de savoir prendre
l’offensive : l’homme attaqué transige toujours »
B. CONSTANT


Il souffle sur le pays un vent de révolte qui, s’il n’est pas maîtrisé, n’épargnera personne, pas même ceux qui pensent qu’ils sont très en sécurité dans leurs terrasses fortifiées. Les météorologues de la politique ont tous donné un avis de tempête. « On ne sait pas quand, mais ça va venir », a dit un historien. Mais c’est déjà venu ! A quoi assistons-nous depuis quelques semaines ? A une chasse à l’homme entre accusateurs et accusés. On ne se cache plus pour proférer des menaces de mort, et quand on possède un fusil, on le brandit publiquement. C’est la meilleure arme de dissuasion massive. Et ces gens ont raison. On ne peut pas s’armer de patience quand on a comme voisin Clédor Sène et Assane Diop. Soyez d’accord avec moi, pour beaucoup moins que ça, Barthélémy Dias avait été jeté en prison. Les limiers avaient perquisitionné son domicile dans des circonstances qui frisaient le banditisme d’Etat. Maintenant que le responsable des Jeunesses socialistes avoue qu’il a son arme sous l’oreiller, on le laisse dormir en paix. Il a suffi qu’il dise sur les ondes des radios que son ami Malick Seck aussi a un pistolet pour que ce dernier soit libéré dès le lendemain. Depuis qu’à la tête de jeunes très déterminés il a menacé de mettre le feu au pays si leur marche est interdite, la police traite Barthélémy Dias avec tous les honneurs, sur ordre sans doute « d’en haut ». Il y a juste un an, ses propos distillés dans tous les médias auraient été accueillis avec des cris d’indignation et de réprobation. On loue maintenant le courage de ce jeune homme devenu à lui tout seul le front de libération nationale. Si Barthélémy Dias défie l’autorité de cette façon, c’est qu’il n’y a plus d’autorité. On ne peut pas laisser dans la nature des muchachos qui menacent ouvertement de mort d’humbles citoyens, et reprocher à ces citoyens le droit de trouver les moyens de leur défense.

Dans un pays qui se respecte, le porte-parole de la police ne fait pas un communiqué pour dire d’un citoyen menacé publiquement de mort, qu’il fait « de la diversion ». Un Etat cesse d’exister quand il cesse d’exercer le monopole de la violence. Ce qui fait que nous soyons en République, c’est que quand le voisin nous cause du tord, nous nous en remettons à une Justice et à une force qui, parce qu’elle est publique, elle est là pour tous. Elle est morte depuis longtemps cette Justice, et nous assistons impuissants à son enterrement.

Que s’est-il donc passé ? Rien, si ce n’est l’affaissement du socle républicain sur lequel nous étions assis. Une vendetta d’Etat comme celle qu’avaient menée les hommes d’Ousmane Ngom dans les locaux de Walf-Tv laisse la place à une vendetta populaire. Ce sont des citoyens ordinaires qui deviennent les justiciers de leurs propres causes. Il n’y pas une définition plus précise de qu’on peut appeler une révolte populaire, et c’est ce à quoi nous assistons depuis quelques temps. Ca n’arrive pas, c’est déjà arrivé. L’Etat a foutu le camp. Ceux qui agissent en son nom sont des groupuscules mafieux qui ne font plus peur à personne malheureusement. Nous en sommes arrivés à un tel degré de déliquescence que la parole présidentielle ne vaut plus rien. Après nous avoir demandé de patienter jusqu’en 2015, le chef de l’Etat nous demande de nous en remettre à Dieu : « aucune manifestation ne peut régler les problèmes, il faut que les gens retournent à Dieu, et nos problèmes seront réglés ». Voilà Abdoulaye Wade tout recraché, avec sa mauvaise foi qui ne le quitte jamais.

La situation de pauvreté et de misère que nous vivons n’est pas nouvelle. Depuis huit ans, la priorité a été donnée au train de vie princier du président de la République et de ses courtisans. Ce qui est nouveau, c’est que même ses supporteurs du 25 février ne peuvent plus supporter son arrogance. Ce n’est pas une simple question de « contexte mondial ». Ce pays a vécu dans son histoire des situations beaucoup plus difficiles. Quand la souffrance peut se justifier, elle devient une épreuve de sanctification. Mais ce qui est insupportable, c’est l’injustice qui s’ajoute à l’extrême pauvreté des ménages. Le président de la République a gaspillé les ressources du contribuable comme jamais personne ne l’a fait. Des centaines de véhicules de l’Etat ont été offerts à des particuliers pour en acheter d’autres, son avion a été réfectionné à coups de milliards pour rien, des dizaines de millions offerts aux militants pour leur transport. L’année dernière encore, le président de la République a « offert » 400 VUS à des présidents de communauté rurale dans les villages lointains où il manque de l’eau potable. A cela s’ajoute le doublement du salaire des ministres et des députés, des officiers supérieurs de l’armée, la création du Sénat, le retour du Conseil économique et social que rien ne peut justifier. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, les 40 chefs de parti qui le soutiennent dans son entêtement sont entretenus avec l’argent du contribuable. Sur tout cela, il n’est pas capable de la moindre comptabilité.

Il n’y a rien pour raisonner Abdoulaye Wade. Il vient de persister dans la bêtise, en faisant étalage de l’immensité de sa richesse à l’occasion du décès d’Abdou Latif Guèye. Je ne reviendrai pas sur les propos irresponsables prononcés à cette occasion. Car dire qu’on l’a trompé sur Latif Guèye, c’est avouer qu’il l’a lui-même mis en prison. Mais ce qui est inadmissible, c’est l’étalage de richesse auquel le président de la République se livre quand il va à des funérailles, avec des promesses qu’il ne tient jamais. Vous imaginez ? Onze millions pour célébrer un deuil. Pardonnez-moi cette indécence. Mais c’est une insulte aux gens qui survivent dans les campagnes que de donner autant de millions à un mort. Cet homme a cette mauvaise habitude de ne rencontrer ses anciens compagnons qu’à la morgue et de les habiller de superlatifs.

Le président de la République ne donne malheureusement pas l’impression de prendre conscience de l’ampleur des dégâts. Il a encore traîné sa cinquantaine de collaborateurs à la Mecque, toujours aux frais du contribuable. Abdoulaye Wade est le seul chef d’Etat à se rendre à la Mecque avec sa horde de conseillers deux fois par an, tous frais payés. Aucun pays, soit-il le plus riche du monde, n’aurait pu supporter son train de vie dépensier. Pas même le roi d’Arabie, qui doit se poser des questions sur la fréquence de cet homme sur ses terres. Je l’ai entendu dire à des journalistes d’une radio étrangère qu’il va faire cette année « le tour des Caraïbes ». C’est exactement ce qu’il a dit, « le tour des Caraïbes », pendant que le pays entier souffre de la hausse des prix des denrées. N’importe qui à sa place aurait fait preuve d’un minimum de bon sens. Pas lui. Voilà des années qu’il nous promet des bateaux de pétrole. Il y en a deux qu’il a annoncé il y a deux ans, venant de Malabo et de Tripoli. C’est seulement ce mercredi qu’il découvre que les pays membres de l’Opep n’ont pas le droit de « donner » leur pétrole ! Peut-être qu’il nous révèlera un jour son secret de fabrication. Il dépasse toujours nos prévisions.

