Un de nos riverains, un cuisinier qui vit dans le quartier de Belleville, à Paris, nous a fait parvenir ce récit, samedi. Il s'apprête à porter plainte pour "non assistance à personne en danger" contre les services sociaux, le Samu et l'hôpital qui avaient la charge de Moussa, son voisin malien depuis un peu plus d'un an. Il l'a retrouvé mort, seul, dans sa salle de bains, mardi dernier, au retour d'un séjour à l'hôpital "parce que tout le monde a lâché prise, s'est déresponsabilisé".
Mardi dernier, Moussa est mort de froid. Dans un appartement, à Paris, dans mon immeuble. Moussa est infirme des jambes, il se balade dans un fauteuil. Non: il se baladait dans un fauteuil.
Depuis quelques jours, il tombait de son lit, de son fauteuil, deux à trois fois par jour. Il appelait mon voisin et mon voisin le relevait. Il lui demandait: "Ça va?" et il lui répondait qu'il allait prendre une douche.
Son handicap était survenu après un accident de travail: il était laveur de vitres et il est tombé d'un échafaudage. Il avait vécu dans un centre et tous (médecins, psy et assistance sociale) avaient convenu que Moussa était assez autonome pour vivre seul.
Un cri primal de survieUn jour, j'étais chez moi et j'ai entendu vers 22 heures Moussa appeler mon voisin en hurlant. C'était un cri primal de survie, nous y sommes allés et j'ai vu cet homme ramper et hurler, couvert de sang. Je lui ai parlé: "Moussa, nous allons appeler
les pompiers, tu ne peux pas continuer comme cela." Il m'a dit: "Non, relevez moi, je veux prendre ma douche."
J'ai répondu que non, qu'il fallait qu'il soit pris en charge par des services spécialisés. J'ai appelé les pompiers et j'ai regardé son appartement: pas de table, il mangeait sur son évier. Le lit, soi disant un lit médical, était bon quand on se casse une jambe mais pas pour son handicap: pas de barrières, trop petit pour sa corpulence. Il y avait un drap déchiré, ni couette ni couverture. Sa chaise était à moitié bloquée, pas de lumières dans la pièce, le chauffage éteint.
Les pompiers arrivent et le remettent sur son fauteuil après les questions d'usage (comme une litanie: "Ça va?", "oui, je veux prendre une douche"). Ils lui nettoient les pieds et ils repartent. Je commence à parler à Moussa et je lui demande si tout est ok. Là, il me dit: "Enlève-moi les ampoules parce que cela coûte cher l'électricité." Je lui réponds que non, qu'il lui faut de la lumière.
Il n'ira pas a l'hôpital car il n'est pas blesséNous rentrons chez nous et à 2 heures, nous entendons encore ce cri et nous accourrons. Moussa par terre... on recommence. Je rappelle les pompiers et ils reviennent. Je leur demande de l'emmener à l'hôpital mais ils refusent car, me répondent-ils, il n'est pas blessé.
On s'aperçoit que le chauffage est éteint, nous le rallumons et j'engueule Moussa. Nous repartons, intrigués et craignant le pire, mais nous repartons. Vers 10 heures du matin, j'appelle son assistante sociale. Elle n'est pas là, mais j'ai une autre personne qui me demande plus ou moins de quoi je me mêle et m'assure que Moussa va très bien et que je m'inquiète un peu trop.
Vers 11 heures, encore ce cri. J'y vais et je sais à quoi je dois m'attendre. Le sempiternel "Relève moi, je veux prendre une douche." Le chauffage est éteint, je le
rallume. J'appelle le Samu, j'explique (un peu excédé, c'est vrai) la situation. Cette brave dame me répond qu'il faut que j'appelle les pompiers et que, franchement, elle perd son temps avec moi et que des choses plus graves se passent. Bienvenue dans le monde réel.
Je n'ai qu'à m'en occuper. Ah bon?Je rappelle son assistante sociale et rebelote: ils ne peuvent rien faire. Madame
X n'est pas là. Je n'ai qu'à m'en occuper. Ah bon? Les pompiers reviennent, à peu près les mêmes, et là ils prennent conscience du problème. Ils seront les seuls, d'ailleurs.
Nous en parlons et ils commencent à lui poser des questions: quel jour sommes-nous? Quel mois? Quelle année? Que des réponses fausses: pour lui, nous étions dimanche au mois de mars 2006. Son nom, il le connaissait à peine et encore moins son adresse.
Le Samu arrive et moi j'étais fier de moi: ils allaient voir qu'il n'allait pas bien, il serait pris en charge à l'hôpital. Nous étions jeudi et, chaque jour passant, nous nous disions: "C'est bon, Moussa est pris en charge, soigné et tout va bien."
Le dimanche matin, je descends et je vois que Moussa est de retour. Je vais voir mon voisin et il me dit qu'il lui a parlé et a mis le chauffage. Lundi passe. Mardi matin, mon voisin est inquiet, le rideau est toujours fermé. Il frappe, rien, le silence. Il appelle les pompiers.
Mort de froid, par terre, dans la salle de bainsLes pompiers arrivent et forcent la porte. Moussa était par terre et mort. Mort de
froid, il avait éteint le chauffage et il était dans la salle de bain.
Moussa va être enterré dans la terre de ses ancêtres, le Mali. Et une enfant de 6 ans va voir son père, qu'elle n'avait jamais vu, arriver dans un cercueil.
Dès que l'enquête sera terminée, j'ai décidé de porter plainte avec l'aide d'une association de Maliens, contre l'hôpital, son assistante sociale, le Samu. Pour non assistance à personne en danger.
http://www.rue89.com/2008/12/22/mardi-j ... icape-mort