par Cheikh Anta Diop » Mar Jan 02, 2007 4:15 am
Abraham n’avait pas pris une cagoule au moment de procéder au sacrifice de son enfant Ismaël. Et il y avait l’émissaire de Dieu, l’Archange Gabriel pour substituer un mouton au fils de l’envoyé de Dieu devenu envoyé de Dieu. Plusieurs siècles plus tard, « le monde libre » et « civilisé » a choisi trois bourreaux encagoulés pour précipiter Saddam Hussein sur le gibet puis dans la trappe. Une corde au cou, un exemplaire du Saint-Coran à la main et la Cha’ada (profession de foi des musulmans) à la bouche ! Une dernière liberté qu’il s’est payée au même titre que ses traqueurs, adeptes d’une « Croisade » à versant spirituel très prononcé.
Triste fin pour un ancien chef d’Etat qui n’a plus droit qu’au titre de « dictateur ». Stoïque face au spectacle de la mise en scène de sa liquidation physique. Digne fils du désert refusant la cagoule pour ne pas se voiler la face devant le théâtre de « sa » fin. Saddam est donc mort, les yeux ouverts sur la condition des prisonniers de la « justice » des hommes.
Il expérimente le destin des hommes reconnus coupables de crimes contre l’Humanité. Un destin que ne connaissent que quelques-uns d’entre eux ! Ce qui est révoltant, c’est que d’autres courent, signent des décrets, font légiférer et prononcent eux-mêmes la sentence cruelle de la mort contre des milliers et des milliers d’innocents. Sans frais.
Saddam a refusé le masque que portent encore ces dictateurs sous les attributs maquillés de « démocrates ». Ils se laissent aller à la sarabande des farceurs qui se partagent pétrole, diamant, or, manganèse, bois, fer entre autres richesses. Ils meurent pourtant sur leur lit et ont droit à des oraisons funèbres convenues entre « Grands » de ce monde.
La preuve, hier encore… la terre, cette terre, accueille toujours, dans ses entrailles meurtries par le sang et le crime, des hommes qui ont échappé à la « justice » des hommes. Ils ont droit à des funérailles de dimension planétaire, des larmes de la part des faux démiurges et vrais fauteurs de trouble lancés dans une vaste opération de maintien de l’ordre. Ces derniers, directeurs de la conscience de tous et de chacun, sont les apôtres d’un futur qui ne pourrait éclore que dans leurs mains bénies. Dans une autre mesure, quelques-uns de ces « grands hommes », bourrés d’or et de diamant, ne deviendront « dictateurs » qu’après leur mort, après avoir désarticulé les tissus institutionnel et social de leur pays. Après avoir tenté d’assassiner l’avenir. Mais que voulez-vous ? La tragédie de quelques-uns se joue à l’arme des connivences du moment entre le justicier et le bourreau non officiellement reconnu comme tel. Les deux sont, aujourd’hui, de la famille des bourreaux… de criminels. D’autres criminels.
[align=center]L’amère victoire de la cisaille[/align]
Ces « justiciers », à bien des égards, méritent eux-mêmes d’être pendus ! Ils sont les pantins déterminés et craints d’un monde qui s’assoit sur sa mauvaise conscience, tout en exhibant le nez avancé de sa propre incurie. C’est à finir par croire que dans ce monde-ci, les pauvres ou faibles deviennent des criminels lorsqu’ils tuent mais que les puissants s’érigent en héros quand ils supplicient au nom de la « croisade » ou la morale internationale. Au nom de Dieu, fiers et droits dans leurs bottes.
Le mot « invasion » n’est pas pour ces « gendarmes du monde ». Un vocabulaire pudique est inventé pour ne point froisser leur susceptibilité : ils font le tour du propriétaire et promènent leur feu sur Benghazi, Tripoli, Gaza, Ramallah, l’Afghanistan, la Somalie, le Vietnam, entre autres. Ils sont, en tout temps et en tout lieu, en opération de maintien de l’ordre. C’est cela l’anomalie que les hommes libres peuvent et doivent aussi opposer à ce monde dit « libre ».