Un collaborateur du président de la République attirait justement l’attention de Pape Samba Mboup sur la hausse du prix de l’essence, pour une fois qu’il tentait d’avoir avec le ministre chef de cabinet un débat élevé au-dessus du bas-ventre. Il lui a rétorqué que le litre de super « coûte moins cher que le litre de vin rouge ». Il faut être poilu partout pour tenir de tels argumentaires. Mais ce sont des gens de cet acabit qui décident tous les jours de notre avenir. Ils n’entendent pas les cris de désespoir venus de Diakhao et de Niakhar. Si dans le berceau de la royauté sérères, ces dignes paysans crient famine, c’est qu’il y a lieu de prendre très au sérieux la situation du pays. C’est vous dire combien il serait dangereux de réduire cette grave crise à un phénomène urbain qu’on peut régler en baissant le prix du loyer. C’est une façon stupide de libérer Abdoulaye Wade d’une charge qu’il doit supporter pour la faire porter à d’autres. Nous avons raté l’occasion de lui signifier un non clair et précis le 25 février 2007, mais ça ne lui donne pas droit à tous les excès.

Auteur: Souleymane Jules Diop
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar doudou » Mer Mai 14, 2008 4:22 am

Par là la sortie, Président
Souleymane Jules Diop Jeudi 10 Avr 2008

« Tout captif porte dans sa main gauche
le pouvoir d’anéantir sa servitude »
SHAKESPEARE



Vous savez quoi ? Je pense qu’il faut aller prendre Abdoulaye Wade par le collet, le conduire dans les sites enfouis de Bel Air pour lui mettre le nez dans ce que ses concitoyens mangent depuis maintenant plusieurs mois. Quand on passe par la Corniche, la voie de « détournement » qui borde la cité « alternance », on peut, je le confesse, qualifier les journalistes qui traitent l’actualité sordide de ces dernières années de menteurs. Les beaux pavillons s’enchevêtrent, et chaque parcelle de terre est achetée puis revendue à prix d’or. La maison de Pape Diop y côtoie celle d’un autre, puis d’un autre. Et depuis que l’espace est devenu une denrée rare, la foire de Dakar et le cimetière chrétien sont devenus la grande convoitise des spéculateurs de tout poil. Dire à ces gens qui mangent du beurre le matin et du chou gratiné à la béchamel le soir que le pays va mal, c’est leur planter un steak de plus dans l’assiette. Vous êtes en wadoland où les nombreux alliés se trémoussent tous les matins en attendant le caviar. Ceux qui ne sont pas du gouvernement sont de la Cap 21. Ils se partagent tous les mois une tonne de riz « Caroline » et chacun reçoit 400 000 francs Cfa, moitié Présidence de la République, moitié Assemblée nationale.
Le nouveau régime a réussi la plus grande fumisterie de l’histoire de l’urbanisme. Il a pavé le chemin qui va de l’aéroport au centre-ville de belles routes et de belles maisons habitées par de nouveaux riches. Au point où tous ceux qui reviennent de Dakar vous répètent la même chose : « eh ben dis-donc, l’alternance, ils ont vraiment fait des efforts ! » Oui, ils ont fait beaucoup d’efforts pour les riches. Mais rendez-vous à Medina Gounass ou à Bagdad dans la banlieue de Guediawaye où vit le quart de la population du pays. Les cours des maisons sont enfuies dans des immondices, et les enfants font leurs toilettes dans l’eau stagnante qui inonde leurs maisons. Vous reviendrez écœurés et dégoûtés. Figurez-vous que pendant que les nouveaux humanitaires décavent du riz pourri pour le revendre à 150 francs dans ces zones insalubres, les plus nantis mangent leur Tiebu-Jën avec du basmati à 2500 francs le kilogramme. Pour eux, la révolution agropastorale qu’Abdoulaye Wade veut enclencher dans les rizières de l’Anambé et les fermes de Niacoulrab peut attendre au-delà de 2015. C’est ce que j’ai trouvé de plus blême dans l’adresse du président de la République à la Nation. Abdoulaye Wade possède depuis 1958 un verger dans l’une des zones les plus fertiles du pays. Il l’a toujours laissé à l’abandon avant de le vendre. Il n’y a jamais cultivé la moindre patate. Il n’a jamais investi ses milliards qu’il proclamait partout dans la moindre unité agro-industrielle. Depuis que cet homme est au pouvoir, il n’y a pas eu la moindre ébauche d’une tentative de mécanisation de notre agriculture. Les rares matériels agricoles offerts par les indiens destinés à nos paysans ont été détournés par ses proches. Depuis deux ans, il a signé avec les espagnols une entente qui envoie les forces vives de ce pays dans les champs agricoles d’Espagne. Les paysans sont laissés à leur propre logique de survie, livrés à des spéculateurs qui les dépouillent en leur laissant des bons souvent impayables. En quatre ans, il nous a mis dans des programmes de production de maïs, de manioc et de bissap. Ce n’est que quand une crise alimentaire de grande ampleur menace à nos portes qu’il découvre finalement que nous avons une vocation pour le riz.
Quand il marchandait la reprise des relations diplomatiques avec la Chine, il a oublié tous les programmes d’encadrement engagés par Taïwan dans les rizières de Casamance et de la Vallée. Il ne voyait que les cadeaux qu’il allait recevoir des mains des chinois. Mais ce que Wade a trouvé de plus fort à faire, c’est de nous envoyer son nouvel idéologue Bara Diouf répéter aux oreilles de nos pauvres paysans les insultes inacceptables de Nicolas Sarkozy. Le même Abdoulaye Wade qui nous disait en juillet 2003 qu’il avait révolutionné l’histoire de la pluviométrie de ce pays avec les bassins de rétention et les pluies provoquées, reproche à nos paysans leur soumission aveugle aux saisons qui se répètent inlassablement. C’est un peu reprocher à des victimes d’être des victimes : « tenez-vous bien, si la famine vous frappe, vous en serez les seuls responsables, parce que vous êtes soumis aux saisons ». Mais quelle mauvaise foi ! On ne peut pas tenir tout un peuple comptable des mensonges d’un seul homme.

Ce qu’Abdoulaye Wade envisage encore comme un avenir reluisant risque d’être plus qu’une catastrophe humanitaire. Au fond, pas pour les raisons souvent invoquées. Il est vrai que la rareté des céréales aura un impact dramatique dans une cinquantaine de pays dans le monde, parmi lesquels le Sénégal. Mais le plus grave, c’est l’état de délabrement du trésor public. Pendant que la Banque mondiale alertait la plupart des Etats sur la crise à venir, Abdoulaye Wade utilisait les milliards de l’Etat pour s’acheter son nouvel Airbus. Les ressources de l’Etat ont été systématiquement pillées pour assurer sa vie de cour. Ces problèmes n’ont évidemment rien à voir avec le marché mondial ou le cours du pétrole que tous ses ventriloques agacés accusent injustement. Ce sont des problèmes d’éthique de gestion. Ce qui vient d’arriver aux enseignants est un problème plus profond. Depuis trois ans, les caisses de l’Etat sont vidées pour remplir des comptes ouverts dans des banques de la place au nom des « agences ». Tous les fournisseurs de l’Etat et les grandes entreprises le savent depuis longtemps, l’Etat du Sénégal n’est plus solvable. Les fournisseurs l’avaient si bien compris qu’ils ne fournissaient plus que l’Anoci qui payait rubis sur ongle, alors que tout manquait dans les ministères, même un petit stylo. La question est d’autant plus grave que depuis le début de l’année, l’Etat réclame aux privés des paiements d’impôt par anticipation en procédant par « estimation » à partir des années précédentes.
Mais ce qui est injuste, c’est que l’Anoci dépense 16 milliards en trois années pour son fonctionnement, et que tout de suite après on se retrouve avec des enseignants impayés. Il n’y a pas meilleur moyen de saboter le climat social déjà tendu et de compromettre définitivement l’année scolaire.

