Fiction sur l'ESSOR du Mali: Les multiples vies de Anna : le

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Fiction sur l'ESSOR du Mali: Les multiples vies de Anna : le temps de l’insouciance

Messagepar Moye » Ven Jan 12, 2007 2:53 am

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Les deux bonnes dames abasourdies par les explications de leur interlocuteur lui apprirent qu'Anna était au lycée [/align]



Anna avait grandi, entourée de l’affection et de l’admiration générales. Mais cette période bénie s’achevait.

C'est l'histoire d'un destin de femme qui échappe au commun. C'est la chronique d'une existence qui aurait pu se couler dans le moule d'une vie familiale paisible, mais qui fut happée par les tourbillons des liaisons plus ou moins heureuses, des rencontres plus ou moins dangereuses. Ce que nous allons vous raconter s'est réellement produit. Du moins dans ses grandes lignes. Car pour préserver l'anonymat de celle qui s'est confiée à nous, il nous a fallu travestir quelque peu des faits et changer des noms. Mais nous n'avons pas bouleversé les grandes lignes d'une histoire sentimentale peu banale où se retrouvent personnalités connues de la politique, de l'intelligentsia et de l'armée. Une histoire qui si elle était restituée dans toute sa vérité pourrait réveiller de vieux antagonismes, rouvrir des plaies que l'on croyait cicatrisées et surtout ramener quelques puissants au rang de simples mortels, soumis aux impitoyables caprices de l'amour.

La vie sentimentale de notre héroïne, que nous appellerons Anna, a traversé les républiques et les âges en une trajectoire extraordinaire. Le Ciel avait réellement "gâté" cette femme au plan physique, mais par la suite il lui fit payer au prix fort une beauté hors du commun. Nous choisissons de commencer notre récit une demi-décennie après l'indépendance de notre pays lorsque Anna avait dix-huit ans. A cette époque les traits de sa beauté s'étaient déjà affirmés. Son joli visage sur lequel flottait un sourire perpétuel attestait de sa nature heureuse et douce. Il indiquait que cette jeune fille était incapable de se mettre véritablement en colère. Des lignes harmonieuses de la figure ressortaient des grands yeux brillants légèrement protubérants, un nez parfait et une large bouge aux lèvres pulpeuses.

Anna était entourée d'une espèce d'aura, de bonne humeur. Et à un âge où les jeunes filles se jalousent en silence, elle n'avait aucune ennemie cachée. Bien au contraire, ses amies paraissaient se bousculer pour être le plus près d'elle, comme pour rattraper un peu de sa disposition au bonheur. Pas un homme dans les années 60 ne pouvait soutenir l'éclat d'une telle beauté sans faillir. Car Anna ajoutait à un charme naturel un physique irréprochable. Sa taille mince et bien prise tranchait avec une chute de reins qu'on ne se laissait jamais d'admirer. Quant la jeune fille se mouvait, son déhanchement grâcieux affolait littéralement les hommes. Et certains avouaient sans honte, ni exagération qu'il leur était arrivé de râter deux ou trois battements de cœur en la regardant se mouvoir.

A cette époque, la rumeur faisait courir une anecdote significative sur la beauté de Anna. On racontait qu'un homme d'âge mur vint un soir faire le guet devant la porte de la lycéenne. Il resta planté au même endroit jusqu'au lendemain et sa présence intrigua les femmes qui allaient au marché. Deux d'entre elles prirent leur courage à deux mains et lui demandèrent ce qu'il attendait là. On imagine leur effarement lorsqu'elles entendirent la réponse suivante. "J'avais, dit l'homme, un commerce florissant, mais qui a périclité. Tel que vous me voyez, j'ai toutes les raisons de désespérer du destin. Mais je veux croire encore à la vie et trouver une raison de me battre malgré les difficultés. C'est pourquoi il me faut voir cette jeune fille dont tout Bamako est amoureux. Il paraît qu'elle est aussi belle qu'une diablesse. Si une telle créature existe, alors je pourrais me dire que la lumière est encore de ce bas monde".

