par biko » Lun Avr 28, 2008 1:38 am
La monnaie mauritanienne sur le chemin de la convertibilité
Ousmane Kane est gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie et co-président, avec Dominique Strauss-Kahn, de l’African Consultative Group du FMI. Il nous explique, dans une interview exclusive, les mutations profondes du système financier mauritanien.
Pendant longtemps, à travers le monde, la place des banques centrales dans les dispositifs institutionnels des pays n’était pas vraiment très claire ; parce que leur mandat lui-même n’était pas très précis. Une confusion, parfois voulue, existait alors entre les politiques monétaire et budgétaire ; la banque centrale étant ainsi, de fait, une annexe du Ministère chargé des finances. Depuis vingt à trente ans cependant, il se dessine à travers le monde un mouvement convergent vers une stricte séparation entre les politiques monétaires et les politiques budgétaires des Etats. Parallèlement à cette évolution, la stabilité des prix est, de plus en plus, présentée comme la mission principale, mais pas nécessairement unique, assignée aux banques centrales. Dans ce contexte, l’indépendance des banques centrales vis-à-vis de l’autorité en charge de la politique budgétaire et responsable des conséquences sociales, à court terme, de la politique économique nationale est devenue une nécessité. C’est ainsi qu’à travers le monde, de nombreux pays, les uns après les autres, ont doté leurs banques centrales de statuts les rendant indépendantes des Ministères en charge des finances et des politiques budgétaires.
L’Afrique parvient-elle à s’adapter ?
Même si l’histoire des banques centrales africaines est récente, leur évolution actuelle ne peut que s’inscrire dans le sens de cette évolution générale. Juste après les indépendances, il est vrai que les banques centrales étaient plutôt chargées d’allouer le crédit et de financer le développement. La stabilité monétaire et le contrôle bancaire étaient alors des activités secondaires des instituts d’émission. Mais les pays africains ne peuvent déroger à la règle. Au moment où l’Afrique doit encourager l’investissement en général et, plus particulièrement, améliorer sa capacité à attirer l’investissement direct étranger, nos pays ont besoin de disposer de politiques monétaire et de change qui soient rigoureuses, transparentes et prévisibles. Cette exigence est d’autant plus forte pour les pays africains que la crédibilité de leurs politiques économiques et financières aux yeux des investisseurs (aussi bien nationaux qu’étrangers) est encore à bâtir ou à consolider. Il ne fait cependant pas de doute que cette indépendance, quand elle existe, est à défendre : au quotidien. Les tentations, tantôt pour s’ingérer, tantôt pour chercher à influencer la conduite de la politique monétaire, habitent tous les gouvernements, en Afrique comme ailleurs. Cette indépendance se défendra d’autant plus facilement dans un pays donné que les principes d’un Etat de droit s’y trouveront déjà bien enracinés ; en Afrique comme ailleurs, encore une fois.
C’est, par conséquent, parce que les démocraties sont encore jeunes et que les contre-pouvoirs à celui des gouvernements sont encore à consolider, que les banques centrales elles-mêmes ont parfois du mal à assumer leur indépendance par rapport au pouvoir politique et aux gouvernements. C’est aussi parce que la conduite d’une politique monétaire indépendante peut avoir un coût élevé ; l’assumer pleinement suppose que les banques centrales disposent de revenus réguliers et suffisants pour la financer. Cela n’est malheureusement pas toujours le cas en Afrique.
Quelles sont les principales réformes que vous avez entreprises depuis votre arrivée à la tête de la BCM et quels sont les résultats déjà engrangés ?
N’étant à la tête de la Banque centrale de Mauritanie que depuis quelque dix-neuf mois, vous comprenez bien que l’heure du bilan n’a pas encore sonné. Ce qu’il convient de noter est que, ma priorité, le temps que je passerai à cette position, sera de contribuer à bâtir une institution d’émission moderne et transparente, et un système financier solide et pertinent pour l’économie nationale. C’est à l’aune de cette ambition qu’il faudra apprécier chacune des réformes que je promouvrai.
Dès mon arrivée à cette position, j’ai entrepris, dans un premier temps, de concrétiser très rapidement des idées de réformes en cours au sein de la banque et, dans un deuxième temps, d’élaborer et de lancer un programme de réformes à moyen terme.