Le Sénégal ne va pas mal, il va mort. Et nous ne pouvons pas nous laisser entraîner en enfer, en espérant être accueillis par Dieu à bras ouverts. C’est pourquoi je partage le sentiment de révolte qui anime « l’homme public » Moustapha Niasse. Pour quelqu’un qui pensait il y a seulement deux ans que Wade « cherche à ratisser large pour que la conjonction des idées, des efforts et des initiatives permettent de faire avancer le Sénégal », quelle désillusion ! Abdoulaye Wade, c’est devenu une certitude biblique, ne va rien faire pour ce pays. Ce n’est pas seulement qu’il ne le peut pas, il ne le veut pas. C’est la posture morale dans laquelle il se tient qui le fait penser. Pendant toutes ces années, on nous a menti sur l’état du pays. Le train de promesses ne s’est jamais arrêté. Il faut donc retrouver Moustapha Niasse sur le regard lucide et courageux qu’il pose sur les réalités du pays. Mais quand on arrive au constat selon lequel « Il ne le peut pas. Il ne le peut plus », la seule conclusion qui découle de ces prémisses est « donc il doit partir ». L’homme public lui-même arrive au constat selon lequel « face aux défis immenses qui interpellent notre pays et ses populations, il n’y a nul lieu de vouloir gloser, dans des débats stériles ou dans des empoignades sans lendemain, sur ce qu’il faut faire pour sauver le Sénégal ». Son titre, « Et maintenant », définit l’urgence de l’action dans l’instant présent, compris entre un passé difficile et un futur déjà compromis. Pourquoi donc subordonner son action à des « assises » dans un avenir déjà hypothéqué, quand on énumère soi-même 7 mesures à prendre ? Le premier problème de ce pays, c’est Abdoulaye Wade. C’est pourquoi, la première solution aux problèmes de ce pays, c’est le départ d’Abdoulaye Wade. Cette exigence n’a rien à voir avec le fait qu’il ait été élu pour 5 ans ou pas. Ce n’est pas antidémocratique demander à quelqu’un qui vient d’être élu de partir. Ce n’est pas pour lui arracher le pouvoir, c’est pour lui éviter l’humiliation.
SJD

Auteur: Souleymane Jules Diop
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:21 pm

On ne meurt jamais de foi
Souleymane Jules Diop Jeudi 13 Mar 2008

« La vanité est pour les imbéciles
une puissante source de satisfaction.
Elle leur permet de substituer
aux qualités qu’ils n’acquerront jamais
la conviction de les avoir toujours possédées »

Gustave LE BON



Abdoulaye Wade porte la poisse comme un boulet. Mais au rythme où vont les choses, on va finir par croire ce que son écuyer Pape Samba Mboup lui a toujours dit pour le consoler : il est victime d’un complot des chefs d’Etat jaloux. Imaginez tous les érudits qui ont prié, récité le Coran nuit et jour pour la venue du roi d’Arabie et la réussite du sommet de l’Oci. Peut-être que Dieu les a entendus. Ce sont les sultans, les princes et le roi d’Arabie qui ont refusé de les entendre. Quand le président de la République est revenu de son périple asiatique, ses propos ne souffraient d’aucune ambigüité : « j’ai rencontré le roi, il m’a dit qu’il sera là », avait-il affirmé, sans ménagement. Eh bien, à la place du roi d’Arabie, nous avons accueilli Nino Vieira. Nino Vieira, un musulman ? Non. La Guinée Bissau, un pays islamique ? Non. C’est qu’au moment du décompte final, on ne fera aucune distinction entre un petit président chrétien et un roi musulman. L’avion de commandement a fait la ronde, toute la journée d’hier, pour récupérer les petits chefs d’Etat désœuvrés dans leurs palais. Cette politique de l’autostop ne masquera pas la sous représentation de la Turquie, de la Malaisie, du Qatar, et de l’Arabie Saoudite. Depuis une semaine que l’échec de ce sommet ne faisait plus aucun doute, le président de la République a eu cette idée de génie de parrainer un accord entre le Tchad et le Soudan « en ouverture ». C’eut été son coup médiatique du siècle. Toutes les chancelleries du monde avaient été bombardées d’une lettre annonçant un accord définitif entre le Soudan et le Tchad pour le mercredi 12 mars, en présence de Ban Ki Moon et du roi d’Arabie Saoudite ! Au moment de signer cet accord, Wade s’est retrouvé désespérément seul, avec Idriss Deby Itno dans les bras. Argument du président de la République, infatigable, « Omar El Bechir est fatigué de ses nombreux voyages ». Il a fait tout ce tapage, déplacé le secrétaire général de l’Onu, annoncé la présence du roi d’Arabie Saoudite pour aboutir à cet argument d’une légèreté inouïe. Il fera au président soudanais toutes les promesses possibles, pour l’obliger à signer quelque chose ce jeudi. Que ces accords soient respectés ou pas l’intéresse peu. C’est le coup d’éclat médiatique qui l’intéresse, jusqu’à une autre rencontre, un autre échec diplomatique à son actif.
Je suis d’accord avec ceux qui pensent que ce n’est pas une marque d’impolitesse à l’égard de Wade, mais de tout le peuple Sénégalais. Mais si nous voulons nous éviter de telles déconvenues, nous devons apprendre à raisonner notre président de la République. Si notre diplomatie s’est effondrée, c’est qu’un homme, un seul, a voulu la réinventer. Ce sont huit années d’activisme qui ont été sanctionnées. Nous avons été sur tous les fronts diplomatiques : le Nepad, la Côte d’Ivoire, le Soudan, le Zimbabwe, le Kenya, le G8. Abdoulaye Wade s’est même essayé au Proche Orient et plus récemment en Colombie, en déclarant à tous les coups « on m’a sollicité ». Des initiatives hasardeuses, toutes sanctionnées par des échecs cuisants. Ce n’est pas la faute à Cheikh Tidiane Gadio, il faut préciser. Il n’a jamais été un homme de profondeur, mais il a excellé là où Wade voulait qu’il excelle, l’activisme diplomatique et le gargarisme médiatique. Si Wade le sacrifie comme il entend le faire après le sommet de l’Oci, il aura tué un bon soldat qui a su s’aplatir pour laisser passer le fantassin Karim Wade.

