« 13000 fonctionnaires morts continuent de percevoir des salaires… »
Par Madior FALL | SUD QUOTIDIEN | mercredi 13 février 2008 |
Lansana Kouyaté, Premier ministre de la Guinée Conakry n’est pas peu fier du travail accompli en moins d’un an par le gouvernement d’union qu’il dirige. « Demandez aux populations qui vivent cette situation au quotidien. Elles savent que la ville de Conakry n’a jamais eu autant d’électricité que maintenant depuis plus de 20 ans, ni autant d’eau… », déclare-t-il. Il n’en reconnaît pas moins que les audits ont révélé que « près de 13400 fonctionnaires principalement dans l’éducation, qui sont décédés et dont on continue de payer les salaires ». Dans l’entretien accordé à l’envoyé spécial de Sud Quotidien, il dresse l’état des lieux, fait de la prospective et parle sans détours du différend surgi récemment entre lui et la présidence de la République.
GUINEE CONAKRY
Monsieur le Premier ministre où en est la situation politique et sociale de votre pays ?
La situation politique et sociale s’améliore comme chacun peut le constater aujourd’hui. Depuis sa mise en place en 2007, le gouvernement veille à appliquer la feuille de route qui lui avait été tracée par les accords. Un comité de veille et de suivi a été crée pour une meilleure application des accords signés en janvier et février 2007. C’est un comité qui comprend les institutions républicaines, les syndicats, les coordinations régionales, les partis politiques, le gouvernement pour que tous, ensemble, on puisse savoir à quelle cadence ces accords sont appliqués. Les réunions ont commencé ce matin (jeudi 6 février 2007 date de l’entretien Ndlr) avec tout le monde et je crois que la prochaine séance est pour mardi et tout cela pour voir point par point comment l’accord est appliqué et voir comment ce qui n’a pas été appliqué peut l’être.
Bien naturellement, il y a des menaces à la prime parce que les syndicalistes disent que si l’on continue de bloquer l’action gouvernementale, ils iront en grève à la fin du mois de mars. Espérons que la sagesse prévale puisqu’on peut régler ces problèmes-là, et c’est ce qui est en tain de se faire à l’Assemblée nationale, sans recourir aux grèves qui coûtent toujours chères au pays.
Qu’en est-il exactement des informations faisant états d’incompréhensions qui auraient surgi entre la Primature et la présidence ?
Vous savez qu’entre un Président et un Premier ministre, il y a toujours des moments où il faut s’expliquer sur tel ou tel autre sujet. En décembre, je n’étais pas là. J’étais en pèlerinage à La Mecque quand il y a eu des textes qui ont été signés et je crois que c’est la lecture de ces textes, de ce décret qui empiétait même sur les prérogatives du chef de l’Etat, le Premier ministre n’était pas que la seule victime, le Président aussi l’était. Mais, cela a été discuté. Ensuite, il y a eu le problème de ce fameux discours qu’on a prêté au chef de l’Etat le 31 décembre dernier. À ce moment aussi, j’ai fait connaître ma position en assumant que ce n’était pas venu du chef de l’Etat et j’en avais toutes les preuves. Bref, par la suite, un certain entourage a joué. Mon ministre de la Communication qui a lu une déclaration que moi j’ai faite a été limogé. Cela a créé un petit problème qui est en train de se résorber. Je viens de parler au Président (jeudi 6 février Ndlr) et je crois que cette parenthèse est close. L’important est maintenant d’éviter que de telles incompréhensions n’arrivent pas à l’avenir.
Qu’en est-il de la tentative de médiation du président sénégalais, Me Wade annoncée dans la presse de votre pays ?
