Ces conservateurs noirs qui envisagent de voter Obama
WASHINGTON- Barack Obama a réveillé des émotions contradictoires chez les Républicains noirs: nombre d'entre eux sont profondément heureux qu'un des leurs soit en position, pour la première fois de l'histoire, de devenir président des Etats-Unis. Mais sauter le pas et voter pour un homme loin de leurs positions idéologiques n'est pas si simple.
Armstrong Williams, animateur de talk show noir et conservateur, n'a jamais voté démocrate. Mais cette année, il se tâte sérieusement: "je n'aime pas franchement sa politique, je n'aime pas beaucoup ce qu'il prône. Mais pour la première fois de ma vie, l'histoire me pousse à y réfléchir sérieusement. En toute honnêteté, je ne sais pas ce que je vais faire en novembre. Et rien que ça, pour moi, c'est incroyable".
Et d'ajouter que dans le très restreint milieu des conservateurs noirs, ses collègues lui glissent, "en privé", que "ça serait très dur de voter contre lui en novembre".
Sans doute sensible à cela, le candidat républicain John McCain fait des efforts en direction de l'électorat noir: il a annoncé qu'il assisterait au congrès annuel de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People, principal mouvement de défense des droits civiques). Et a rappelé qu'il s'était rendu à Selma, Alabama, cet Etat du Sud au coeur du mouvement d'émancipation des noirs dans les années 60: il y a évoqué la "nécessité de ne pas laisser sur le bord de la route les Américains 'oubliés'".
Traditionnellement, la part des électeurs noirs votant républicain est extrêmement marginale: en 2004, ils avaient choisi le démocrate John Kerry à 88%, contre 11% votant George W. Bush.
Ancien élu de l'Oklahoma, J.C. Watts, lui, envisage sérieusement de voter Obama. S'il s'affirme toujours républicain de coeur, il reproche à son parti d'avoir négligé la communauté noire, à la différence du parti démocrate.
"Et Obama encore plus", ajoute Watts, qui s'attend à ce que le sénateur de l'Illinois monte au créneau sur des sujets sensibles, la pauvreté et la politique d'urbanisme.
L'acteur-écrivain Joseph C. Phillips, lui, est tellement séduit par le jeune sénateur qu'il s'est même inventé un qualificatif: il est "obamacain", soit républicain pro-Obama.
"Je me demande si nous ne sommes pas arrivés au grand tournant, où une victoire d'Obama nous ferait enfin, après tout ce temps, surmonter ces vieilles discussions sur la race. Et si ce grand pays ne pourrait pas enfin être pardonné pour son pêché originel ou trouver une forme d'absolution".
Mais Phillips, pas encore bien décidé, reconnaît ses propres contradictions et l'ironie d'un point de vue qui le pousserait à voter pour un candidat pour son appartenance raciale afin de dépasser la question de la race... "Nous devons le juger pas sur la race, mais sur sa désirabilité comme candidat politique. Et sur cette base-là, je suis en désaccord avec lui sur un grand nombre de sujets. J'hésite, j'hésite..."
Quant à Michael Steele, ancien vice-gouverneur du Maryland, il se dit fier d'Obama en tant que noir, mais "en novembre, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'il soit battu". Car pour lui, l'élection du sénateur de l'Illinois ne réglera pas comme par magie tous les malheurs de la communauté afro-américaine.
Quant au républicain modéré Edward Brooke, qui fut en 1966 le premier noir élu sénateur dans le Massachusetts, il se dit "extrêmement fier et joyeux" du parcours de Barack Obama. Ce dernier lui a offert son livre avec en dédicace "merci d'avoir montré le chemin".
Brooke refuse de dire qui il soutiendra, mais le facteur racial ne sera pas un élément de son choix: "c'est la plus importante élection de notre histoire. Et, vu le monde et l'état dans lequel il est, nous devons prendre le meilleur".
Un avis partagé par le général en retraite et ancien secrétaire d'Etat Colin Powell, qui fut le premier noir à devenir chef de la diplomatie américaine: il votera pour le "plus qualifié", quel que soit son parti.
En tous cas, explique Williams le commentateur politique, sa vieille maman de 82 ans, qui n'a non plus jamais voté pour un candidat démocrate, a elle déjà fait son choix: "elle est si fière du sénateur Obama, qu'elle nous a déjà annoncé qu'elle voterait pour lui. Elle dit qu'au vu de l'histoire de ce pays, elle n'aurait jamais cru pouvoir vivre assez longtemps pour voir ce moment".