Ce qui étonne chez ce président, c’est l’illogisme avec lequel il initie toutes ses manœuvres diplomatiques. Quand Tabo Mbecki s’est intéressé au dossier ivoirien, il l’a vigoureusement attaqué, au nom du principe selon lequel les questions sous-régionales devaient être réglées dans le cadre des institutions sous-régionales. « Mbecki habite trop loin, il ne connaît pas la Côte d’Ivoire », avait-il fulminé. Ca ne l’a pas empêché de se mêler des affaires du Kenya, du Zimbabwe, et aujourd’hui du conflit entre le Soudan et le Tchad. Sa mégalomanie lui fait penser qu’il peut réussir là où les européens, les américains et dernièrement le roi d’Arabie Saoudite ont échoué. Nous sommes en train de payer très cher ce manque de jugement.
L’échec de ce sommet est d’autant plus douloureux, qu’il lui a été infligé par son propre fils. Il n’est plus possible de faire porter la responsabilité à Moustapha Niasse, à Idrissa Seck ou à Macky Sall. On ne pourra plus les accuser d’avoir « ralenti les travaux » pour empêcher « la réalisation des ambitions du président de la République ». Depuis que Wade a senti cet effondrement inéluctable, il a exfiltré son fils, pour exposer son nouveau mouton noir, le ministre des Affaires étrangères. Ce n’est pas un ministre des Affaires étrangères qui a échoué, c’est la diplomatie de la borne-fontaine initiée par Abdoulaye Wade depuis huit ans qui a échoué. Nous avons tout donné aux persans et aux arabes ces dernières années, renoncé à tout, jusqu’aux centaines de milliards gracieusement offerts par les Etats-Unis, pour leur faire plaisir. Mais la mendicité compulsive du président Wade les a irrités. Une dette intérieure de 300 milliards est le prix que nous allons payer à ces années d’errance diplomatique. Comme si cela ne suffisait pas, le président de la République a eu le toupet de décréter un jour de congé forcé qui va coûter au moins dix milliards à l’économie nationale. Il faut ajouter à ce gâchis le malheur que nous avons eu de payer des voyages gratuits en jet privé qui ont plus servi à des parties de jambes en l’air qu’à l’efficacité diplomatique.
Je pense que l’opposition s’est trompée encore une fois pour deux raisons. On ne peut pas dénoncer le manque de démocratie d’un homme parmi des monarques et des dictateurs, et c’est ce que notre opposition s’apprête à faire. Parmi les chefs d’Etat présents à Dakar, rares sont ceux qui savent ce qu’est une démocratie. La deuxième raison est que celui qui pose à ce pays un défi démocratique, ce n’est plus le chef de l’Etat, c’est son fils. Quoiqu’il arrive, Abdoulaye Wade appartient déjà au passé. Son fils l’a déjà rangé dans les placards. Karim Wade ne fait que commencer, et il vit avec la conviction qu’il est né pour jouir de ce pays comme il l’entend.
Après le sommet de l’Oci, le prochain chantier majeur sera de lui barrer la route. S’il n’avait pas essayé de forcer le cours de l’histoire, ce pays aurait peut-être pris une trajectoire différente, et cette fin de règne aurait été moins tragique. Il a déclaré la semaine dernière qu’il y avait dans le pays un parti de l’action et un parti de la parole. Mais la parole, c’est ce qui a toujours manqué à son père et à son régime. Il a toujours dit une chose, et fait le contraire. Le fils est né à Paris et c’est à quarante ans qu’il se découvre banlieusard de Guédiawaye. Il n’a livré jusqu’ici qu’un tunnel qui prend de l’eau partout, et il se prend pour le chef du parti de l’action. C’est cette insolence caractérisée que les sénégalais ne pourront pas lui pardonner.

Auteur: Souleymane Jules Diop
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:23 pm

Hommage à l’homme de la rue

Souleymane Jules Diop Jeudi 20 Mar 2008

« L’homme trop prudent attend qu’il soit trop tard »
F. DARD


Il y a huit ans jour pour jour, des jeunes banlieusards aux joues creuses ont envahi les rues de Dakar, pour fêter leur nouveau messie. Partout, l’ambiance était à la fête, avec l’espoir que les greniers seraient remplis, que la misère était finie. Huit années se sont passées depuis, et la plupart de ces jeunes dorment avec leurs rêves de bonheur dans des fosses communes, non loin des plages espagnoles. Huit années, c’est un mandat de sept plus un an. Mais dans de nombreuses démocraties anglo-saxonnes, ce sont deux mandats de suite et un départ obligé à la retraite. Nous ne l’aurons pas ce départ, puisque nous avons décidé de juger notre président de la République sur douze ans, et non sept. C’est le temps qu’un enfant passe de la naissance à la fin de l’école primaire.
Ce que les Sénégalais pensent de ce régime, ils l’ont exprimé de mille manières, dès-après la victoire-catastrophe de l’année dernière. D’abord en observant une journée de deuil national au lendemain de ce 25 février 2007, ensuite en restant chez eux au moment des législatives qui ont suivi. Autant le 19 mars a pu être dans les annales de l’histoire nationale un jour de gloire, autant le 25 février rappelle aux amateurs de mauvais présages des souvenirs sinistres. Ce que les Sénégalais pensent de ce nouveau quinquennat, ils l’ont exprimé à plusieurs reprises à Touba, et en début de semaine à Tivaouane. Le Wadisme était un rêve pour enfants, avant de devenir un cauchemar pour adultes. Mais nous avons fonctionné dans ce pays comme s’il n’existait que deux entités, Wade et les populations. Comme si les entités intermédiaires, qu’elles soient de la société civile ou de l’opposition, avaient miraculeusement disparu. Nous ne nous sommes jamais interrogés sur les raisons de cette anomie sociale qui a conduit au suicide de notre démocratie. Nous ne nous sommes jamais demandés pourquoi nos élites, qu’elles soient intellectuelles, universitaires, religieuses, coutumières, se sont effondrées du jour au lendemain. Nous ne nous sommes jamais demandés le plus simple, pourquoi notre opposition ne s’oppose pas. Or, c’est sa fonction première d’opposer aux pratiques de ce régime, une alternative crédible et vigoureuse. Ce qui n’a jamais été fait.
Je pense qu’il y a quelque chose de vrai dans ce que dit le président de la République, il n’a pas d’opposition. Une opposition, Abdoulaye Wade ne l’a jamais conçue in vitro. Il ne conçoit l’opposition que dans la rue, en train de se lamenter et de casser des véhicules. Le dialogue n’a jamais été chez lui que le prolongement naturel des combats de rue. C’est Djibo Kâ puis Ousmane Tanor Dieng qui lui ont fait cadeau de la vindicte populaire, en inventant l’opposition « républicaine ». C’est dans ces mêmes officines que l’idée d’Assises nationales a été produite.
Or, la seule chose qui a radicalement changé en huit ans, ce n’est pas dans la façon de gouverner. Wade a certainement imprimé sa marque au pouvoir. Mais dans le fond, il a repris en les grossissant un peu plus, les traits de caractère du dioufisme dégénéré. Ce qui a vraiment changé, c’est la façon de s’opposer.
L’élite intellectuelle s’est affaissée, c’est vrai, mais elle n’a jamais été d’aucun combat. L’élite maraboutique a toujours été complice du pouvoir. Mais quand Serigne Abdoul Ahad a donné son fameux Ndigël en faveur d’Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, mouride « convaincu », a répondu par le mouvement de désobéissance civile le plus sanglant de notre histoire. C’est cette opposition faite d’attentats à la voiture piégée et d’atteintes à la sûreté de l’Etat à partir de 1988 qui a abouti à notre premier « code consensuel », et plus tard à notre première alternance démocratique. Faire de l’opposition républicaine avec un tel homme, qui a investi toutes ses finances dans des réunions nocturnes et des dynamites est un grand leurre.

