[align=center]Génétique: pour procréer, votre cousin(e) est votre meilleur atout[/align]
Par
Damien Jayat (Vulgarisateur scientifique)
L’inceste est un des comportements les plus tabous de l’humanité. A toutes les époques, dans tous les textes législatifs et religieux, dans toutes les sociétés y compris les plus "primitives", il est généralement interdit d’épouser sa soeur, son cousin ou, pire encore, ses enfants.
Pourtant, une étude issue des laboratoires DeCode Genetics, une société de biotechnologies islandaise, montre que les couples formés par des cousins du troisième ou quatrième degré sont ceux qui ont le plus d’enfants et de petits-enfants. L’idéal serait-il donc'estde se lier à quelqu’un de proche… mais pas trop?
L’inceste est biologiquement inacceptable
Certes, Cléopâtre épousa successivement ses deux frères avant de les faire assassiner. A Rome, les liens sentimentaux et sexuels entre membres des familles impériales étaient emmêlés au point que le peuple n’y retrouvait plus leurs petits. Même Darwin, pourtant bien informé des risques encourus, épousa sa cousine.
Mais ce ne sont que des exceptions à la règle primordiale: on ne couche pas avec'estla famille. L’anthropologue Claude Lévi-Strauss a même suggéré que c’est la prohibition de l’inceste qui permit à l’animal de devenir humain et que les la recherche de femmes extérieures au groupe familial était le fondement de notre vie sociale.
Cette théorie est aujourd’hui contestée mais elle ne se trompe pas en hissant le refus de l’inceste parmi les plus violents instincts de notre espèce. Et pas seulement la nôtre, car les spécialistes qui ont étudié l’inceste chez les animaux confirment que chez les lions, les hyènes, les pics verts, les épinoches, les rats-taupes et bien d’autres, on évite aussi de se reproduire avec'estmaman ou avec'estla frangine.
Pourquoi le monde animal connaît-il cet interdit quasi absolu? Parce que faire des petits avec'estses parents proches présente un inconvénient majeur: ça augmente les chances de mettre au monde des enfants atteints de maladies très graves. L’explication est ici d’ordre génétique.
Deux chromosomes chacun, l'un venu du père, l'autre de la mère
A quelques exceptions près, chacune de vos cellules renferme 46 chromosomes répartis en 23 paires. Dans chaque paire, un chromosome vous a été aimablement fourni par votre père et l’autre par votre mère. Un chromosome est formé de l’enchaînement de plusieurs centaines de gènes, et les deux chromosomes d’une paire sont deux frères presque jumeaux: ils contiennent des gènes qui remplissent les mêmes fonctions mais dont les structures ne sont pas tout à fait identiques. Vous possédez donc'estchaque gène en deux exemplaires qu’on appelle "allèles": un allèle est porté par le chromosome paternel, l’autre par le chromosome maternel.
Voici une représentation schématique d’une paire de chromosomes. Chaque gène (A, B, C, D) est présent en deux allèles légèrement différents: A1 et A2, B1 et B2, etc.
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Or de nombreuses maladies génétiques (la mucoviscidose par exemple) sont liées à des allèles défectueux mais ne déclenchant la maladie que s’ils sont présents en deux exemplaires. Dans l’exemple donné sur le schéma, imaginons que l’allèle A2 entraîne une maladie lorsque l’individu le possède en double (A2/A2). En revanche, les couples d’allèles A1/A2, A2/A1 et encore moins A1/A1 ne provoquent pas de maladie.
Sur l’ensemble de la population humaine, l’allèle défectueux est en général peu répandu. En revanche, il est toujours présent chez plusieurs membres d’une même famille. Normal: si vous êtes A1/A2, vous avez forcément reçu A2 de l’un de vos parents, qui l’a lui-même hérité de l’un des siens. Donc, à coup presque sûr, un de vos cousins ou cousines est aussi A1/A2 et, comme vous, porte l’allèle défectueux sans être malade. Et si vous décidez de faire des bébés ensemble, ces derniers auront une chance sur quatre de tomber malades !
Voilà pourquoi il est recommandé de chercher son compagnon de couette ailleurs que dans sa famille. Les animaux, sans rien connaître aux théories de l’évolution ni à la génétique mendélienne, le ressentent instinctivement. Et nous aussi, puisque bien avant que la science le comprenne, avant même que la religion n’y mette son grain de missel, la pratique de l’inceste était bannie.
La compatibilité des sangs entre en jeu
Alors comment expliquer les résultats obtenus par l’équipe de DeCode Genetics? L’étude menée sur plus de 160&nbsb;000 couples islandais nés entre 1800 et 1965 a montré que, toutes périodes confondues, les femmes mariées à un cousin du troisième ou quatrième degré étaient celles qui offraient au monde un maximum d’enfants et de petits-enfants.
D’après les chercheurs, les raisons de ces observations sont d’ordre uniquement biologique. En effet, la population islandaise est relativement homogène: là-bas, presque toute la population était paysanne en 1800 et elle est presque entièrement urbaine et aisée aujourd’hui. Des facteurs socio-économiques ne peuvent donc'estpas expliquer les résultats de l’étude.
Pour ce qui est de produire moins d’enfants quand les liens de parenté sont trop proches, l’explication semble simple. De nombreuses maladies génétiques apparaissent chez les enfants et entraînent leur mort prématurée. Pour expliquer la descendance nombreuse aux troisième et quatrièem degrés, les chercheurs suggèrent une autre explication biologique: la compatibilité des marqueurs sanguins.
Une mère peut rejeter un foetus, considéré comme un corps étranger
Les cellules du sang, globules rouges, globules blancs et plaquettes, présentent à leur surface des marques spécifiques, des protéines dont la combinaison constitue une sorte de carte d’identité. Elles déterminent le groupe sanguin (A, B ou O), le groupe rhésus (Rh+ ou Rh-) ainsi que plusieurs autres paramètres.
Or ces protéines sont hautement variables, au point que leur combinaison agit comme un code et permet aux systèmes biologiques de se différencier. Si votre organisme rencontre des cellules portant d’autres marqueurs sanguins que les vôtres, il les reconnaît comme étrangères et s’empresse de se payer leur tête. Un système de défense très efficace, mais catastrophique pour certaines mères qui identifient malgré elles leur foetus comme étranger et le rejettent ou le rendent gravement malade!
En revanche, les marqueurs sanguins étant transmis par voie génétique ils sont plus proches entre deux individus appartenant à la même famille. Du coup, si vous choisissez votre cousin ou votre sœur pour concevoir des bébés, leurs marqueurs auront de grandes chances d’être "acceptés" par le système de défense de la maman et vous pourrez donner vie à une ribambelle d’enfants en pleine forme.
Deux phénomènes contradictoires s’opposent donc'estlorsqu’on se reproduit en famille. D’un côté on favorise l’apparition de maladies génétiques, de l’autre on améliore la compatibilité des sangs de la mère et de son enfant. Et d’après les chercheurs islandais, le lien du 3ème ou 4ème degré serait le juste milieu permettant de profiter des avantages de la proximité sans courir trop de risques. S’il s’avère que l’hypothèse des chercheurs est la bonne (ce qui reste à confirmer), vous pourrez sortir vos arbres généalogiques et partir draguer vos cousins éloignés: il paraît que c’est bon pour la santé.
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