Les deux bonnes dames abasourdies par les explications de leur interlocuteur lui apprirent qu'Anna était à l'internat au lycée et qu'elle ne viendrait donc à la maison que pendant le week-end. L'homme leur fit promettre de l'appeler afin qu'il puise parler à cette fleur rare. Le samedi suivant, dans l'après-midi, il se retrouva donc chez Anna, qui le fit asseoir et lui offrit à boire. Mais l'homme tremblait tellement que le verre lui échappa et se brisa. Tout honteux, il se leva et demanda la permission de se retirer. Avant de tourner les talons, il lança à la fille "Je n'ai jamais vu de diablesses, mais tu dois être plus belle qu'elles. Alors laisse-moi te donner un conseil, sois forte dans ta tête. Sinon tu ne te marieras jamais".
La mise en garde troubla Anna et comme d'habitude, quand elle était perturbée, elle alla demander conseil à la petite sœur de sa mère, sa tante Bassira qui logeait à quelques carrés de leur famille. Une famille qui gagne à être connue. Le père de Anna, Aboul Kader, était un fonctionnaire en apparence comme beaucoup d'autres. Mais en apparence seulement, car il présentait la particularité d'être le benjamin de deux "gros bonnets", hauts placés dans la sphère dirigeante. La mère de Anna était décédée, la laissant orpheline elle et ses deux frères. Le mari inconsolable ne voulut jamais se remarier malgré le forcing de ses frères, lesquels tentèrent longtemps sans succès de lui forcer la main afin de l'amener à épouser sa belle-sœur Bassira, veuve sans enfant d'une première union.

Au fil du temps, Kader se ramollit et finit par accepter qu'on installe la "candidate" dans la concession d'un de ses cousins située à trois pâtés de maison de chez lui. Il s'y rendait de temps en temps, mais sans trop s'engager. Puis sous la pression conjuguée des enfants, qui étaient des chauds partisans de leur tante, cette fréquentation épisodique évolua vers une forme de vie commune à la fin des années 60. L'influence de Bassira, particulièrement sur Anna était indiscutable puisqu'elle servait à la jeune fille tout à la fois de mère, de grande sœur, mais aussi de première confidente. Il n'existait pas de sujet tabou entre la fille et la femme. Ce que raconte d'ailleurs Anna, à qui nous laissons la parole.

"Je ne vais pas chercher à le nier. A dix huit ans, dit-elle, j'étais consciente de l'admiration dont je faisais l'objet de la part des jeunes et des adultes. Mes camarades garçons recherchaient mon amitié de même que presque toutes les filles de mon âge. Quand aux adultes, le regard qu'ils posaient sur moi était différent. En plus d'une certaine admiration, de leurs yeux transpiraient surtout le désir. Mais Bassira me fit prendre très tôt conscience des pièges dans lesquels j'étais susceptible de tomber. C'était elle qui me dictait la conduite à tenir dans les situations les plus délicates. Il faut dire que je lui facilitais quand même les choses. Ma gentillesse naturelle désarmait les plus entreprenants et je n'étais pas arrogante envers ceux qui me manifestaient de manière trop zélée leur attachement.

Il arrivait pourtant qu'à mon réveil le dimanche je trouve un groupe d'amis de mon petit frère en train d'espérer que je vienne seulement leur dire bonjour. De l'autre côté, ceux de mon grand frère attendaient de moi un mot gentil ou une participation à leur conversation. Je n'étais jamais embarrassée pour les satisfaire. Lors des surprises-parties je dansais à tour de rôle avec chacun d'eux. Lors d'une soirée, Sinaly, l'un des amis de mon frère aîné, était tellement ému de me serrer contre lui qu'il s'évanouit dans mes bras. Heureusement que sa perte de conscience ne dura que quelques secondes. L'incident, on l'imagine, fit le tour de la ville sous diverses versions et il ajouta encore à ma réputation. Depuis, j'appelais Sinaly, "mon mari", cela afin de rétablir sa réputation un peu écornée.
Que n'auraient donné les autres amis de mon frère pour mériter cette appellation ? L'influence que j'avais sur les hommes m'effrayait parfois. Il me suffisait d'intervenir auprès de deux jeunes gens qui se bagarraient pour qu'ils se calment aussitôt. Quand à ceux qui m'offraient toutes sortes de cadeaux, je ne les comptais plus. Mais je refusais courtoisement ces présents en jeune fille bien éduquée.