Saddam est mort. À l’aube. Presque en même temps que d’autres (vrais) moutons du sacrifice. Au nom du témoignage ineffaçable des 5.000 victimes kurdes des armes chimiques lancées contre eux par l’ancien Raïs, du million de morts dans le conflit Iran-Irak, des victimes irakiennes et koweïtiennes de la première guerre du Golfe, des 148 villageois chiites tués, etc. Seulement, le « monstre » des décennies 90 et 2000 n’est pas un être désincarné. Il est sorti du laboratoire d’un système international qui en a inventé d’autres pour renforcer les murailles confessionnelles, idéologiques et raciales. Dans la décennie 80, il était un ange programmé pour décapiter le « démon » islamiste rampant en Iran et indiquer la voie du progrès aux monarchies du Golfe. Sur-vitaminé par ce soutien, il s’est proclamé Raïs. Il lui manquait une audace pour être le dieu des Irakiens. Grisé par le pouvoir et trop ambitieux, il l’a presque été au gré des légendes sur son invincibilité au grand dam de ses parrains. Mais cela se passe toujours ainsi : les mentors d’hier deviennent les juges d’aujourd’hui, en s’en référant à la religion de leurs intérêts stratégiques. Telle est l’amère victoire de la loi de la cisaille sur une carte du monde éprouvée par la grande imposture de la « justice » internationale !
Ici, les victimes désignées n’ont même pas le bonheur de devoir leur mort à une bavure de leur bourreau.
[align=center]L’autre dictature du « monde libre »[/align]
En réalité, cette fin d’un « dictateur », diffusée en boucle à travers le monde, malheureusement, n’annoncera pas LA fin de tous les dictateurs apparents, cachés ou bénéficiant de la condescendance de ceux qui établissent, à leur convenance, les critères de démocrate. Cette fin n’annoncera pas LA fin des pleurs, des assassinats, de la haine confessionnelle, des clivages politiques, etc. La mort, elle, continue à visiter les chaumières irakiennes. Trois voitures piégées à Bagdad la capitale et six GI’S tués samedi ; ce qui porte à 106 le nombre de soldats américains disparus depuis le début du mois de décembre.
Telles sont quelques vérités du monde hypocrite. Ce monde lance un « appel à ceux qui n’ont pas du sang sur les mains ». Pendant que nous y sommes, que tous ceux qui ont la conscience immaculée lèvent la main et que tous les auteurs de crimes contre l’Humanité soient pendus sous toutes les latitudes ! Saddam n’est sans doute pas pire que le meilleur d’entre ses accusateurs qui se livrent à des solos mortels sous tous les cieux. Il a tué ? D’autres tuent encore. Pense-t-on qu’il ait payé au bout d’une vulgaire corde ? Eh bien, que tous paient ! C’est à cette condition seulement que l’aube du sacrifice de Saddam annoncera le crépuscule d’une justice mondiale partiale.
Faute d’équité, les écoliers apprendront une histoire travestie au goût d’une immense farce planétaire. Certains d’entre eux deviendront les terroristes en guise de révolte contre la toute puissance des parrains de « l’ordre ». Ils auront assimilé l’histoire d’un monde qui a du mal à se hisser au niveau de sa grandeur écorchée, chahutée et assassinée sans autre forme de procès. Ils ont compris cette autre injustice qui couve sous les cendres d’une Irak lynchée, les 64 % des Américains qui pensent que cette guerre est absurde et qui ont perdu 3.000 des leurs. Ils ont raison car est-il besoin, pour s’apitoyer sur le sort du « dictateur » Saddam, qu’un citoyen irakien « libéré de la tyrannie » cache son visage derrière un turban ? Où est la démocratie à lui promise par les libérateurs ? Il faut en finir avec cette grande dictature du « monde libre » et « civilisé » !
Cheikh Anta Diop, l'homme noir reconnaissant...