Face à une demande en croissance exponentielle, une économie lucrative s’est mise en place.
En une vingtaine d’années, les salons de coiffure afro-caribéenne ont investi la capitale. Pour mesurer l’ampleur du phénomène, direction le quartier Château d’eau et son célèbre boulevard de Strasbourg, aussi connu sous le nom des « Champs-Élysées Black ». C’est ici que les acteurs parisiens du traitement des cheveux de type africain ont posé leurs valises.
Impossible d’y échapper, une centaine de boutiques consacrées à la coiffure africaine y ont ouvert leurs portes en vingt-cinq ans. De part et d’autre du boulevard, tout comme dans les rues adjacentes, les salons de coiffure et boutiques de cosmétique monopolisent les fonds de commerce. Du métro château d’eau à la station Strasbourg St Denis, dans le 10ème arrondissement, la concurrence est rude pour appâter les clients. Les rabatteurs, rémunérés par les salons, n’hésitent pas à forcer la main des passantes pour les orienter vers la boutique complice. Tel est le travail quotidien de Mouss, jeune Ivoirien de vingt-sept ans. Originaire du Nord, il a fui la guerre civile qui ravage son pays depuis 2002. Son terrain de chasse ? Le quai de métro de la station Château d’eau. « Cela fait maintenant deux ans que je suis rabatteur. Un travail épuisant, et pas si rentable. Je suis rémunéré à la commission, en fonction de ce que la cliente va dépenser dans le salon où je la ramène. » Ce qui explique l’insistance de ses collègues car, « une journée sans clients, c’est une journée sans euros ».
« Invasion du boulevard »
Pour Mme Prince, propriétaire du petit salon de coiffure Dove, situé dans le passage Brady, « l’évolution du boulevard se révèle grave ». « Tous les commerces qui ferment sont transformés en salon de coiffure, ou en boutique de produits cosmétiques » explique-t-elle avec un brin d’amertume. Pionnier de la coiffure africaine à Paris, Mme Prince voit d’un mauvais œil ces nouvelles boutiques qui échappent à tout contrôle de la part du gouvernement, et dont les coiffeuses utilisent des techniques parfois douteuses. « Elles n’ont, le plus souvent, aucune formation. Elles travaillent de plus en plus vite » pour assurer la productivité exigée par leurs patrons. Ceux-ci, peu regardants sur les soins prodigués, n’hésitent pas à user de produits de piètre qualité, responsables d’accidents parfois graves. « Il n’est pas rare que des clientes quittent le boulevard avec le cuir chevelu brûlé par des crèmes achetées au rabais. » Un marché sauvage s’est mis en place. Les produits sont vendus dans des conditions vraiment "limites", sans aucune information liée à leurs usages. Le client pâtit de ce laxisme professionnel. Cependant, tous ne sont pas dupes car les bonnes adresses se répandent de bouche à oreille.
Les têtes frisées sont à l’honneur
Véritable pôle de l’industrie capillaire dite « ethnique », les clientes sont toujours plus nombreuses à affluer et les adeptes se multiplient. Entre les tresses ou les mèches, le défrisage ou les perruques en tout genre, ces véritables temples de la coiffure afro-antillaise exaucent tous les soins imaginables par les princesses africaines de Paris, très exigeantes en la matière. La chevelure crépue soigne son style. N’hésitant pas à mettre la main au porte-monnaie, les clientes consomment sans retenue cet art ancestral de la coiffure qui a su se mettre au goût du jour. « Le budget peut aller de 60 à 200 euros dans le mois. Sachant qu’une coiffure en salon coûte minimum 40 euros. Pour un tissage, il faut compter 120 euros. A cela s’ajoute les produits de beauté et d’entretien, donc ça va vite » précise une cliente venue se réapprovisionner en crème capillaire. Surfant depuis plus de vingt-cinq ans sur la vague capillaire crépue, « MGC International » se positionne en leader de la distribution de produits de coiffure afro-antillaise en France et en Afrique. « Il faut savoir qu’une clientèle africaine de Paris dépense trois fois plus dans les cosmétiques qu’une européenne. Cette année, notre objectif est de faire plus de 20 millions d’euros de chiffre d’affaire » explique Yohann Cohen, son directeur.
Le business se révèle donc porteur. Avec une population ethnique estimée à 3 millions de personnes en France, les industriels ont saisi l’opportunité d’un marché en plein essor. Loin de se cantonner aux consommateurs de France, le Boulevard de Strasbourg a su bâtir une solide réputation, tant en Europe qu’en Afrique où nombreux produits sont exportés. La coiffure s’est hissée en tête de la consommation des africaines de Paris, constituant ainsi une florissante économie de consommation, tournée vers les « racines ».
Je reviendrais dessus un peu plus tard