par kima » Mar Aoû 05, 2008 12:57 pm
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La polygamie est-elle une nécessité en Afrique ?
- 2 février 1999 - par JACQUES VALLIN, DIRECTEUR DE RECHERCHE À L'INSTITUT NATIONAL D'ÉTUDES DÉMOGRAPHIQUES (INED), À PARIS, ET VICE-PRÉSIDENT DE L'UNION INTERNATIONALE POUR L'ÉTUDE SCIENTIFIQUE DE LA POPULATION.
On le dit parfois : les populations africaines comptant plus de femmes que d'hommes, la polygamie est nécessaire pour que chaque femme puisse accéder au mariage, s'accomplir sur le plan affectif et familial et mettre des enfants au monde. Une belle légende parfois entretenue par des hommes dont le métier laisse pourtant supposer qu'ils devraient être bien informés. Je me souviendrai toujours de ce médecin togolais affirmant le plus sérieusement du monde, dans un colloque sur la population, que dans son pays, la polygamie était une nécessité absolue car le Togo comptait sept femmes pour un homme. La réalité est tout autre. Dans tous les pays du monde, sauf situation exceptionnelle, il y a toujours, au total, à peu près autant d'hommes que de femmes.
Il est vrai que cet équilibre entre les sexes varie avec l'âge pour différentes raisons. Mais, au départ, s'il y a déséquilibre, il est plutôt du côté des hommes, puisqu'il naît toujours un peu plus de garçons que de filles. En l'absence de toute intervention humaine, la proportion est de 105 garçons pour 100 filles. Cette proportion était même une des rares constantes observables en démographie, jusqu'à ce que, tout récemment, certaines populations, où le sexe féminin est particulièrement dévalorisé (notamment en Inde), commencent à pratiquer l'avortement sélectif sur la base d'un diagnostic précoce du sexe du foetus. Plus nombreux à la naissance, les garçons sont cependant soumis ensuite à une mortalité plus forte que les filles. Mais, là encore, le phénomène est généralement de faible ampleur. Il n'est d'ailleurs pas toujours avéré. Dans les pays culturellement défavorables au sexe féminin, la mortalité des petites filles est plus forte que celle des garçons et, si les conditions sanitaires sont mauvaises, les femmes adultes souffrent également d'une surmortalité aux âges de la procréation en raison du risque propre aux grossesses et aux accouchements. En Afrique, il y a, en fait, peu de différence de mortalité entre les sexes avant l'âge de 50 ans. Au total, natalité et mortalité combinées produisent un équilibre presque parfait entre les nombres d'hommes et de femmes aux âges de la procréation. Restent les migrations. Elles affectent généralement plus les hommes que les femmes. Mais, là encore, rares sont les pays où les courants migratoires sont assez forts pour provoquer un grave déséquilibre entre les sexes. Et, surtout, ce déséquilibre peut varier de sens. L'Algérie des années soixante-dix, par exemple, a connu un déficit assez marqué de jeunes hommes, mais les pays pétroliers du Golfe se sont trouvés dans la situation inverse. Cela n'a pas empêché la polygamie ni de régresser en Algérie ni de se maintenir dans les pays du Golfe. Quant aux pays d'Afrique subsaharienne, pourtant soumis à d'importants flux migratoires, aucun n'a jamais connu de grave déséquilibre entre sexes, les migrations touchant presque autant les femmes que les hommes.
Pourtant, c'est un fait, la polygamie suppose un déséquilibre numérique. En Afrique, ce déséquilibre que ni la natalité, ni la mortalité, ni les migrations ne produisent, c'est le comportement social qui l'organise, en jouant sur un quatrième élément de la situation démographique : la pyramide des âges. Celle-ci étant très large à la base et maigrissant rapidement d'âge en âge, il suffit que les hommes se marient un peu plus tard que les femmes pour obtenir un nombre de candidates au mariage nettement plus important que celui des candidats. De fait, en Afrique subsaharienne, les âges moyens au premier mariage sont très précoces pour les femmes (de l'ordre de 18-20 ans) et plus tardifs pour les hommes (de l'ordre de 25-28 ans). Ce décalage de 5 à 10 ans met en rapport un effectif de jeunes filles à marier qui peut être supérieur de 15 % à 30 % à celui des hommes cherchant épouse. Mais il faut y ajouter un phénomène complémentaire : après divorce ou veuvage, les femmes se remarient d'autant plus systématiquement que les hommes, même déjà mariés, peuvent les épouser, et les écarts d'âge sont encore plus grands pour ces remariages que pour les mariages de célibataires, ce qui ouvre une seconde voie à la polygamie. Loin d'être une nécessité biologique ou démographique, la polygamie n'est donc en fait réalisable que grâce au respect de normes sociales particulières permettant de créer artificiellement un déséquilibre entre les sexes.