Un leader de l’opposition me racontait comment, à la veille d’une manifestation décisive pour réclamer le départ d’Abdoulaye Wade, des chefs de partis significatifs sont venus à la table réclamer l’annulation de la manifestation. Puisqu’il fallait trouver un prétexte à ce énième renoncement, ils ont demandé à Amath Dansokho, qui devait aller se faire soigner en France, d’y rester plus longtemps. Ils devaient prétexter de son absence pour justifier le report de cette manifestation. Quand Abdoulaye Wade a illégalement fait prolonger le mandat des députés, la plupart des responsables de partis ont démissionné de l’Assemblée nationale, tout en se faisant remplacer par leurs seconds sur les listes. Ce sont ces séries d’incohérences qui ont, à la longue, convaincu les Sénégalais que la vie politique ne valait pas la peine d’être vécue.
Nous sommes, à une différence près, dans une situation semblable à celle qui a précédé le report des élections législatives en 2006. Logiquement, les élus locaux de l’opposition doivent démissionner à la fin de leur mandat. Mais s’ils démissionnent, ils abandonnent leurs charges à Karim Wade et à ses hommes.
Il reste que ce qui s’est passé avec le report des élections locales est scandaleux, pas pour la mouvance présidentielle, mais pour l’opposition. Jusqu’à la date du 18 mars, la loi portant report des élections n’avait été ni promulguée, ni publiée. Cela voulait dire que, juridiquement, cette loi n’existait pas. L’opposition avait donc le droit et même le devoir de présenter ses listes pour les locales. Rien n’a été fait, parce qu’en réalité rien n’était prêt. Ce que Khalifa Ababacar Sall, un des esprits les plus brillants en matière électorale a dit n’est pas une adresse à Wade, c’est un cri du cœur lancé à l’opposition. Si Babacar Mbaye était là, il aurait sans doute fait la même remarque. Une jeune génération de politiciens est prise en otage par une vieille garde qui ne veut ni conduire la locomotive de la contestation, ni abandonner la conduite des affaires. Pendant huit ans, on lui a fait croire qu’il est possible de faire de l’opposition républicaine contre un antirépublicain. Tous ces « cinquanthuitards » sont prosternés à implorer le secours « du peuple », pendant que Wade réfléchit à son plan de vol pour... les prochaines élections.
Ce qui est consternant, c’est que même si les locales se tenaient à date, aucune coalition de l’opposition n’était prête à déposer ses listes dans les délais requis par la loi électorale. Comme quand il s’est agi de reporter les législatives, les mêmes samaritains ont adressé les mêmes prières au bon Dieu, pour que les vœux de Wade se réalisent : « que Dieu fasse qu’il reporte les élections, nous ne sommes pas prêts ». Le même type d’argument a prévalu, quand il s’est agi de boycotter les dernières législatives. Les partisans du boycott avaient boycotté parce qu’ils n’avaient plus d’argent.
Je pense que c’est être culotté que de se retourner contre le peuple sénégalais après tant de contorsions, pour lui reprocher sa « mollesse ». Quand il s’était décidé à prendre le pouvoir, Abdoulaye Wade avait une petite valise toute faite, toujours prêt à aller en prison. C’est ce que nos opposants nourris au biberon de la République n’ont jamais osé faire. Comprenons-donc Wade, quand il déclare qu’il n’a pas d’opposition. L’une des rares fois où il s’est rendu compte que tout ne lui est pas permis, c’est la rue qui le lui a rappelé. S’il a une opposition dans ce pays, ce n’est ni Moustapha Niasse, ni Ousmane Tanor Dieng, encore moins Idrissa Seck, c’est la rue, qui lui a montré le nouveau tracé des frontières entre le possible et l’impossible. Sans les porteurs de brassards rouges et les marchands ambulants, il se serait tout permis, croyez-moi.
Wade a trompé les Sénégalais. Mais tous les gouvernements démocratiques fonctionnent, à quelques différences près, sur le registre du mensonge. Notre drame vient de ce que nous avons une population largement analphabète, facile à tromper mais difficile à corrompre, une élite intellectuelle savamment instruite, difficile à tromper mais facile à corrompre. Wade n’a pas corrompu les Sénégalais. Il a corrompu ceux qui doivent leur parler, qu’ils soient des intellectuels, des marabouts, des chefs coutumiers, des politiciens ou des journalistes. C’est pourquoi je ne crois pas à l’appel lancé par Khalifa Ababacar Sall. Je crois au sérieux de cet homme et à sa bonne foi. Mais dès que la proposition de loi pour le report des élections a été votée à l’Assemblée nationale, ses patrons de l’opposition se sont enfermés dans leurs chambres pour crier « alhamdoulilah, nous n’étions pas prêts ». On ne peut pas demander aux gens de rester chez eux quand Wade prolonge le mandat des députés, et leur demander d’occuper les préfectures quand il prolonge le mandat des élus locaux. C’est un manque de jugement criard.

Auteur: Souleymane Jules Diop
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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:24 pm

Demain il sera trop tard
Souleymane Jules Diop Jeudi 27 Mar 2008

« Sans la liberté de blâmer,
il n’est point d’éloge flatteur »
BEAUMARCHAIS


On m’a accusé cette semaine de tous les mots, et surtout d’être un agent de Wade, par mes attaques ciblées contre l’opposition. Qu’ai-je dit ? Que quant au fond, cette opposition républicaine décrétée par les magnats de l’ancien régime a été une licence à l’impunité pour le pouvoir en place. Sa faillite ne fait pour moi l’objet d’aucun doute. Abdoulaye Wade a surpeuplé l’Assemblée nationale, occupé le Sénat, et mène à bout de bras toutes les réformes institutionnelles dont le but ultime est de maintenir au pouvoir sa caste de prédateurs. Toute l’économie nationale est ruinée et transformée en une grosse tontine familiale, tout le tissu social déchiré en lambeaux. Cette façon de s’opposer qui consiste à dire « laissez-le gouverner, les élections viendront » a mené à ce désastre, puisque le chef de l’Etat est le seul à décider où et quand les élections viendront. Quand l’opposition a décidé il y a moins d’un an de quitter l’Assemblée nationale, il allait de soi que le seul espace de revendication qui lui restait devait être la rue. Mais les seuls qui se soient fait entendre depuis, ce sont les marchands ambulants. Leur succès ne vient pas du seul fait de leur nombre. Il vient du fait que quand on n’est pas content, on ne se donne pas un délai pour l’exprimer. C’est ce que cette opposition républicaine peine encore à comprendre. Une manifestation ne se prépare pas dans un mois, dans deux mois, avec un agenda et un stylo. Il ne s’agit pas de regarder une case vierge et de cocher dessus. Il y a deux semaines, Ali Haïdar est sorti ragaillardi d’une rencontre du Front Siggil Sénégal sur le report des élections locales. Il promettait « des tournées des leaders à la base et des manifestations devant les préfectures et les gouvernances le 18 mars, jour de dépôt des candidatures ». Ce fameux 18 mars, il n’y a eu aucun leader dans aucune base, et seuls quelques téméraires ont osé défier l’autorité préfectorale. La décision de marcher est ce qu’il y avait de mieux à faire. Mais on ne décide pas d’occuper la rue dans des délais aussi longs. Les problèmes des sénégalais seront certainement les mêmes dans un ou deux mois. Ils seront liés à la cherté de la vie et à la réduction de leur pouvoir d’achat. Mais ce qui va changer, c’est la priorité qu’ils accorderont à une question plutôt qu’à une autre.