Certains hommes qui avaient l'âge de mon père se bousculaient pour me voir en m'appelant hypocritement "ma fille". Je leur rendais le respect dû en disant "mon père" lorsque je m'adressais à eux. Vous allez me trouver présomptueuse, mais très sincèrement, je n'avais pas conscience du bonheur et surtout de la chaleur que je communiquais à tous ces hommes, jeunes et vieux. Je m'efforçais seulement d'être gentille tout simplement. C'était dans ma nature d'être accommodante avec les gens, je crois. D'ailleurs Bassira me le disait. Elle considérait ce trait de caractère comme l'arme servant à me protèger. Ma "défense naturelle" en quelque sorte même s'il arriva que cela ne suffise pas toujours à m'éviter de connaître quelques mésaventures. De cela on reparlera. Mais pour l'instant suivont le cours naturel de mes confidences. Tu veux bien?" J'aquiessais d'un hochement de tête et Anna reprit le cours de sa narration.

"Au lycée, j'étais adulée au point je ressentais parfois un certain trouble devant l'assiduité de certains jeunes gens des classes supérieures. Mes camarades de promotion, eux, étaient fiers d'être comme à mon service. Quand ils allaient aux différentes compétitions sportives, j'étais là pour les encourager et leur apporter à boire. Je m'impliquais tellement dans leur cause qu'eux en retour constituaient pour moi une espèce de garde prétorienne. Je recevais au minimum trois lettres d'amour par jour. Je les conservais toutes et si je les ressortais aujourd'hui, certains seraient embarrassés, car ils sont devenus des chefs de famille bien établis, respectables et surtout bien tranquilles. Mes copines, qui n'étaient pas jalouses de mes atouts physiques, me chahutaient sur ma cambrure de reins. Chaque fois que nous rencontrions un homme et que ce dernier se retournait sur notre passage, elles éclataient de rire et me disaient "Voilà quelqu'un qui veut admirer ton "sitting".

A ce sujet et il y a une autre anecdote. Un jour, un homme bien habillé et je dois même dire assez élégant, vint devant notre concession alors que je m'y trouvais avec mes amies Kady , Rama et Farima. Il me pria de faire quelques pas devant lui. Je fus d'abord déboussolée par cette demande insolite. Puis la colère monta en moi, car je trouvais la requête effrontée. Mes copines me calmèrent et m'encouragèrent à ne pas contrarier l'étrange personnage. Alors je tournai le dos à l'homme et je fis quelques pas en me déhanchant de façon vulgaire, je l'avoue. L'homme poussa un profond soupir qui ressemblait à un râle d'extase.

Puis reprenant ses esprits, il plongea main dans la poche et m'offrit une liasse des grosses coupures de francs maliens. Comme je refusais, il insista pour que je prenne l'argent et me dit qu'il était tout simplement heureux de constater que je n'avais pas la grosse tête. L'argent constituait pour lui la récompense de mon humilité. Je continuais à refuser mais, mes copines n'eurent pas d'état d'âme, elles raflèrent les billets dans la main de l'inconnu. Ce dernier en partant me pria de dépenser sans crainte cet argent. Car assura-t-il avec une étonnante sincérité, il l'avait gagné honnêtement et en pensant à moi. J'étais son rêve conclut-il avant de tourner les talons. Je ne l'ai plus jamais revu.

Mais passons au récit de ma vie. Mon père était "d'obédience progressiste", comme on le disait dans ces années là. Mon grand-père avait, dit-on, été une grande figure du Pari progressiste soudanais dans le Kaarta et ma mère, en bonne fille du Khasso, n'était pas très éloigné des idées de cette formation. Mais curieusement mes deux oncles (les frères aînés de mon père) étaient eux, des irréductibles du parti au pouvoir. Je crois que pour ne pas gêner leur carrière politique, mon père mit alors en veilleuse ses convictions d'ancien opposant. En outre pour lui, le moment des grandes envolées politiques était bien passé. Assistant technique de la santé (on les appelait alors les ATS), il avait bourlingué à travers le pays et les Etats voisins avant de se fixer dans la capitale à dix ans de la retraite. Lui, l'ancien baroudeur, ne cherchait rien d'autre que de se mettre un toit à lui au-dessus de sa tête et d'attendre tranquillement que la retraite vienne l'y chercher.