Il n’y a eu pas de médiation de la part du président Wade. Le président Wade est quelqu’un qui soutient le président Conté, qui me soutient et qui aime intensément la Guinée. Il a été le premier chef d’Etat à venir après la constitution de ce gouvernement de consensus. L’autre jour, il est arrivé en provenance de Ouagadougou. Malheureusement, le Président Lansana Conté n’a pas pu venir à sa rencontre, mais ils ont convenu d’une rencontre prochaine. Le Président Wade sera là bientôt ; pas dans un cadre de médiation parce qu’il n’y a pas, mais c’est toujours dans le cadre du rapprochement des relations entre nos deux pays, et surtout dans l’optique d’un axe fort Dakar-Conakry.
L’opposition vous prête l’intention de retarder les législatives pour les coupler à la présidentielle pour votre propre compte. Que lui répondez-vous ?
Personne ne m’a entendu parler de tout cela. Mais, vous savez que quiconque serait aujourd’hui à ma place, on va lui prêter des intentions que qu’il n’a pas. Après tout, c’est le jeu politique qui est comme ça. On me prête des intentions que je n’ai jamais exprimées. Je suis venu dans le cadre d’une feuille de route dont les syndicats, la société civile, les institutions républicaines et le gouvernement d’alors ont été les principaux soutiens. Les partis politiques n’étaient pas signataires. Je suis venu et l’on me disait que les partis politiques n’avaient joué aucun rôle. Malgré tout, je les rencontre par intervalles réguliers, sur la base d’une proposition de calendrier régulier que je leur ai fait. Depuis lors, je tiens cette périodicité. La première fois qu’on a fixé une date pour les élections, je précise que ce n’est pas le gouvernement qui l’a fixé. Je leur ai demandé qu’on fixe une date pour les élections. Ils ont indiqué eux-mêmes qu’il y avait des préalables à remplir bien avant. Une administration centrale presque démantelée avec la grève et les violences qu’on a eues. Sur 33 préfectures, 30 ont été touchées avec la destruction des mairies, des prisons, des commissariats etc. Il fallait rebâtir et cela demande une trentaine de milliards de nos francs. Dieu merci : ce programme se poursuit. J’ai fait connaître toutes les difficultés qu’on avait. On est venu et l’on n’a rien trouvé dans les caisses, aucun budget et il a fallu travailler en cherchant à contrôler nos dépenses et à améliorer nos recettes tout en négociant l’effacement de dettes, la reprise du gouvernement avec le Fonds Monétaire International. Le résultat est hautement positif.
Justement ces élections législatives sont prévues pour quand ?
IL y avait trois écoles de pensée au niveau des partis politiques à ce propos. Ceux qui disaient qu’il fallait les faire en décembre dernier. Ceux qui avançaient le premier trimestre de 2008 et ceux qui estimaient qu’on ne devait même pas parler de ça maintenant. J’avoue que la majorité voulait que ce soit pour décembre 2007. Je l’ai accepté. Quand on a vu qu’on ne pouvait pas tenir la date, le gouvernement n’a pas décidé de reporter unilatéralement la date. J’ai dit aux partis politiques que je n’entendais plus modifier de date et c’était le froid dans la salle à part ceux-là qui avaient proposé que cela soit reporté. Quand j’ai demandé la date, ils ont dit d’attendre que la Ceni soit mise en place. Et, nos partenaires et les partis politiques et le gouvernement, nous tous, nous pensons qu’il ne faut pas fixer une date au pifomètre ; il faut le faire sur la base d’un chronogramme séquentiel. Fixer une date comme ça et essayer de le remplir après, c’est toujours des problèmes. Il faut dire quand est-ce on va faire la liste électorale, la commande du matériel et sa disposition sur place, installer la Ceni, en établir les démembrements à l’intérieur. Une fois que ce chronogramme aura été ficelé, on pourra alors arrêter une date qui pourrait être respectée si nous en respections les séquences. Mon souhait est d’avoir des élections crédibles, transparentes, démocratiques, sincères, honnêtes. Que cela se tienne dans trois mois si on peut le faire ; mais à condition que ça soit transparent, crédible et démocratique.