C’est ainsi qu’un nouveau cadre juridique, avec trois lois promulguées au cours du premier trimestre 2007, fut adopté pour régir l’ensemble de l’activité du système financier : un nouveau statut de la BCM, consacrant son indépendance, clarifiant son mandat et réglementant ses relations avec le Trésor ; une loi sur les établissements de crédit qui vise à une réelle professionnalisation du secteur bancaire et à une diversification des services financiers ; et une loi sur les institutions de microfinance en vue du développement de cette activité.
Au-delà de ce cadre juridique, l’une des réformes, aujourd’hui achevée, la plus visible, est certainement celle qui concerne la mise en place d’un marché de change dès janvier 2007 : il conduit, pour la première fois depuis la création de la monnaie nationale en 1973, à faire fixer le cours de l’ouguiya par le jeu de l’offre et de la demande et, surtout, il impose une allocation juste et transparente des devises entre les opérateurs économiques. Il s’agit d’un « flottement contrôlé » de la monnaie. Après 15 mois de fonctionnement, son succès est, je le crois, unanimement salué.
Au cours des derniers mois, une grande emphase a aussi été mise sur une supervision encore plus rapprochée des établissements bancaires, en vue du renforcement de leur capacité financière et de la transparence de leur gestion. Plusieurs des textes réglementant l’activité bancaire ont déjà été remis aux goûts du jour. Les banques vont ainsi, progressivement, augmenter sensiblement leurs fonds propres nets, améliorer la transparence des relations qu’elles entretiennent avec le public, respecter scrupuleusement des ratios de division de risques (arrêtés après concertation avec la profession). La priorité accordée au contrôle des banques a été couronnée par le redressement in extremis de l’une des banques de la place dont la liquidation aurait profondément et durablement affecté l’ensemble du système financier mauritanien. A noter enfin que le marché monétaire est en cours de dynamisation grâce à l’adoption de nouveaux instruments de gestion de la liquidité ; et que les institutions de microfinance sont en cours d’assainissement grâce à la remise en cause des agréments accordés à toutes les IMF.
Quant à l’avenir ?
La banque vient d’achever l’élaboration d’un plan stratégique pour la période 2008-2012, en vue de la modernisation et du développement du système financier mauritanien : s’appuyant sur les acquis de ces derniers mois, ce plan est l’œuvre de l’ensemble de la famille de la BCM (actuels et anciens membres du personnel), avec une participation appréciée de la profession bancaire nationale, et de nos partenaires du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Il s’articule autour de trois axes qui sont : la politique monétaire et de change, le système financier national et le cadre institutionnel. L’adoption de ce plan par le conseil général de la banque, probablement dans les tous prochains jours, ouvrira de nombreux et vastes chantiers de réformes au sein de l’institution. La banque devra alors adapter très rapidement son fonctionnement (organisation, procédures et personnel) et ajuster ses moyens aux exigences de mise en œuvre de ce plan.
Compte tenu de la stabilité retrouvée de la monnaie mauritanienne, l’ouguiya, est-il prématuré aujourd'hui de parler d'assouplissement ou de libéralisation du change ?
Nous nous félicitons, certes, de la stabilité dont fait preuve la monnaie nationale depuis quelque trois ans, et réellement confirmée après le lancement du marché de change en janvier 2007. Cependant, avant de parler d’assouplissement ou de libéralisation de change, il convient d’abord de présenter la situation qui prévaut depuis un peu plus d’un an : toutes les restrictions sur les importations courantes ont été levées, les revenus d’exportation des produits de la pêche, deuxième secteur d’exportation du pays, sont directement transférés et déposés par les opérateurs dans les banques commerciales de leur choix, l’accès aux devises par le biais du marché des changes est libre et transparent, le cours de la monnaie nationale est fixé quotidiennement par les forces du marché, l’allocation de devises pour les voyageurs a été substantiellement relevée, l’ouverture de bureaux de changes sur tout le territoire national est libre (dès lors que les critères de capacité financière établis à cet effet sont remplis)... Il s’agit d’un progrès substantiel accompli en très peu de temps. Il convient, à notre avis, de mettre à profit les prochains mois et années pour consolider les résultats de chacune de ces réformes avant d’en envisager d’autres, plus profondes, telles que la levée des restrictions résiduelles sur les transferts des capitaux, ou la convertibilité totale de l’ouguiya. D’ici-là, grâce à la mise en œuvre du programme économique du gouvernement, le contexte aura, nous l’espérons, favorablement évolué.
Comment se passe la gestion de vos réserves de change dans un climat monétaire international marqué par l'affaiblissement du dollar ?