Ses frères, eux, étaient dans un tout autre schéma d'existence. Il avaient pignon sur rue, se montraient très actifs dans la vie publique et je dois avouer que tous deux nourrissaient une estime particulière à mon endroit. Un soir on me fit convoquer chez le plus âgé. Celui qui nous appelons tous Baba. Il n'était pas à la maison et avant qu'il ne rentre, ma tante, son épouse m'entretint longuement des choses de la vie. Elle s'enquit de mes études, de mes projets d'avenir, bref elle me manifesta un intérêt que je ne lui avais jamais connu. J'étais surprise, mais je n'en laissais rien paraître.

Avant l'arrivée de mon oncle, en jeune fille de bonne famille, je pris l'initiative d'aider le domestique de la maison, un vieil homme du Nord avec lequel je n'entendais bien. Nous mîmes la table pour le dîner et je constatai, que mon couvert était prévu. Tout cela m'intriguait au plus haut point et je retins un soupir de soulagement en entendant la voiture de Baba entrer dans la cour. Je m'armai de mon meilleur sourire pour venir à sa rencontre et le débarrasser de sa grosse serviette de cuit. Il me fit la bise comme de coutume avant d'aller vers ma tante qu'il embrassa aussi. C'était un homme pondéré, aux gestes méticuleux. Il ne se hâtait jamais et ce qu'il faisait était toujours emprunt d'une très grande précision.
En attendant que mon oncle se mette en tenue de maison, j'allais dans la cuisine avec le domestique pour surveiller les plats. Une odeur succulente sortait des casseroles et je fis compliment au vieil homme de sa science culinaire. La sincérité de mon commentaire lui alla de toute évidence droit au cœur. Est-ce pour cela qu'il me dévoila ce qu'il savait sur les raisons de ma convocation ? Il me prévint en tous les cas que mon oncle et son frère, qui n'allait pas tarder à arriver, m'avaient appelé pour quelque chose de très, très important qui engageait mon avenir. Alors il fallait que je sache quoi répondre.
Le vieil homme alla même jusqu'à me conseiller de ne pas les regarder dans les yeux au moment où ils me poseraient certaines questions. Il me souffla que si je ne savais pas répondre, alors je n'avais qu'à dire que c'était à eux de décider puisqu'ils étaient mes parents, mon père étant sous leur tutelle du fait du droit d'aînesse.

La mise en garde du vieux me troubla plus que je ne saurai le dire. En mon fort intérieur, je me demandais ce que pouvait être cette chose importante qui serait évoquée. Etait-elle importante au point que je pouvais hésiter à accepter l'autorité de mes oncles, c'est à dire d'hommes contre la volonté desquels je n'imaginais pas une seconde me rebeller. De nature j'étais comme mon père, un être incapable de méchanceté. Ce trait de caractère valut d'ailleurs à mon géniteur d'avaler pas mal de couleuvres dans son existence. Ses grands frères étaient parfois pour quelque chose dans les mauvais moments qu'il traversa. De cela, je m'en doutais, mais j'étais incapable de leur en vouloir.

Eux deux vivaient dans un certain luxe. Leurs fonctions politiques leur permettaient d'avoir villa, voiture, chauffeur et une table à laquelle s'asseoir pour manger. Mais à ma connaissance ils n'avaient pas fait grand chose pour que leur petit frère profite de cette aisance. Lui ne l'aurait d'ailleurs pas accepté, voilà pourquoi sur certains principes il ne leur faisait aucune concession. Par exemple, il a fallu que ma mère meurt quand il était en service au Nord pour qu'il obtienne la mutation qu'il avait sans cesse demander cinq ans avant l'indépendance.