Comment allez-vous concilier l’impatience des populations guinéennes en prise avec un faible pouvoir d’achat et le temps nécessaire à l’administration pour se déployer ?
Je crois que c’est une question de lecture. Je trouve une parfaite identité entre l’appréciation des institutions de Brettons Wood sur la situation actuelle et celle des populations guinéennes. Demandez aux populations qui vivent cette situation au quotidien. Elles savent que la ville de Conakry n’a jamais eu autant d’électricité que maintenant depuis plus de 20 ans, ni autant d’eau. Des quartiers qui n’ont jamais eu que de l’eau de pluie ont été étonnés de voir le liquide précieux arriver à leurs portes. Ces populations n’ont jamais vu leur monnaie stable sur un temps aussi long. A notre arrivée, l’Euro était à 9500 francs guinéens. Actuellement, il tourne au marché autour de 4800 à 5000 francs guinéens et depuis des mois et des mois, il est resté à ce niveau-là.
En fait, c’était même à un niveau encore plus bas, mais les institutions nous ont recommandé par mesure de prudence de laisser remonter un peu. Même le dollar qui était à 8000 francs à notre arrivée est retombé à 3800 francs à la Banque, 3100 sur le marché. Les gens ont dit à l’époque que c’était un effet passager. Je leur ai dit d’attendre parce que mon but était de transformer le conjoncturel en structurel. C’est ce qui est arrivé parce que depuis six mois, cela n’a pas bougé. Et c’est là un effet mesurable. J’ai trouvé un taux d’inflation à 40% et les derniers chiffres donnés par la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International sont à 12, 5%. Ça, c’est le chiffre de décembre.
De façon pratique, le prix du pain a augmenté partout sauf en Guinée. Là où ça n’a pas augmenté, on a diminué la quantité. Allez demander si cela est le cas en Guinée. Ceux qui sont allés en pèlerinage l’année dernière ont payé pour 16 500 000 francs guinéens alors que pour cette année, ils n’ont payé que 12 millions de francs guinéens. Même le prix de la puce du téléphone est devenu un cadeau puisque qu’il ne s’achète plus qu’à 5000. Le riz par contre ne peut ne pas augmenter à cause de la hausse de son prix sur le marché international. Le problème de la Guinée face aux prix les plus bas de la sous-région, c’est que nous avons aussi les revenus les plus bas de la sous-région. Le gouvernement a décidé dans le cadre de l’amélioration du pouvoir d’achat d’augmenter les salaires indiciaires des travailleurs de la Fonction publique en 2008. C’est déjà dans le budget et ça doit commencer. Pour le reste de la population, ce sont les effets induits des investissements qui seront faits, la création d’emplois. Tout l’engouement qu’on ressent Dans le domaine des mégas projets miniers, de l’hôtellerie, dans le domaine agricole, tout cela va produire des effets.
Mais cela n’est pas pour demain, M. le Premier ministre ?
Savez-vous à quel point cette économie est détruite. Ce qui est fait relève déjà du miracle. Allez dans les hôtels. Vous y trouverez difficilement de la place. Les investisseurs se bousculent à nos portes. On ne peut pas avoir à court terme ce qui ne peut être obtenu qu’à moyen terme, mais on a déjà obtenu tout ce qui peut l’être à court terme. Même au niveau sécurité, nous avons obtenu des résultats tangibles. Au moment des grèves, une trentaine de prisons ont été cassées, des prisonniers se sont évadés, des émeutes ont eu lieu dans des casernes et des armes ont été emportées. Ce n’était pas évident qu’on ait un taux de sécurité identique à celui d’aujourd’hui.
Pour revenir sur ce qui semble avoir été votre différend récemment d’avec la présidence de la République : la Banque centrale de Guinée. Est-elle indépendante ?
