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LIBERATIONDidier Pourquery"A travers son combat, au fil de ses poèmes, le chantre de la négritude incarnait, au-delà de ses origines revendiquées, un appel. Un appel proprement universel à la dignité humaine. Aimé Césaire appelle à l'éveil de ses frères humains où qu'ils soient, appel à retrouver leur identité et appel à leur responsabilité. C'est cela qui fait d'abord sa force. Mais dans le même temps, il reconnaissait lui-même: "J'accepte mes origines, mais que vais-je en faire?" Il a prouvé dans son parcours politique que ce qu'il avait découvert et vécu lui servait aussi à en appeler à ceux qui veulent changer le monde. Au coeur de son discours sur le colonialisme de 1950, il y a cette prophétie: "Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente." Et la grandeur de Césaire fut aussi de prendre à bras-le-corps ces problèmes issus du colonialisme et de les régler au jour le jour, sans relâche. Poète et député, maire et visionnaire, Aimé Césaire fut l'homme de la culture en action".
LA CROIXDominique Quinio"Il laisse une empreinte indélébile, parce qu'aucune vague ne réussira à effacer sur le sable des Caraïbes les multiples traces qu'il y aura laissées. Celle du poète, du dramaturge, de l'amoureux de la langue française. Celle du héraut de la " négritude ", lui l'Antillais réunissant dans son identité déchirée toutes les influences de l'Afrique et de la métropole : avec Léopold Sédar Senghor, son condisciple sénégalais de l'École normale supérieure à Paris, il releva la fierté de l'homme noir, courbé par l'esclavage. Celle de l'anticolonialiste, jamais en relâche de ce combat-là et sans indulgence pour l'arrogance des colonisateurs. (...) Aimé Césaire, l'engagé et le rêveur, le magicien du verbe et le laboureur d'idées, fut homme de mots et homme d'action, sans opposition. L'une et l'autre vocation s'entremêlent en lui et se confondent avec la terre, aussi douce que volcanique, de la Martinique. Il est bon que la postérité n'oublie aucun de ses visages."
LE PROGRESFrançis Brochet"Il doit bien rire, Aimé Césaire, depuis le paradis des Nègres. A peine mort, le voici embaumé, promis au Panthéon ! La dépouille était encore chaude que s'est déchaînée la curée : Hollande l'annexe à gauche, les communistes oublient ses injures contre le stalinien Thorez, et Hortefeux, toute pudeur oubliée, l'enrôle dans son combat pour l'identité nationale... Ah, le beau sanglot de l'homme blanc sur le poète noir. Le grand remords de l'Occident perché, disait Césaire, sur "le plus haut tas de cadavres de l'humanité". Au fond, il devait s'y attendre, depuis que l'hommage au vieux Césaire était inscrit dans toutes les excursions politiques en Martinique. Lui, il lançait "des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée et des érysipèles, et des paludismes et des laves et des feux de brousse". Il avait prévenu, le Nègre : "Accommodez-vous de moi. Je ne m'accommode pas de vous !"
LA MONTAGNEXavier Panon"Les obsèques nationales seront donc célébrées en l'honneur de cette personnalité que la " nation française en deuil " peut pleurer. Certes l'illustre Martiniquais, créateur des départements d'Outre-Mer, n'ignorait pas le lien complexe et souvent tendu avec la métropole. (...) Mais c'est aussi à la France de mieux reconnaître aujourd'hui la richesse d'Aimé Césaire et son apport exceptionnel dans la littérature et dans la conscience nationale. Le Panthéon que certains proposent de lui ouvrir, vaudrait en effet reconnaissance de ce que ce député poète représente d'universel. Car à travers son identité revendiquée de nègre, antillais, créole, il appelle à l'ouverture, à la reconnaissance de la diversité des peuples, de leurs identités et de leurs influences les uns sur les autres. Le métissage en somme. Césaire, en combattant pour la dignité de l'homme, nous invite finalement à prendre conscience de l'autre. Un message d'humanité qui mérite Panthéon."
LE DAUPHINE LIBEREDidier Pobel
"Lui qui vivait là-bas, loin, de l'autre côté de l'océan, sans faire de bruit entre deux sourdes colères, comment a-t-il pu, à ce point, rester aussi près de nous jusqu'au bout? C'est à ce miraculeux paradoxe qu'on mesure toute la force de Césaire, le bien Aimé. Toute la puissance de sa voix. Toute l'universalité de son combat et de sa parole. (...) À 94 ans, le "fils d'esclave inconsolé", l'éternel habitant d'"une blessure sacrée" a bouclé hier sa traversée d'un siècle tumultueux où sa trace reste à jamais inscrite. Il fut une conscience. Le voici devenu une légende. La France s'apprête à lui faire des funérailles nationales. Avant peut-être de lui ouvrir demain le Panthéon. Entre ici, Aimé Césaire!"