Il avait terminé sa maison à Bamako et pensait pouvoir en jouir tranquillement les dernières années de sa carrière de fonctionnaire. Finalement ce fut l'argument de la carrière scolaire de mes frères et de moi-même qui lui permit d'obtenir gain de cause et de se voir affecté dans l'un des hôpitaux de la capitale. Pourtant il ne fut pas pour autant au bout de ses peines : il lui fallut encore attendre d'être à trois sans de la retraite pour avoir le statut de médecin que certains de ses confrères et camarades de promotion s'étaient vu accorder sans peine peu de temps après l'indépendance.

Je sais que s'il refusa pendant longtemps de prendre Bassira comme épouse, c'était tout simplement sa façon de tenir tête à ses grands frères, qui voulaient le voir coûte que coûte accepter leur idée à eux. Bassira était une belle veuve et au décès de ma mère elle sut combler le vide d'affection maternelle qui menaçait de nous frapper mes frères et moi. De cela nous lui resterons toujours reconnaissants. Lorsque mon père se décida à sauter le pas vers elle, notre bonheur fut complet. Nous avions reconstitué notre famille juste au moment où le pays entrait dans une grand réforme qui entraîna de nombreuses purges au sein de l'appareil politique. Mais nous n'en sommes pas encore là et pour reprendre le cours de ma narration après cette disgression, je m'installa au salon avec ma tante. Je la sentais un peu tendue au fur et à mesure que les questions de mon oncle se faisaient plus précises.

Que voulais-je devenir ? Un médecin comme mon père, que nous appelions affectueusement Bangnini. Est-ce que je travaillais bien en classe ? Oui, puisque j'avais plus de treize de moyenne. Dans quelle matière étais-je brillante ? En mathématiques et en sciences où j'avais les meilleures moyennes. Combien ? Plus de dix-sept sur vingt. Est-ce j'aimais aller danser ? Bien sûr, comme toutes les filles de mon âge. Est-ce que le twist (danse alors à la mode) me plaisait ? Non, Ah bon ! Pourquoi ? Parce que certains trémoussements qu'exigeait cette danse me paraissait relever de l'exhibitionnisme. Cette dernière réponse (qui était un mensonge de ma part, car je twistais de temps en temps) plut particulièrement à mon oncle que me complimenta sur ma bonne éducation. Il me fit un long commentaire sur les jeunes qui s'abandonnaient aux modes importées et qui oubliaient toutes les exigences de rectitude morale que les parents leur avaient inculquées.

Ma tante, une femme à la mine toujours austère, renchérit sur ces propos et sa véhémence ne me surprit pas. Elle était le genre de personne, qui devait toute sa carrière au parti. Arrivée au faite de sa gloire, elle jouait à la femme vertueuse et ne se privait pas d'asséner des leçons de tenue aux gens. Elle tenait pas dessus tout à ce qu'on lui donne son titre d'infirmière d'Etat. Pour elle, l'intitulé précis était important, car elle jugeait que le métier était pollué par l'invasion des matrones, des aides-soignantes et des infirmières de seconde zone. "Un jour, ma fille, on les appellera "docteur", parce que pour les illettrés, tous les porteurs de blouses sont des médecins", me répétait-elle constamment. Sur sa lancée elle s'empressait de me signaler que mon père n'était au départ qu'ATS.

Il est vrai qu'elle ne portait pas Bangnini dans son cœur et qu'il lui arrivait de laisser échapper des remarques aigres à son endroit. Je n'ai jamais su ce qui motivait cette sourde animosité. Peut être le fait que ma tante n'avait jamais eu (contrairement à mon père qui avait été gâté sur ce plan) d'enfant mâle. Sa fille unique étudiait dans un des pays de l'Est.
L'épisode du twist passé, le jeu des questions-réponses revint. Ma tante menait la danse, car mon oncle s'était retiré dans sa chambre, pour récupérer un peu avant le repas. Cette fois-ci c'étaient mes sentiments qui étaient passés au crible. Est-ce que je connaissais des garçons ? Ça oui, plusieurs. Quels étaient mes rapports avec ceux-ci ? Camaraderie et amitié. Est-ce que ça s'arrêtait là ? Bien sûr, qu'allait-elle imaginer ? Ma dernière réponse avait dû être décochée avec un certaine vivacité, car ma tante essaya de se montrer conciliante. On parlait beaucoup de moi en ce moment dans la capitale, m'expliqua-t-elle, et même les gens avec lesquels elle collaborait ne tarissaient pas d'éloges sur la plus belle fleur de la ville.