Faute de reposer sur une quelconque nécessité, ces normes ont-elles au moins une utilité ? Pour en juger sur le plan démographique, il faut se rapporter au contexte, aujourd'hui dépassé, qui prévalait lorsqu'elles ont pris corps : il fallait alors maximiser la fécondité pour assurer le renouvellement des générations à une époque où la mortalité infantile était très forte. La polygamie permettait-elle d'avoir plus d'enfants ? On pourrait croire, à première vue, que la réponse diffère selon que l'on adopte le point de vue de la mère ou celui du père. Individuellement, il est bien clair qu'un homme pourra avoir, toutes choses égales par ailleurs, plus d'enfants s'il est polygame que s'il est monogame, alors que pour la femme, que son mari soit polygame ou non, la situation ne changera guère. Mais qu'en est-il sur le plan collectif, pour la fécondité de la population ? Curieusement, là aussi, cela semble dépendre des points de vue. On a pu calculer, par exemple, que, chez les Peuls Bandé du Sénégal oriental, le taux de fécondité était de 7 enfants par femme mais de 12 enfants par homme. Résultat paradoxal puisque ces taux sont obtenus avec le même nombre d'enfants et que l'on sait qu'il y a à peu près autant d'hommes que de femmes.
En fait, ce résultat n'est pas tant dû à la polygamie elle-même qu'au fait que les hommes ont en moyenne leurs enfants nettement plus tard que les femmes. Aux âges où ils procréent, ils sont moins nombreux que les femmes et, pour avoir le même nombre d'enfants, leurs taux de fécondité doivent être plus élevés. Mais, finalement, pour cette même raison, cette fécondité supérieure des hommes ne change en rien la capacité de reproduction de la population. Les hommes ont en moyenne plus d'enfants, certes, mais comme il leur faut plus de temps pour les faire, le renouvellement des générations ne sera pas plus rapide chez les hommes que chez les femmes. Les hommes peuvent ainsi croire que grâce à leur polygamie, ils accroissent la capacité de reproduction de la population. En réalité, ce n'est qu'une illusion.
Masculins ou féminins, les taux de fécondité ne sont guère influencés par la polygamie. On dit pourtant parfois que la polygamie est un recours contre la stérilité. Un homme pourra en effet peut-être avoir d'une seconde épouse la postérité qu'il n'aura pas eue de la première ; encore faudrait-il que ce ne soit pas lui qui soit stérile. Et, de toute façon, la première épouse n'en aura sans doute que moins de chance encore d'avoir des enfants, sauf si elle divorce pour se remarier. En fait, pour que la polygamie soit une manière de parer à la stérilité, il faudrait qu'elle soit symétrique : qu'elle s'applique aussi bien aux femmes qu'aux hommes. J'ai en effet employé jusqu'à présent ce mot avec le sens qu'on lui donne généralement (le fait pour un homme d'épouser plusieurs femmes) et pour lequel on devrait dire polygynie. À dire vrai, polygamie a un sens plus général englobant aussi le fait pour une femme d'avoir plusieurs maris, la polyandrie. Pour qu'elle réduise la fréquence de la stérilité dans une population, il faudrait que la polygamie y soit pratiquée simultanément dans les deux sens. Ce qui n'est guère le cas, ni en Afrique ni ailleurs !
La polygamie n'est donc ni nécessaire ni utile sur le plan démographique. En revanche, elle est un puissant facteur d'inégalité entre les sexes. N'étant pratiquée que dans une seule direction, elle donne plus de droits à l'homme qu'à la femme. Et bien sûr, plus de pouvoir. Plus l'homme sera riche, plus il pourra avoir de femmes et plus il tirera profit et puissance de leur travail ainsi que des enfants qu'elles lui donneront. Et par ce biais, la polygamie est aussi un facteur d'inégalités entre les hommes eux-mêmes, les plus pauvres devant parfois rester sans femme pour que de plus riches puissent en avoir plusieurs.
Mais la polygamie, au moins dans son acception traditionnelle, a toute chance de disparaître. Elle a déjà beaucoup reculé dans nombre de pays où elle était jadis pratiquée. En Afrique du Nord, notamment, elle est devenue très marginale, même là où elle n'a pas encore été légalement abolie comme en Tunisie. En Afrique sub-saharienne même, l'évolution démographique la fera sans doute aussi disparaître. Elle est en effet facilitée aujourd'hui par la forme très évasée des pyramides d'âge. Lorsque celles-ci auront pris leur forme post-transitionnelle, beaucoup moins large à la base, il ne suffira plus aux hommes de se marier plus tard que les femmes pour pouvoir en épouser plusieurs : chaque cas de polygamie condamnera automatiquement un ou plusieurs hommes au célibat forcé. Et que dire des sociétés où la dévalorisation du sexe féminin est telle qu'elle pousse les parents à pratiquer l'avortement sélectif ? Les hommes n'y auront même plus tous accès au mariage monogame ! Y encouragera-t-on alors la polyandrie ?