Et c’est grave qu’à ce jour, aucune partie prenante aux assises nationales ne soit capable de dire quand est-ce que les assises vont se tenir, et qui va les financer. Pendant que l’opposition s’arcboute sur l’organisation des Assises nationales, Abdoulaye Wade est en train de ruiner les derniers fondements de notre dispositif juridique avec son nouveau projet de réforme constitutionnelle. C’est un peu comme si notre machine judiciaire tournait à l’essence, et qu’un jour, le mécanicien principal décide de nous ramener la vieille machine à vapeur. A partir de la semaine prochaine, nous n’aurons plus de Conseil constitutionnel, plus de Conseil d’Etat. Nous aurons une Cour suprême comme à l’ancienne, dont les membres seront sournoisement désignés par le président de la République. Ce projet de réforme a été engagé à l’exclusion de l’union des magistrats, du seul fait de la haine viscérale de Wade à l’égard de son président Aliou Niane, connu pour son indépendance de ton. Or, il est à peu près évident pour tous qu’après une mise au pas du législatif, le président de la République cherche à contrôler le pouvoir judiciaire, après avoir tout fait pour le discréditer. Pendant que Wade l’éventreur passe au bistouri notre Constitution, les opposants-infirmiers accusent « le peuple » de non assistance à personne en danger. C’est une dialectique surréaliste. Partout, dans l’histoire, les élites ont montré le chemin, et les peuples ont suivi. Pour la première fois dans notre histoire, l’élite de ce pays dit à son peuple « passez devant, vous allez prendre les coups, et nous on va suivre ». L’Anoci a dépensé en trois années 16 milliards de francs, juste pour son fonctionnement, sans que l’on puisse dire où est passé cet argent. Sans que l’on puisse savoir pour quelle communication Richard Attias, ami de Karim Wade, a été payé lors du sommet de l’Oci. La réponse à ces questions est plus urgente que les assises que l’opposition veut organiser avec autant de bruit.
Ce que je dis là ne remet pas en cause la valeur et les mérites d’hommes qui se sont battus pour le même peuple, pour le même but, plus d’une fois. Il ne me viendra jamais l’idée de remettre en cause le mérite et la sincérité d’hommes exceptionnels comme Amath Dansokho ou Abdoulaye Bathily. Nous sommes tous d’accord qu’il y a de bonnes raisons de s’opposer à ce régime nauséabond. Mais nous ne sommes pas d’accord sur la façon de s’opposer. Il y a au sein de ce Front Siggil Sénégal, ceux qui regardent devant eux et ceux qui regardent le bout de leurs souliers; ceux qui pressent le pas et ceux qui traînent les pieds. Nous aurons fait de grandes enjambées dans le bon sens lorsque nous comprendrons, contre l’avis de certains apparatchiks, qu’on ne peut pas faire de l’opposition républicaine avec un antirépublicain. Cette façon de faire de l’opposition à domicile n’est pas du réalisme, c’est de la résignation. Or, c’est ce qu’il ne faut pas avec quelqu’un qui ne prend son pied qu’en humant l’ai piqué des lacrymogènes et qui croit que pour obtenir ses droits les plus élémentaires, il faut les mériter. Le signe patent de la dégradation de nos meurs électorales, c’est qu’Abdoulaye Wade est parti du « on ne peut pas organiser des élections en Afrique et les perdre » au « on peut ne pas organiser des élections en Afrique pour éviter de les perdre ». Chez cet homme, l’alternance démocratique réalisée le 19 mars 2000 a été un accident de l’histoire qui a coûté la vie au PS. Pas plus. Pour le reste, Wade demeure convaincu que nous sommes génétiquement faits pour la dictature, ou quand il se montre plus généreux, pour le césarisme.

On ne peut pas livrer une guerre moderne et civilisée avec un homme de la préhistoire. J’ai été stupéfait d’entendre hier Abdourahim Agne dire que le seul remède à la flambée des prix, c’est l’autosuffisance en 2015. C’est ce qui fait de la résistance à ce régime un impératif de survie. Mais c’est ce que dit le sémillant Khalifa Sall à la suite de Talla Sylla, Abdoulaye Vilane et Barthélemy Dias. C’est pourquoi je me bats pour la modernisation de notre espace démocratique et le renouvellement de notre classe politique. On ne peut pas se battre pour la démocratie à la tête du Sénégal, quand on refuse qu’elle s’applique aux partis politiques. La plupart des élus à la tête des partis le sont pour la vie comme Abdoulaye Wade et comme Abdoulaye Wade, font de la politique depuis 50 ans. Un de ces baragouineurs survoltés m’a fait savoir que ce sont les chefs de parti qui financent leurs organisations de leur poche, et ont donc le droit de réclamer leur place. Je trouve injuste que quelques vétérans retiennent la soldatesque et l’empêchent de batailler, sous le prétexte qu’ils assurent l’intendance. Ils ont transformé des masses de militants en soldats de deuxième classe qui ne savent dire que « oui chef ». D’accord quand le chef de parti doit entrer au gouvernement, d’accord quand il doit sortir du gouvernement. D’accord quand le chef doit collaborer avec l’opposition, d’accord quand il doit suspendre la collaboration. Avant d’entendre un ordre de sa bouche, ils sont déjà au garde-à-vous. C’est ce refus de la démocratie interne et de la différence qui est à l’origine de toutes les scissions dans l’histoire politique de ce pays. L’opposition ne peut pas nous rabâcher pendant toutes ces dernières années que Wade se trompe, et croire à son tour qu’elle est incapable de se tromper. C’est refuser un fascisme d’Etat pour instaurer un fascisme d’opposition. Dénoncer les travers qui nous ont menés à cette grande impasse, ce n’est pas faire le jeu de Wade. Parce qu’il n’y a pas que Wade et l’opposition à Wade. Il y a ceux qui croient à la liberté, à la démocratie et qui se moquent de la discipline de parti. Ce sont ces vérités, couchées sur du papier, qui m’ont valu de la part du tribunal populaire, un certificat de bonne vie et mort. Mais céder au terrorisme de pensée, c’est renoncer à l’exigence de vérité pour laquelle nous nous battons. Ce n’est acceptable ni pour Wade et son régime, ni pour l’opposition.
SJD

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:26 pm

Le plan Or Seck

Souleymane Jules Diop Jeudi 3 Avr 2008

« La louange est fille du pouvoir présent »
J. SWIFT


Ousmane Ngom nous a fait l’indigne honneur de porter dans ses mains ce que le wadisme a de plus répugnant. L’opposition a toujours voulu sa tête, la rue vient de l’obtenir. S’il y a quelque chose de bien dans le dernier réaménagement du gouvernement, c’est le départ de ce monstre. Son éviction du ministère de l’Intérieur, conduite toutes lampes éteintes, rappelle à tous égards le limogeage de Jean Collin. Au moment de signer le décret, Abdou Diouf s’était enfermé avec son assistante dans son bureau, après avoir demandé à son épouse Élisabeth de surveiller la porte d’entrée. La nouvelle avait couru toute la nuit sous la forme de rumeurs, avant de se confirmer. C’était aussi en fin mars, et les « amis de Jean Collin » avaient d’abord cru en un poisson d’avril anticipé, avant de se rendre à la triste évidence : le parrain était bien mort.

La presse n’était pas seule, mardi, à croire à un canular « du vieux ». La plupart des collaborateurs du président de la République pensaient qu’il s’agissait bien d’un poisson d’avril. Encore que, dans le cas d’Ousmane Ngom, valait mieux parler de « poison d’avril ». Ses funérailles nocturnes, présage de son enterrement imminent, sont le témoignage de tout le respect qu’Abdoulaye Wade voue à ce renégat de la politique. Les mêmes qui avaient milité pour son retour chez Wade, qu’il avait traité de monarque et de mécréant, se sont vite rendu compte qu’on ne trahit jamais qu’une fois. Maître Ngom voulait imposer à ce pays de grande tradition un totalitarisme tropical avec sa police réformée. Quelles que soient les raisons qui l’ont fait sauter de la Place Washington, nous devons bénir cet instant comme un moment de délivrance. Le Sénégal commençait à ressembler à ce qu’était le régime militaire d’Idi Amin Dada. Des hommes politiques tabassés, des journalistes emprisonnés, et la police politique qui descend dans les locaux de la télévision pour arrêter la diffusion des programmes et confisquer le matériel video.
Avant d’être une exigence de la rue, le départ de l’ancien ministre de l’Intérieur a d’abord été la première condition au retour d’Idrissa Seck dans le giron présidentiel. De ce point de vue, il ne faut pas lire la dernière recomposition administrative comme la seule dictée des événements de la fin de semaine.