NORD ECLAIRJules Clauwaert"Une grande flamme s'est éteinte, mais il reste mille et mille bougies pour éclairer le ciel de la Martinique : chacune d'elles rappellera le message du vieil homme qui avait consacré sa vie à rendre à son peuple confiance et fierté. (...) Tandis que Senghor, membre de l'Académie française, devenait en 1960 à la présidence du Sénégal l'un des acteurs les plus respectés des dirigeants africains, Aimé Césaire, élu à la Martinique au sein de la République française, continuait de suivre avec vigilance tout ce qui, aux Antilles, apparaîtrait comme suspect de ségrégation. "Nous ne sommes pas de la race de ceux qu'on opprime" est resté son credo. Dans le même temps, le "Nègre fondamental" s'est comporté en élu respectueux des règles de la République. C'est justice que le poète vénéré de tous, et qui incarne la Martinique, et qui représente l'une des composantes incontestées de la Nation ait droit, dimanche, à des obsèques nationales : la France s'y retrouvera, métissée comme elle l'est sur les stades."
LA NOUVELLE REPUBLIQUE DU CENTRE-OUESTHervé Cannet
"Qui dessinera aujourd'hui les larmes du peuple noir ? Aimé Césaire était naturellement bien davantage qu'un poète " fondamentalement poète ", un écrivain flamboyant ou un véritable républicain. Sa voix dérangeante et revendicative, ce " besoin de rugir ", portait au-delà des mornes et des anses de sa Martinique pour résonner jusqu'au plus profond de l'Afrique et de l'Amérique. La voix universelle de l'Homme noir, clamant à la face du monde sa conscience de la négritude, du colonialisme, de l'esclavage. [...] Avec son costume gris perle, ses grosses lunettes à écailles, son allure sage de premier de la classe, Aimé Césaire était un vieux lutteur. " Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent ", disait Victor Hugo. Le Panthéon paraît être le lieu idéal pour que son combat continue à vivre."
L'UNIONHervé Chabaud
"Il a marié les mots sans jamais sacrifier la syntaxe de la phrase. Est-ce le génie du poète ou son seul respect pour une langue dont le bon usage est aussi un outil précieux pour interpeller les consciences ? Est-ce la certitude qu'une langue qu'on écorche conduit une nation à l'asphyxie comme une civilisation à laquelle on coupe ses racines ? Césaire est définitivement un poids lourd intellectuel, un maître de l'invitation sincère au respect et au dialogue des cultures, un messager de l'universel. Cette dimension de frère supérieur dépasse le périmètre de l'homme politique de gauche qu'il a été. Il n'aura pas eu, selon la formule de Léopold Sédar Senghor, "l'angoisse du départ sans main chaude dans la main ". Jusqu'à son dernier souffle, il a été accompagné par cette foule qui, de la Martinique à l'Afrique jusqu'en métropole, avait compris qu'il appartenait déjà à l'histoire. Dans les esprits, il était déjà une figure de la pensée du XXe siècle avec ses richesses et ses imperfections.
LE MIDI LIBREJacques Gantié
"Racines ! Et donc négritude. " Nègre ", pas " Noir ". Césaire brandissait le mot dans toute sa crudité, à la face du colonialisme incarné par la France, comme une arme nouvelle dans l'histoire du déchirement des identités et des cultures. Sa poétique devint ainsi politique. (...) Senghor, Césaire. Le maire et député et l'homme d'État. Ces sages, ces voix de continents. Jusqu'à sa mort, la France a tenu le premier pour le gardien d'un monde enfoui et d'une pensée hors d'âge, au point, humiliant, sous Chirac et Jospin, de n'avoir pas daigné lui rendre l'hommage national qui lui était dû. Alors, on se rattrape avec le second. On reviendra bien assez tôt aux Chinois et aux Ch'tis, nos obsessions du moment, après avoir accompagné l'auteur de Toussaint Louverture et de La Tragédie du roi Christophe en sa dernière demeure, ce qui est la moindre des attentions. Car un demi-siècle après son Discours sur le colonialisme, la révolte d'Aimé Césaire, interprète de l'idée d'indépendance et ambassadeur de l'âme noire, brûle encore"
LES DERNIERES NOUVELLES D'ALSACEOlivier Picard"Même le très grand âge n'empêcha pas cet anticolonialiste définitif de s'élever contre l'absurde alinéa de la loi de 2005 qui reconnaissait le rôle positif de la colonisation... La colère le poussa à fermer sa porte au ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, coupable, à ses yeux, d'avoir soutenu sans nuance ce texte régressif. C'est à cet interlocuteur intransigeant que le président de la République, pas rancunier, veut aujourd'hui réserver une place solennelle dans l'histoire de France... et même au Panthéon. La proposition est belle mais l'intéressé n'en demandait pas tant. Plutôt que les grandes orgues de Paris, il préférerait sans doute la simplicité de son île natale, et la proximité des siens. Loin de pouvoir être enfermé à jamais dans le mausolée des grands hommes de la patrie, son esprit ne sera prisonnier d'aucun temple, fût-il républicain. Il doit vivre, et pas disparaître sous des gerbes de fleurs.