Après la nouvelle année, la rentrée scolaire est une période faste pour les grandes résolutions. A la rentrée, je fais un régime, je bêche le jardin, je fais opérer le chat, je vidange la voiture, etc. Pour ceux qui s’attelleraient à la lourde tâche de comprendre et d’améliorer leur comportement sexuel, je recommande la lecture d’un journal scientifique très sérieux, intitulé
Archives of Sexual Behaviour. On y puise des pistes de réflexion insoupçonnées.
Au plus profond de l’orgasmeLes spécialistes du sexe réservent une légitime attention à l’orgasme, plaisir ultime, absolu, symbole d’un septième ciel qu’on peut penser illusoire car on a déjà du mal à observer le premier. Les chercheurs, eux, gardent les pieds sur terre pour mettre les mains dans le cambouis et sonder les mystères de l’orgasme. Vous allez voir que l’expression n’est pas forcément à prendre au second degré.
L’équipe du Dr Rudie Kortekaas, de l’université de Groningen (Pays-Bas), a ainsi publié en décembre 2006 les résultats d’une longue investigation, au terme de laquelle elle se déclare en possession d’une méthode infaillible pour détecter l’orgasme féminin. La méthode est simple, puisqu’elle consiste à… mesurer la pression rectale.
Une relation entre le plaisir sexuel et l’extrémité du tube digestif peut intriguer au premier abord. Pourtant, les études le prouvent : l’explosion d’un orgasme provoque un sacré chambardement de toute la région périnée, c’est-à-dire dans les alentours de l’anus et des organes génitaux. Depuis les années 1960, on a scientifiquement enregistré des contractions de plusieurs muscles au cours de l’orgasme, notamment le sphincter anal, le muscle élévateur de l’anus et, chez la femme, les muscles lisses de l’utérus.
Le sphincter est situé tout autour du rectum dont il contrôle les contractions, ainsi que l’ouverture et la fermeture de l’anus (rappel anatomique : le rectum est le dernier segment de l’intestin situé juste avant la sortie, l’anus étant la sortie proprement dite). L’élévateur participe quant à lui au maintien des divers boyaux de la région, certaines de ses fibres rejoignant même celles du sphincter. D’autres muscles complètent ce réseau qui assure une certaine continuité de l’avant à l’arrière de la région pelvienne, et même sur les côtés. Voilà pourquoi le déclenchement de l’orgasme se propage, via le réseau de muscles, à des endroits a priori reculés.
Pour savoir si elle simule, mesurez la pressionD’après le Dr Kortekaas, la plupart des contractions musculaires surviennent au moment de l’orgasme réel mais aussi lors de simulations ou d’excitations sexuelles qui n’aboutissent pas au plaisir suprême. La rigueur scientifique ne peut donc pas les accepter comme marqueurs objectifs, spécifiques de l’orgasme. Pour trouver un moyen de différencier le vrai plaisir du faux, il fallut pousser l’analyse plus loin et même, si j’ose dire, plus profond.
Les chercheurs hollandais se sont penchés vers l’intérieur du rectum, où ils ont comparé les variations de pression suite aux contractions musculaires d’un vrai ou d’un faux orgasme. On peut en effet considérer le sphincter comme une membrane capable de vibrer : en enchaînant les contractions et les relâchements, les muscles qui l’entourent font augmenter puis diminuer la pression de l’air à l’intérieur du rectum.
Chacun sait ce qui arrive lorsque la pression augmente au point de faire sortir l’air par l’orifice… En-dehors de ces débordements accidentels, les variations de pression rectale permettent donc, à en croire l’équipe du Dr Kortekaas, d’identifier un bon, vrai orgasme qui fait du bien. Pour obtenir cette conclusion révolutionnaire, l’équipe a soumis un lot de vingt-trois femmes en pleine forme (c’est précisé dans l’article) à trois types d’expériences : un vrai orgasme, une simulation d’orgasme, ou une excitation sans orgasme à la fin. Au cours de ces expériences on a mesuré, avec un matériel approprié -et j’espère pas trop gros- les variations de pression rectale.
Les signaux enregistrés furent ensuite soumis à une « analyse spectrale », qui consiste à décomposer les vibrations puis à les classer en fonction de leur fréquence, des plus lentes (fréquences dites « delta », moins de quatre vibrations par seconde) aux plus rapides possibles pour un rectum (fréquences « bêta », de treize à vingt-cinq vibrations par seconde). Et qu’ont remarqué les chercheurs ? Que globalement les signaux étaient similaires dans tous les cas : le vrai orgasme, le simulé et le presque-mais-on-a-arrêté-juste-avant. Sauf dans la gamme de fréquence dite « alpha », entre huit et treize vibrations par seconde : en cas de vrai orgasme, les vibrations alpha sont beaucoup plus fortes que dans les deux autres situations. Conclusion : l’orgasme féminin se détecte en mesurant les variations d’ondes alpha dans la pression rectale. Quand on y pense, c’est tellement évident !
Débat entre savants : qui a vu l’orgasme en premier ?Pour vous dire à quel point le sujet est sérieux, l’article du Dr Kortekaas s’est attiré les foudres d’un collègue nommé Roy J. Levin, qui exerce au laboratoire de physiologie sexuelle de la clinique Porterbrook, à Sheffield (Angleterre). Levin s’est plaint en avril 2008 auprès du magazine où l’article fut publié, reprochant aux Hollandais de ne même pas avoir cité son article de 1985 dans lequel il montrait que plus l’orgasme d’une femme était intense, plus son rythme cardiaque était rapide. Et donc, il s’adjugeait le rôle de premier découvreur d’un marqueur de l’orgasme, et sur un ton bien froncé des sourcils pour montrer sa colère.
Les savants bataves ne se sont pas démontés et ont publié dans le numéro de juillet dernier
une réponse à la réponse. Entre autres remises en place du Dr Levin, ils lui ont rappelé qu’il avait proposé un moyen de mesurer l’intensité d’un orgasme, mais pas de décider si oui ou non la femme pâmait réellement. Alors que eux, si. Et pan ! Notre comportement sexuel est donc pris très au sérieux par les spécialistes, et on peut leur faire confiance pour, d’une part, investiguer profondément nos entrailles à la recherche du plaisir, et pour, d’autre part, défendre leur bout de rectum avec le courage qui accompagne toutes les convictions. En attendant, avec ce genre d’articles on comprend pourquoi le journal s’appelle Archives of Sexual Behaviour et pas Annals of…, comme l’ont choisi d’autres orgasmes (pardon, organes) de presse. Le jeu de mots eût été trop proche du pléonasme.
Photo : Film X sur la télévision d’une chambre d’hôtel à Riga, en Lettonie (Olivier Culmann).
http://www.rue89.com/infusion-de-scienc ... lle-simule