C’est un va-t-en-guerre sans état d’âme qui se retrouve à la place d’Ousmane Ngom. Un exécuteur des basses besognes comme Wade aime en fabriquer. Macky Sall avait été mis là parce qu’il avait voté par la force dans un bureau de vote de Fatick, avant de menacer le président du bureau de bastonnade avec ses nervis. Cheikh Tidiane Sy n’est pas moins méritant : il a fracassé la porte d’un bureau de vote lors de la dernière présidentielle, pour permettre à ses électeurs excités de bourrer les urnes. Enlever Ousmane Ngom pour l’installer, c’est un peu remplacer le mal par le pire.

Mais il est d’abord le parrain d’Idrissa Seck. Il a été parmi ceux qui ont indiqué le poteau à l’ancien Premier ministre de Wade, mais il s’est transformé depuis en médiateur impatient. Il a été, ces derniers mois, le plus fréquent au Point-E, pour travailler à la normalisation des relations entre son neveu intrépide et le chef de l’Etat. Il est remplacé au ministère de la Justice par un anti Macky Sall notoire et partisan lui aussi du retour d’Idrissa Seck, Madické Niang. Si les relations entre le nouveau Garde des sceaux et le président de l’Assemblée nationale étaient devenues impossibles, c’est surtout du fait de l’engagement résolu du premier pour le retour de « Mara ». Madické Niang est chargé de préserver un héritage lourd, pour son implication directe dans toutes les manigances juridiques qui ont marqué le wadisme. Il se retrouve ainsi dans la position jamais connue jusqu’ici d’ancien avocat d’Abdoulaye Wade et de Hussein Habré dans des affaires criminelles qui devient Garde des sceaux.

Il reste que dans le fond, ce remaniement ne va rien changer dans la vie de tous les jours des sénégalais. Il s’agit d’un net recul quant aux engagements du président de la République d’imposer une diète à son administration. Je ne vois donc pas pourquoi après un tel serment, le contribuable doit payer l’allocation chômage à Landing Savané, au moment où il est cité dans une sordide affaire de trafic de passeports diplomatiques. C’est dire le mépris avec lequel Abdoulaye Wade gère ce pays. Je trouve Aziz Sow à tout point de vue méritant. Mais lui tailler un ministère après une audience accordée à sa sœur Collé Ardo Sow procède d’une grande légèreté. Le président de la République compte ainsi régler les problèmes des sénégalais en ramenant par la grande porte ceux qu’il avait jetés par la fenêtre. Il semble très logique pour lui de réduire le nombre de ministres dans le gouvernement pour des motifs économiques, et de les faire revenir trois mois plus tard, quand la situation empire. Mais il en a toujours été ainsi. Quand les Sénégalais réclament une recomposition politique, il répond par une recomposition administrative. Quand les Sénégalais réclament une solution économique à leurs problèmes, il répond par une solution politique. Son seul argument, c’est qu’il a baissé les salaires des députés et des ministres. Mais que représente cette économie annuelle de 300 millions, à côté des dizaines de milliards qui ont servi à l’achat de son nouvel Airbus ? J’ai suivi le débat sur le vote du Budget du Conseil régional de Dakar. Ce qui m’a choqué, ce n’est pas la disparition de 380 millions de francs. C’est que l’institution dépense un milliard deux cents millions pour son fonctionnement, et seulement deux cents millions pour les investissements. Ce sont des pratiques insensées de ce genre que nous retrouvons un partout dans le pays, dans la plupart de nos institutions.

La crise qui pointe à l’horizon sera pire que la crise du pétrole, c’est la crise des céréales. Les classes moyennes chinoises et indiennes ont tout acheté. Face à cette situation alarmante, Abdoulaye Wade n’a eu d’autre réponse que de remplacer Abrourahim Agne par un autre chômeur sans qualification qui n’a jamais travaillé depuis l’Oncad, Mamadou Diop Decroix. Appeler les Sénégalais à s’opposer à cette mise à mort de notre économie n’a rien d’irresponsable. Ce qu’il faut justement, c’est passer du paradigme démocratique au paradigme économique dans la définition des axes de communication. Si l’occident a vaincu le monde communiste, ce n’est pas pour les bienfaits de sa démocratie. C’est pour la prospérité de son économie. Les russes vivent mieux sous la dictature de Poutine et ils ne s’en plaignent pas. Si la démocratie représentative était la première préoccupation des hommes, il n’y aurait pas autant de dictatures dans le monde. Abdoulaye Wade n’a pas prospéré parce qu’il nous promettait des institutions démocratiques. Il a prospéré parce qu’il nous promettait le kilogramme de riz à soixante francs. Je ne vois donc pas pourquoi le droit à la survie ne serait pas une question de démocratie, au même titre que le droit au vote. Et dire que le président de la République n’est en rien responsable de notre malheur et de la catastrophe qui nous guette est un grand mensonge. Jusqu’en 2006, le prix du riz était fixé d’autorité par l’Etat. C’est le 14 novembre 2006 qu’Abdoulaye Wade a pris un décret pour enlever le riz et le charbon des prix fixés d’autorité. Une année plus tard, le 21 novembre 2007, alors qu’il nous promettait des mesures pour soutenir les ménages, il a pris un autre décret, le décret 2007-1394, pour libéraliser le sucre et la farine. C’est pourquoi je ne crois pas à son combat contre la pauvreté. Je crois à son combat contre les pauvres. Personne avant lui n’a autant pris aux plus pauvres pour donner aux plus riches. Malheureusement, l’ultime réponse à notre malheur sera sanctification d’Idrissa Seck et la béatification de Karim Wade. J’ai appris, consterné, qu’ils ont fait tomber le vieux Elimane Ndour avec quelques billets pour la Mecque. Mais c’est une nouvelle raison de les combattre.

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Re: Lignes Ennemies: Chronique de Souleymane Jules Diop

Messagepar Bathily Sempera » Lun Juil 14, 2008 10:28 pm

Par là la sortie, Président
Souleymane Jules Diop Jeudi 10 Avr 2008

« Tout captif porte dans sa main gauche
le pouvoir d’anéantir sa servitude »
SHAKESPEARE



Vous savez quoi ? Je pense qu’il faut aller prendre Abdoulaye Wade par le collet, le conduire dans les sites enfouis de Bel Air pour lui mettre le nez dans ce que ses concitoyens mangent depuis maintenant plusieurs mois. Quand on passe par la Corniche, la voie de « détournement » qui borde la cité « alternance », on peut, je le confesse, qualifier les journalistes qui traitent l’actualité sordide de ces dernières années de menteurs. Les beaux pavillons s’enchevêtrent, et chaque parcelle de terre est achetée puis revendue à prix d’or. La maison de Pape Diop y côtoie celle d’un autre, puis d’un autre. Et depuis que l’espace est devenu une denrée rare, la foire de Dakar et le cimetière chrétien sont devenus la grande convoitise des spéculateurs de tout poil. Dire à ces gens qui mangent du beurre le matin et du chou gratiné à la béchamel le soir que le pays va mal, c’est leur planter un steak de plus dans l’assiette. Vous êtes en wadoland où les nombreux alliés se trémoussent tous les matins en attendant le caviar. Ceux qui ne sont pas du gouvernement sont de la Cap 21. Ils se partagent tous les mois une tonne de riz « Caroline » et chacun reçoit 400 000 francs Cfa, moitié Présidence de la République, moitié Assemblée nationale.

