La victime de la bavure révélée par Rue89 comparaît ce mercredi à Bobigny pour "violences volontaires" contre des policiers.
La victime présumée de la bavure révélée en octobre par Rue89 comparaît mercredi au tribunal de Bobigny pour "violences volontaires sur personnes dépositaires de l'autorité publique".
Sur ces faits, rien de nouveau: Abdoulaye Fofana, l'étudiant de 20 ans d'origine guinéenne interpellé dans des conditions violentes le 14 octobre à son domicile, continue de déclarer qu'il n'est pour rien dans le jet de projectiles sur une voiture de police. Un des policiers, lui, est toujours certain de l'avoir reconnu. Au tribunal de trancher.
Un policier "défavorablement connu de l'IGS"
De l'autre côté, l'enquête menée par l'Inspection générale des services (IGS, la police des polices) sur les coups portés sur l'étudiant par des policiers semble progresser rapidement.
En octobre, deux policiers, un gardien de la paix de 26 ans et un sous-brigadier de 38 ans, avaient été mis en examen pour "violences aggravées". Auditionnés, ils ont reconnu les faits. Le plus âgé serait aussi impliqué dans une autre bavure présumée, commise quelques jours plus tôt toujours à Montfermeil: il aurait frappé un jeune à coups de matraque.
Contrairement à Abdoulaye Fofana, qui avait été entendu comme témoin dans une affaire de recel de vol, aucun des deux policiers n'est fiché au Stic -mais les policiers ne le sont jamais. Le sous-brigadier est en revanche "défavorablement connu de l'IGS".
Après trois enquêtes classées sans suite, il devrait être prochainement renvoyé devant le conseil de discipline pour avoir, alors qu'il était ivre à son domicile, tiré un coup de feu avec une arme dont l'autorisation de détention était périmée, en présence de collègues.
La version que les policiers ont défendue lors de leur audition par l'IGS est la suivante: le 14 octobre vers 21h30, alors qu'ils roulaient dans une rue non éclairée de Montfermeil à environ 50-60 km/h, ils ont reçu des projectiles.
L'un d'eux, le conducteur, affirme avoir reconnu Abdoulaye Fofana qui, selon lui, portait une capuche. Les policiers ne s'arrêtent pas. Environ une demi-heure plus tard, ils reconnaissent Abdoulaye Fofana et lui courent après dans l'escalier de l'immeuble.
La version des policiers ne tient pas, selon l'expert
Arrivé devant chez lui, au 5e étage, une dizaine de policiers à ses trousses, le jeune homme aurait, selon eux, lui-même enfoncé la porte de son appartement, d'un coup d'épaule. Or, une expertise contredit cette thèse.
Nommé par la juge d'instruction Catherine Bruère à la demande de l'avocat d'Abdoulaye Fofana, l'expert conclut qu'un fort coup d'épaule aurait été insuffisant pour ouvrir la porte, et aurait provoqué des lésions à son auteur.
Cette expertise vient donc confirmer la version de la famille Fofana, selon laquelle les policiers ont eux-mêmes enfoncé la porte avant de faire irruption dans l'appartement. Abdoulaye Fofana, qui affirme n'avoir pas bougé de sa chambre depuis le début de la soirée -puisqu'il regardait le match France-Tunisie avec des amis-, a raconté aux policiers le déroulé de la rencontre sportive pour prouver ses dires.
L'expertise vient aussi appuyer l'avocat de la victime, Me Yassine Bouzrou, qui considère qu'il y a "subornation de témoins" dans la mesure où Abdoulaye Fofana avait repris cette version du coup d'épaule dans l'une de ses auditions (sur trois).
Un expert conclut que la vidéo n'a pas été montée
Au total, 17 policiers ont été auditionnés en octobre par l'IGS. Alors qu'ils affirment n'avoir rien vu des coups portés par deux des leurs au jeune homme, l'IGS note d'importantes incohérences, à la fois entre leurs différentes déclarations, mais aussi avec l'exploitation du film: leur position sur les images et l'orientation de leurs visages montrent qu'ils ont forcément vu les coups portés à la victime. Ce qu'ils nient.
Cinq autres policiers pourraient donc être mis en cause pour "non empêchement d'un délit contre l'intégrité corporelle". Selon Abdoulaye Fofana et des témoignages de voisins recueillis sur place par Rue89, la victime a été frappée à plusieurs dizaines de reprises entre le 5e étage et le hall du rez-de-chaussée, où a été filmée la vidéo. (Voir la vidéo)
L'objectivité de cette vidéo, tournée par le réalisateur Ladj Ly et révélée par Rue89, avait été contestée, d'abord par le directeur de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis, puis par un sénateur UMP de ce département.
Le premier accusait Ladj Ly d'avoir "restreint" son film aux scènes mettant en cause les policiers; le second parlait carrément de "vidéos bidonnées d'apprentis Spielberg" qui "montent" leurs images. Malheureusement pour ces personnalités, une expertise ordonnée par la juge conclut à l'absence d'élément indiquant que la vidéo ait pu être modifiée, coupée ou montée, et que le film se présente comme un seul plan-séquence.
A l'audience de mercredi, Me Bouzrou devrait plaider la nullité de l'interpellation de son client, en s'appuyant sur l'expertise de la porte.