Ma tante se disait heureuse de tous les éloges qui se déversaient sur moi. Mais dans le même temps elle reconnaissait ne pas pouvoir se défaire d'une certaine inquiétude. Les gens, soupira-t-elle, ne valent rien de nos jours et le vice rôde dans la ville. D'ailleurs, il allait falloir déclencher une révolution pour mettre les déviants au pas. Après avoir tenté de m'apaiser, ma tante se rapprocha encore de moi pour me parler sur le ton de la confidence. Elle me dit que je pouvais lui faire entièrement confiance et que si je m'étais laissée aller à certaines faiblesses, il fallait que j'en parle sans fausse honte. Elle tournait tellement autour du pot que je mis du temps à comprendre, mais lorsque la lumière jaillit dans mon esprit, ma réaction vint avec une certaine brutalité. Regardant la vieille femme jusqu'au fond des yeux, je lui appris que j'étais vierge et que je le resterais jusqu'à mon mariage, s'il plaît à Dieu. Ma tante fit précipitamment marche arrière. Elle souhaita que le Seigneur exauce les vœux de la fille vertueuse que j'étais, puis se leva et alla dans sa chambre retrouver son époux.

Je compris alors que toutes les questions préliminaires n'étaient que de la poudre aux yeux et que l'essentiel pour le couple était de s'assurer de ma virginité. Mais pourquoi ? A peine ma tante avait-elle disparu que de nouveau le portail s'ouvrait. J'identifiais la voiture qui arrivait comme celle de mon oncle Boua. Je partis à sa rencontre. Il m'embrassa chaleureusement et en riant aux éclats. A lui en tous les cas les hautes fonctions n'étaient pas montées à la tête. Il restait l'homme exubérant et direct qu'il avait toujours été. Son seul défaut était d'être trop inféodé à son grand frère Baba, lequel ne se privait jamais de décider à sa place. Boua me prit par la main et fit un compliment sur ma beauté.

Il le fit d'une manière qui me laissa perplexe. En se penchant à mon oreille il murmura "Franchement, il n'y a que le plus grand de nous tous qui te mérite". Je ne pus déchiffrer sa formule, mais comme je sentais qu'il avait voulu me faire plaisir, je lui souris pour donner du change. Nous arrivâmes au salon et Boua à son habitude héla bruyamment sa belle-sœur. Celle-ci déboucha aussitôt et s'excusa en disant qu'elle était occupée à chercher quelque chose que son mari avait perdu. Boua saisit la balle au bond pour lui envoyer un commentaire plein de sous-entendus.

Ils interrompirent leur petit jeu à l'entrée de Baba. Moi, sentant qu'ils avaient besoin de parler hors de ma présence, je m'éclipsai dans la cuisine avec le vieux boy-cuisinier en attendant que ma tante donne le signal de passer à table. Comme cela tardait à arriver, je compris qu'ils évoquaient certainement mon cas. Je ne m'étais pas trompé de beaucoup et mon vieil ami me le confirma, lui qui avait attrapé des bribes de conversation en leur apportant des boissons sur un plateau. Venant après quelques remarques sur des camarades de l'appareil, le constat de ma virginité avait balayé le débat politique qui menaçait de s'installer. D'après le boy-cuisinier, ce fut à ce moment que le nom d'un certain Alou tomba dans la conversation et amena quelques échanges assez vifs.