Il peut être utile de préciser, au préalable, que les échanges extérieurs de la Mauritanie (importations et exportations) se font très largement en dollars. Les prix des produits miniers, du pétrole et d’une partie des produits de la pêche (l’essentiel de nos exportations) sont libellés en dollars ; Il en est de même des produits pétroliers raffinés, des équipements et pièces pour engins miniers, de plusieurs des produits alimentaires consommés par les Mauritaniens et de l’essentiel du service de la dette nationale. Cette réalité, d’une part, et le souci de prudence, d’autre part, nous dictent de placer une large part de nos réserves extérieures dans cette monnaie. Par conséquent, le sérieux affaiblissement du dollar dont vous parlez a encore un impact négligeable sur nos échanges extérieurs et sur notre politique de placement. Il va de soit cependant que l’évolution récente de la politique monétaire de la Réserve fédérale, qui a contribué à l’accélération de l’affaiblissement du dollar, a des conséquences négatives sur les revenus de placement de la BCM.
Quelle est la situation des établissements de crédit à la fin 2007 et quelles réformes envisagez-vous pour dynamiser le secteur ?
La santé financière du système bancaire mauritanien est l’une de nos grandes priorités. Les banques mauritaniennes sont, généralement, caractérisées par une faiblesse de leurs fonds propres et un fort taux de créances douteuses. Elles souffrent également d’une faible bancarisation de la société et de pesanteurs administratives qui ne facilitent pas le recouvrement. Il s’agit cependant de banques totalement privées (à l’exception d’une), dont la gestion devrait par conséquent être très réactive et très sensible aux changements promus par la Banque centrale. Cette volonté d’adaptation et les efforts qui s’en suivent sont déjà perceptibles.
Les banques mauritaniennes souffrent des conséquences de l’environnement politique et judiciaire qui a prévalu dans notre pays pendant une trop longue période. De vieilles pratiques, aujourd’hui heureusement disparues, ont laissé des séquelles pour lesquelles des initiatives doivent être prises pour réduire le taux de créances douteuses, renforcer les fonds propres et améliorer la gouvernance interne de ces établissements bancaires. Le Conseil de politique monétaire de la Banque centrale a déjà décidé de faire porter, progressivement, à douze fois sa valeur minimale actuelle le capital des banques en activité dans le pays.
C’est au quotidien que les services de la Banque centrale travaillent avec l’Association professionnelle des banques mauritaniennes pour promouvoir la transparence des états financiers et des conditions financières, l’indépendance des organes de contrôle et la compétence du personnel employé dans le système bancaire mauritanien. Au sujet du taux de créances douteuses, plusieurs idées sont à l’étude en vue de faire du recouvrement des créances bancaires une priorité nationale.
En d’autres termes, les établissements mauritaniens de crédit ont besoin d’une surveillance et d’un réel appui de la BCM pour en faire des banques performantes, capables de survivre à l’ouverture en cours du système financier national. A cet effet, la Banque centrale utilisera toutes les ressources juridiques, que lui offrent la nouvelle loi bancaire et la concertation avec la profession bancaire, pour assainir la situation. Les premiers résultats commencent à être perceptibles ; mais il s’agit d’une œuvre de plusieurs années.
Où en est la Mauritanie dans la lutte contre le blanchiment d'argent ?
La Mauritanie s’est dotée, dès 2006, d’une loi contre le blanchiment d’argent : la CANIF (Cellule d’analyse des informations financières) a été rapidement mise en place, tous ses organes sont installés, ses locaux aménagés et équipés et son personnel recruté en moins de douze mois. Grâce à l’appui de la France et de la Banque mondiale, la cellule sera totalement opérationnelle avant la fin du mois de juin 2008 ; c’est-à-dire que les assujettis (banques, bureaux de change, notaires, etc) seront appelés à déclarer à la CANIF toute transaction financière qui leur paraîtra suspecte. Plusieurs séances de sensibilisation avec ces partenaires de la CANIF ont déjà été organisées et les derniers textes d’application de la loi sont en cours de finalisation. A en croire les différents partenaires internationaux qui nous accompagnent dans ce processus, la Mauritanie serait très avancée sur cette voie. Les prochains mois nous permettront d’apprécier la qualité de l’important travail préparatoire accompli depuis deux ans.
On se bat pour les droits de l'Homme mais on oublie de se battre pour faire respécter ces droits entre nous.