Notre Banque centrale est de facto indépendante. Tout le monde sait que le décret qui a été signé n’est pas appliqué à ce jour. Celui qui en a été l’auteur, le Secrétaire général à la présidence a reconnu à mon retour que ce n’était qu’une copie…Le gouvernement a mis sur pied une commission dont la troisième rencontre sera la dernière pour mettre en marche maintenant les recommandations que le gouvernement aura acceptées. Cette petite parenthèse, cette petite coquille comme l’a dit l’auteur qui vient de se passer, n’entame en rien cette marche vers plus d’autonomie de la banque centrale. Demandez, si dans la pratique, il y a eu un changement ? Il n’y en a pas eu. À mon arrivée, les bons du trésor vis-à-vis de la Banque centrale étaient indescriptibles. Si la monnaie s’est stabilisée c’est que tout cela a été endigué. C’est le secret de la stabilité monétaire. Il n’y a pas autre chose. La masse monétaire n’était pas contrôlée : voilà la réalité. Cela veut dire que notre Banque ne souffre d’aucune anomalie. Au contraire, on est en train de tout faire pour améliorer son fonctionnement.
Qu’en est-il des résultats des audits ? Seront-ils suivis d’effet au plan juridique ?
Vous avez certainement dû suivre le Conseil des ministres d’hier (mercredi 6 février Ndlr). Nous avons rendu publics les résultats des 27 audits sur 29. Il ne reste que deux ministères : le ministère des Finances et celui des Travaux publics dont la synthèse des résultats avait déjà été faite ; malheureusement, les termes de référence n’ont pas été exactement suivis de ce côté-là. C’est pourquoi cela a été retourné au groupe d’inspecteurs qui s’en étaient occupés pour une bonne adéquation. Pour les autres audits, les résultats ont été donnés hier (mercredi 6 février). Je peux en citer quelques chiffres. Pour 2006 et seulement trois mois de 2007, il y a eu près de deux cents milliards de francs guinéens qui ont été reconnus par les inspecteurs comme déficit sectoriels, ou sujets de détournements. Il y a près de 400 matériels roulants dont 300 véhicules qui ont théoriquement disparu des inventaires des différents ministères et des provinces (l’équivalent des départements et communautés rurales au Sénégal Ndlr). Il y a près de 13400 fonctionnaires principalement dans l’éducation, qui sont décédés et dont on continue de payer les salaires. Ce sont là seulement quelques chiffres. Les biens matériels, l’immobilier qui ont été pris dans ce cadre, les terrains nus, le patrimoine non bâti qui ont été illégalement occupés, tout cela n’est que pour une année et quelques mois seulement. Le compte-rendu du gouvernement a bien spécifié tous ces résultats qui ont été donnés hier (mercredi 6 février Ndlr).
Quand les audits des deux autres ministères seront achevés, on va faire une consolidation et le détail va être transmis aux institutions républicaines, à la société civile, aux syndicats. Le ministre du contrôle économique et financier fera dans le même temps, une conférence de presse pour en préciser les détails. La procédure en Guinée veut que l’Agent judiciaire de l’Etat soit saisi. Nous le ferons, mais nous avions d’abord un devoir d’information parce que nous avions été commis à ces audits. On rend compte. Maintenant, la vérification de la véracité des choses alléguées appartient à la procédure judiciaire et aux juges.
EXERGUES
1/ Vous savez qu’entre un Président et un Premier ministre, il y a toujours des moments où il faut s’expliquer sur tel ou tel autre sujet…
2/ Le président Wade est quelqu’un qui soutient le président Conté, qui me soutient et qui aime intensément la Guinée.
3/ Pour 2006 et seulement trois mois de 2007, il y a eu près de deux cents milliards de F guinéens qui ont été reconnus par les inspecteurs comme déficit sectoriels, ou sujets de détournements. Il y a près de 400 matériels roulants dont 300 véhicules qui ont théoriquement disparu des inventaires des différents ministères et des provinces…
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