Je sursautai, car le prénom ne m'était pas inconnu, loin de là. Alou avait la qualité d'être un jeune cadre revenu de France bardé de diplômes. Il sortait d'une grande école de finances réputée et ses qualités lui permirent de se faire affecter sans peine au département chargé de la commercialisation et des finances, où il mit seulement quelques mois pour que l'on apprécie son esprit de synthèse. Une de ses tantes l'incita à aller me voir et l'encouragea à me faire la cour. Elle s'occupera du reste. Bassira fut la première à me parler de Alou, car la tante en question du jeune homme n'était autre que l'intime amie de ma défunte mère. Bassira la traitait donc avec le respect et l'affection qu'elle aurait montré à sa sœur aînée.

Je dois avouer que Alou ne me déplut pas après quelques visites. Il était très instruit, ce qui pour une lycéenne de terminal comme moi était déjà un atout. Il aidait à m'expliquer certaines règles de maths. Ce qui fit que je m'attachais vite à lui. Il était aussi beau et élégant, mais surtout il était d'une délicatesse exquise. Il devait occuper des fonctions importantes pour un débutant, car il avait une voiture et chauffeur. De plus il était toujours sollicité dans les grandes décisions financières du gouvernement où ses avis comptaient. Ces détails, ce fut mon père qui les apprit, un soir alors que les deux hommes attendaient que j'ai fini de prendre mon bain. Plus je découvrais Alou, plus j'étais attirée. Je m'étais pas encore amoureuse de lui, mais il m'impressionnait. Avec lui, je me sentais en sécurité alors que mon rêve était au départ d'épouser un pilote.
Un soir Alou vint à la maison m'apprendre l'air complètement perturbé d'abord, qu'il était étroitement surveillé.

Mais il ne put m'indiquer par qui, se limitant à me dire qu'il se sentait perpétuellement suivi et épié. En outre il y avait des faits bizarres qu'il ne s'expliquait pas. Par exemple, le jour même, ses supérieurs l'avaient appelé à la fermeture des bureaux pour lui demander ce que sa voiture faisait devant un bar très célèbre du centre-ville. Il avait répondu qu'il n'y avait jamais mis le pied. Mais ses interlocuteurs insistèrent, précisant que le véhicule était pourtant garé devant cet endroit qualifié de "mal famé" entre treize et quatorze heures.
Alou se mit à réfléchir et il se souvint qu'il avait demandé à son chauffeur d'amener sa mère et deux des amies de celle-ci à la prière du vendredi. C'était sans doute le conducteur qui s'était garé devant le bar en question avant d'aller récupérer les vieilles.

Cette explication parut satisfaire les questionneurs. Mais après coup Alou comprit que l'épisode avait surtout pour but de lui faire sentir que les moindres de ses faits et gestes étaient suivis. Il demanda à ses supérieurs les raisons de cette vigilance et ces derniers ne se gênèrent pas pour lui faire comprendre qu'il était un cadre important et que s'il voulait faire carrière, il fallait qu'il se garde de certaines tentations. Comme d'aller dans un bar, ou de fréquenter des milieux douteux. Alou raconta sa désagréable mésaventure en présence de mon père. Je le consolais comme je pouvais avant qu'il ne se retire. Pour la première fois de ma vie, ce jour là j'ai donné un baiser à un homme en effleurant ses lèvres.

J'était heureuse d'en avoir pris l'initiative et surtout contente de savoir que cela détendait pour le lendemain mon amoureux.
Après son départ, je retrouvai mon père avec une mine de plus soucieuses. Il semblait se parler à lui-même à haute voix. Tout en pestant comme les restrictions des libertés qui, à son avis, se multipliaient, il expliqua les ennuis de mon amoureux par le fait qu'il fréquentait la fille d'"un homme fiché". Je ne fis pas trop attention au monologue de mon père et je rentrai me coucher. Mais à partir de cette nuit là, les visites de Alou s'espacèrent au point que mon père, un jour, prit le taureau par les cornes et demanda au jeune homme si "on" lui avait déconseillé de fréquenter "la famille de cette tête brûlée de Kader". Alou était gêné, mais il n'esquiva pourtant pas la question précise de mon père.