Le nouveau régime a réussi la plus grande fumisterie de l’histoire de l’urbanisme. Il a pavé le chemin qui va de l’aéroport au centre-ville de belles routes et de belles maisons habitées par de nouveaux riches. Au point où tous ceux qui reviennent de Dakar vous répètent la même chose : « eh ben dis-donc, l’alternance, ils ont vraiment fait des efforts ! » Oui, ils ont fait beaucoup d’efforts pour les riches. Mais rendez-vous à Medina Gounass ou à Bagdad dans la banlieue de Guediawaye où vit le quart de la population du pays. Les cours des maisons sont enfuies dans des immondices, et les enfants font leurs toilettes dans l’eau stagnante qui inonde leurs maisons. Vous reviendrez écœurés et dégoûtés. Figurez-vous que pendant que les nouveaux humanitaires décavent du riz pourri pour le revendre à 150 francs dans ces zones insalubres, les plus nantis mangent leur Tiebu-Jën avec du basmati à 2500 francs le kilogramme. Pour eux, la révolution agropastorale qu’Abdoulaye Wade veut enclencher dans les rizières de l’Anambé et les fermes de Niacoulrab peut attendre au-delà de 2015. C’est ce que j’ai trouvé de plus blême dans l’adresse du président de la République à la Nation. Abdoulaye Wade possède depuis 1958 un verger dans l’une des zones les plus fertiles du pays. Il l’a toujours laissé à l’abandon avant de le vendre. Il n’y a jamais cultivé la moindre patate. Il n’a jamais investi ses milliards qu’il proclamait partout dans la moindre unité agro-industrielle. Depuis que cet homme est au pouvoir, il n’y a pas eu la moindre ébauche d’une tentative de mécanisation de notre agriculture. Les rares matériels agricoles offerts par les indiens destinés à nos paysans ont été détournés par ses proches. Depuis deux ans, il a signé avec les espagnols une entente qui envoie les forces vives de ce pays dans les champs agricoles d’Espagne. Les paysans sont laissés à leur propre logique de survie, livrés à des spéculateurs qui les dépouillent en leur laissant des bons souvent impayables. En quatre ans, il nous a mis dans des programmes de production de maïs, de manioc et de bissap. Ce n’est que quand une crise alimentaire de grande ampleur menace à nos portes qu’il découvre finalement que nous avons une vocation pour le riz.

Quand il marchandait la reprise des relations diplomatiques avec la Chine, il a oublié tous les programmes d’encadrement engagés par Taïwan dans les rizières de Casamance et de la Vallée. Il ne voyait que les cadeaux qu’il allait recevoir des mains des chinois. Mais ce que Wade a trouvé de plus fort à faire, c’est de nous envoyer son nouvel idéologue Bara Diouf répéter aux oreilles de nos pauvres paysans les insultes inacceptables de Nicolas Sarkozy. Le même Abdoulaye Wade qui nous disait en juillet 2003 qu’il avait révolutionné l’histoire de la pluviométrie de ce pays avec les bassins de rétention et les pluies provoquées, reproche à nos paysans leur soumission aveugle aux saisons qui se répètent inlassablement. C’est un peu reprocher à des victimes d’être des victimes : « tenez-vous bien, si la famine vous frappe, vous en serez les seuls responsables, parce que vous êtes soumis aux saisons ». Mais quelle mauvaise foi ! On ne peut pas tenir tout un peuple comptable des mensonges d’un seul homme.

Ce qu’Abdoulaye Wade envisage encore comme un avenir reluisant risque d’être plus qu’une catastrophe humanitaire. Au fond, pas pour les raisons souvent invoquées. Il est vrai que la rareté des céréales aura un impact dramatique dans une cinquantaine de pays dans le monde, parmi lesquels le Sénégal. Mais le plus grave, c’est l’état de délabrement du trésor public. Pendant que la Banque mondiale alertait la plupart des Etats sur la crise à venir, Abdoulaye Wade utilisait les milliards de l’Etat pour s’acheter son nouvel Airbus. Les ressources de l’Etat ont été systématiquement pillées pour assurer sa vie de cour. Ces problèmes n’ont évidemment rien à voir avec le marché mondial ou le cours du pétrole que tous ses ventriloques agacés accusent injustement. Ce sont des problèmes d’éthique de gestion. Ce qui vient d’arriver aux enseignants est un problème plus profond. Depuis trois ans, les caisses de l’Etat sont vidées pour remplir des comptes ouverts dans des banques de la place au nom des « agences ». Tous les fournisseurs de l’Etat et les grandes entreprises le savent depuis longtemps, l’Etat du Sénégal n’est plus solvable. Les fournisseurs l’avaient si bien compris qu’ils ne fournissaient plus que l’Anoci qui payait rubis sur ongle, alors que tout manquait dans les ministères, même un petit stylo. La question est d’autant plus grave que depuis le début de l’année, l’Etat réclame aux privés des paiements d’impôt par anticipation en procédant par « estimation » à partir des années précédentes.
Mais ce qui est injuste, c’est que l’Anoci dépense 16 milliards en trois années pour son fonctionnement, et que tout de suite après on se retrouve avec des enseignants impayés. Il n’y a pas meilleur moyen de saboter le climat social déjà tendu et de compromettre définitivement l’année scolaire.

Le Sénégal ne va pas mal, il va mort. Et nous ne pouvons pas nous laisser entraîner en enfer, en espérant être accueillis par Dieu à bras ouverts. C’est pourquoi je partage le sentiment de révolte qui anime « l’homme public » Moustapha Niasse. Pour quelqu’un qui pensait il y a seulement deux ans que Wade « cherche à ratisser large pour que la conjonction des idées, des efforts et des initiatives permettent de faire avancer le Sénégal », quelle désillusion ! Abdoulaye Wade, c’est devenu une certitude biblique, ne va rien faire pour ce pays. Ce n’est pas seulement qu’il ne le peut pas, il ne le veut pas. C’est la posture morale dans laquelle il se tient qui le fait penser. Pendant toutes ces années, on nous a menti sur l’état du pays. Le train de promesses ne s’est jamais arrêté. Il faut donc retrouver Moustapha Niasse sur le regard lucide et courageux qu’il pose sur les réalités du pays. Mais quand on arrive au constat selon lequel « Il ne le peut pas. Il ne le peut plus », la seule conclusion qui découle de ces prémisses est « donc il doit partir ». L’homme public lui-même arrive au constat selon lequel « face aux défis immenses qui interpellent notre pays et ses populations, il n’y a nul lieu de vouloir gloser, dans des débats stériles ou dans des empoignades sans lendemain, sur ce qu’il faut faire pour sauver le Sénégal ». Son titre, « Et maintenant », définit l’urgence de l’action dans l’instant présent, compris entre un passé difficile et un futur déjà compromis. Pourquoi donc subordonner son action à des « assises » dans un avenir déjà hypothéqué, quand on énumère soi-même 7 mesures à prendre ? Le premier problème de ce pays, c’est Abdoulaye Wade. C’est pourquoi, la première solution aux problèmes de ce pays, c’est le départ d’Abdoulaye Wade. Cette exigence n’a rien à voir avec le fait qu’il ait été élu pour 5 ans ou pas. Ce n’est pas antidémocratique demander à quelqu’un qui vient d’être élu de partir. Ce n’est pas pour lui arracher le pouvoir, c’est pour lui éviter l’humiliation.
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