par ibou » Jeu Jan 15, 2009 12:27 am
Deuxième partie
"La manifestation la plus exemplaire de cette politique de "l'identité nationale" est la réforme (en cours) de la procédure de naturalisation. Jusqu'à présent, les préfectures enregistraient les demandes, appréciaient le niveau de français des postulants et émettaient un avis. Mais, pour équilibrer les écarts d'appréciation très importants entre les différentes préfectures, les décisions finales étaient prises sur des critères communs par un service centralisé et spécialisé. M. Hortefeux a décidé de donner directement aux préfets le pouvoir de naturaliser, seuls les dossiers rejetés étant dorénavant examinés au plan national. Les dossiers "désirables" pourront ainsi être traités plus rapidement.
Un tel pouvoir régalien délégué au préfet comporte naturellement un risque d'abus et de favoritisme politique. Les autres dossiers prendront un chemin de traverse. La principale inégalité réside déjà aujourd'hui dans les délais d'instruction très différents entre préfectures : moins de six mois pour certaines, plus de deux ans pour d'autres. Mais ce délai n'est comptabilisé qu'à partir de l'entretien "d'assimilation". Auparavant, il faut avoir obtenu deux rendez-vous : un pour la délivrance d'un dossier, l'autre pour la remise du dossier rempli. Au total, cette première phase peut prendre aujourd'hui plus de cinq ans. Dans une préfecture du sud-est de la France, un postulant s'est vu fixé, en juin 2008, un rendez-vous en novembre 2011 uniquement pour la remise de son dossier. Les préfectures rallongent ainsi les délais des postulants jugés "indésirables". Cette naturalisation à deux vitesses, la réforme Hortefeux l'entérine et l'accentue.
Les grands objectifs fixés par le président Sarkozy sont souvent contradictoires. Son gouvernement veut renvoyer 26 000 étrangers en situation irrégulière et, dans le même temps, afficher une progression de l'immigration de travail. Pour réaliser le premier objectif, on fait pression sur l'employeur en l'obligeant depuis juillet 2007 à vérifier la validité des documents produits par un étranger qu'il souhaite embaucher. Pour réaliser le second, on autorise le préfet à régulariser. Mais comment l'employeur qui demande la régularisation de son employé peut-il savoir s'il le verra sortir de la préfecture avec une carte de séjour ou une obligation de quitter le territoire français ? C'est donc pour éviter l'aléa du pouvoir discrétionnaire que des employeurs et leurs salariés se sont appuyés sur la CGT pour négocier avec le gouvernement des régularisations dans des secteurs où le gouvernement n'en avait prévu et voulu aucune !
Il y a même une contradiction entre la politique du chiffre et la politique de sécurité. Ainsi, plus de la moitié des étrangers les plus dangereux, objets d'un arrêté d'expulsion ou d'une interdiction du territoire, et qui sont pourtant entre les mains de la police ou en prison, ne sont pas reconduits. Pour une rison simple : ces étrangers sont certes les plus dangereux, mais les objectifs quantitatifs font que les "sans papiers" non délinquants, beaucoup plus nombreux, sont devenus la priorité.
Pas de contradiction, en revanche, entre les objectifs chiffrés de reconduite aux frontières et le ciblage de l'immigration de familles. C'est le plus souvent à l'occasion de convocations ordinaires, pour le renouvellement d'une autorisation après plusieurs années de séjour légal, que des conjoints de Français font l'objet d'enquêtes systématiques : des questions sont posées séparément aux époux sur les détails les plus intimes de la vie conjugale ; on examine les comptes en banque, la correspondance e-mail ou SMS pour vérifier la communauté de vie.
Tous les moyens sont bons pour remplir les objectifs chiffrés, y compris les plus artificiels : un touriste venu voyager en Europe avec un visa Schengen - valide trois mois - a séjourné quatre mois ; il repart tranquillement par avion et son passeport est vérifié au moment de l'embarquement à Roissy. Ce touriste est interpellé, présenté à un officier de police judiciaire qui lui délivre une obligation à quitter le territoire qu'il s'apprêtait justement à quitter. Mais c'est une occasion comme une autre de contribuer à remplir les objectifs chiffrés.
Pourquoi le nombre des reconduites reste-t-il relativement faible ? Il y a toujours les aléas des laissez-passer délivrés ou non par les consulats des pays d'origine, mais ce phénomène a toujours existé et a plutôt tendance à se réduire. Il y a, depuis l'automne 2007, une plus forte résistance des juges mécontents de leur ministre, Mme Dati, et choqués par les cas qui leur sont soumis. Le juge judiciaire se saisit des erreurs de procédure de l'administration pour remettre en liberté des étrangers non reconduits après 48 heures de rétention administrative.
Submergé par les obligations à quitter le territoire - un dispositif créé en 2006 par la loi Sarkozy -, le juge administratif les annule quand elles portent atteinte à la Convention européenne des droits de l'homme. Il y a ensuite la conjonction de la mobilisation associative et des décisions de justice : les conjoints de Français renvoyés au pays pour se mettre en règle reçoivent un accueil varié selon les consulats : si ces derniers respectent la loi, ils se voient vite attribuer un visa de retour ; mais d'autres ne répondent pas et font traîner les choses en longueur.
Dans ce cas, conseillés par exemple par l'association "Les amoureux au ban public", ces conjoints de Français déposent un référé devant le Conseil d'Etat qui a pour effet dans 80 % des cas de faire attribuer le visa auquel ils ont droit avant l'audience. Les 20 % restant obtiennent gain de cause pour une grande majorité. La Commission européenne elle-même est saisie de situations contraires aux directives européennes et intervient auprès des autorités françaises.
Enfin, jamais, aux dires convergents des préfets et des consuls, un pouvoir n'était intervenu autant pour attribuer des titres de séjour, des visas ou des régularisations à l'encontre des consignes générales qu'il donne. Soit que la presse se soit saisie de cas particuliers, soit que des personnalités françaises ou étrangères interviennent. Avec Nicolas Sarkozy, la politique d'immigration devient presque systématiquement le fait du prince, au plan national ou local. Le droit à la régularisation après dix ans a été aboli, mais un droit à faire examiner à titre humanitaire son dossier au-delà de ce délai a été établi. La carte de résident peut être accordée après trois ans de mariage ou cinq ans de séjour mais elle peut aussi ne pas l'être. Le président de la République n'aime pas l'Etat de droit ; mais il aime, et Brice Hortefeux aussi, pouvoir accorder lui-même la réparation d'une injustice individuelle ou un privilège. Cela encourage les liens personnels, les clientèles et le silence devant les injustices collectives."
le savoir est une arme *** think outside the box