Non, expliqua-t-il, on ne lui avait pas dit d'éviter le vieil homme, mais de "ficher la paix à Anna". Quand il voulut se faire expliquer les raisons d'un telle mise en garde, il ne trouva personne pour lui donner des explications. Alou, qui n'était pas pourtant quelqu'un qu'on intimide facilement, comprit que l'avertissement venait d'assez haut pour être considéré comme un ordre auquel il ne pouvait se dérober. Il demanda alors de pouvoir se retirer progressivement, ce qui le mettait plus à l'aise vis à vis de notre famille. Cela lui fut accordé et trois mois après notre conversation il ne réapparut plus dans notre concession.

La convocation de mes oncles tombait, elle, deux mois après ces événements. Je me dis alors que la situation avait sûrement un rapport avec Alou, et qu'il était fort possible qu'une situation matrimoniale se concoctait pour moi. Mais à qui me destinait-on ? J'avais encore quelques minutes avant de le savoir, car telle semblait être la destination du dîner.
J'était toujours entrain d'aider le vieux domestique lorsque ma tante pénétra dans la cuisine. Elle inspecta les différentes fourneaux, souleva les couvercles pour humer les plats avant de m'inviter à passer à table. Comme je voulais m'emparer d'une casserole, elle me dit sèchement de tout laisser et de la suivre. Elle ajouta qu'elle ne m'avait pas appelé pour faire le service et que mes oncles m'attendaient pour une affaire autrement plus importante. Brûlant de curiosité, mais pas totalement rassurée sur ce qui m'attendait, je la suivis dans la salle à manger. Mon destin bascula à l'instant précis où je franchis le seul de la pièce, mais cela je ne le savais pas encore.

(à suivre)
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Fiction sur l'ESSOR du Mali: Les multiples vies de Anna : le temps de l’insouciance

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Messagepar Pape » Ven Jan 12, 2007 7:11 pm

c'est cool cette fiction roman online. j'ai lu les trois épisodes et j'attends avec impatience que Moye nous mette la suite du roman. comme ça, on pourra discuter autour de chaque épisode.

qui les a lus les épisodes postés ici ?
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Messagepar doudou » Ven Jan 12, 2007 8:54 pm

Pape a écrit:c'est cool cette fiction roman online. j'ai lu les trois épisodes et j'attends avec'est impatience que Moye nous mette la suite du roman. comme ça, on pourra discuter autour de chaque épisode.

qui les a lus les épisodes postés ici ?

je ne les ai pas encore toutes lues mais je les lirai et je dirai ce que j'en pense. En tout je trouve l'idée formidable: une saga en feuilleton sur internet.
Soro xooro diηa, Soke xooro koñore.
Soro xooro diηa, Selihe xooro manjare.
Soro xooro diηa, Yeliηe, xooro kardige.
Soro xooro diηa, Tumujo xooro boloone
Baañanke diηa, Taabonke diηa,
Woynanke diηa, Woytanke diηa,
Xirjonke diηa, Makkanke diηa
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Messagepar niouma » Sam Jan 13, 2007 3:45 am

doudou a écrit:
Pape a écrit:c'est cool cette fiction roman online. j'ai lu les trois épisodes et j'attends avec'est impatience que Moye nous mette la suite du roman. comme ça, on pourra discuter autour de chaque épisode.

qui les a lus les épisodes postés ici ?

je ne les ai pas encore toutes lues mais je les lirai et je dirai ce que j'en pense. En tout je trouve l'idée formidable: une saga en feuilleton sur internet.

Moi je viens de lire le premier épisode. C'est tres bien écrit comme fiction.
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Messagepar coolmiss » Sam Jan 13, 2007 1:16 pm

je l'ai lu aussi, c'est très bien mais je me dis comme dans tout roman ou conte africain. il y'a une morale donc je cherche et je vous dirais ce que j'ai en déduis.
Ne soyez pas trop gourmand:"on hasarde de perdre en voulant trop gagner"

à toi, papa: "un seul être vous manque, et tout est dépeuplé."

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Messagepar fatou » Dim Jan 14, 2007 2:43 pm

il faut le reste de la saga car si je comprends bien c'est une histoire en épisode. certains mecs comme dans les episodes que j'ai lues sont vraiment pas fréquentables.
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