par La Négritude » Jeu Sep 07, 2006 12:31 am
«COLONISATION. 1: Le fait de peupler de colons, de transformer en colonie. La colonisation de l'Amérique, puis de l'Afrique, par l'Europe. 2 : Mise en valeur, exploitation des pays devenus colonies.
COLONISER. 1: Peupler de colons. 2: Faire de (un pays) une colonie. Coloniser un pays pour le mettre en valeur, en exploiter les richesses.»
La polémique autour de ces deux définitions, publiées dans l’édition 2007 du «Nouveau Petit Robert de la langue française», s'amplifie. Mercredi, Alain Rey, qui a dirigé la publication de la quarantième édition du dictionnaire, a réagi aux attaques lancées la veille par le Cran, le Conseil représentatif des associations noires. Devant la réaction de Patrick Lozès, son président, qui avait dénoncé les définitions “positives» de la colonisation, l'amoureux des mots et de leur histoire s'étonne. Et ce d’autant plus qu’il «partage par ailleurs l’idéologie de ces associations».
Ce qui chagrine Rey, c’est «l’inculture économique que ces attaques manifestent. Il faudrait avant tout qu’elles (les associations, ndlr) ouvrent le Petit Robert à l’entrée "valeur". C’est un terme qui relève de la sphère financière, qui n’a en soi pas de connotation positive ou négative. La mise en valeur d’une station de sport d’hiver ne veut pas dire qu’on va s’occuper de la nature, mais qu’on l’aménage pour se faire du fric! Et qu’était la colonisation de nouvelles terres sinon l’exploitation, la mise en valeur de ses richesses, au bénéfice des colons? Au-delà de ça, si on n’a pas le droit de parler des côtés positifs d’une chose qui est globalement négative, c’est une forme de révisionnisme!»
Retrait ou boycott
Tout a commencé mardi. Patrick Lozès pousse subitement une colère en ouvrant le Petit Robert. Subitement, car les définitions de «colonisation» et «coloniser» étaient déjà — mot pour mot — les mêmes dans l’édition de 1967 du dictionnaire, la toute première.
Patrick Lozès «y voit là une manière de cautionner les “bienfaits” de la colonisation» et de «conforter ceux qui pensent que tous les hommes ne sont pas égaux». La lettre qu’il a adressée à Alain Rey réclame le retrait «pur et simple» de l’ouvrage «dans toutes ses éditions», et dans toutes les librairies.
Dans la soirée, le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) se joint à cette demande et élève «une vigoureuse protestation» contre ces «définitions (qui) ne sont ni plus ni moins qu’une caution et une justification de la colonisation». Mouloud Aounit, le secrétaire général du Mrap, va plus loin. Il appelle au boycott du dictionnaire dont les définitions «subjectives» sont «méprisantes, porteuses d’un certain racisme». Elles manifestent qu’«une crampe mentale atteint ceux qui pensent que le colonialisme est un bienfait. Mais la glorification de l’Histoire française, c’est fini. Maintenant, les victimes et les enfants de victimes exigent que l’on regarde le passé colonial dans toutes ses dimensions, y compris les ravages qu’il a créés.»
Miroir
Cette nouvelle polémique sur la colonisation survient moins d’un an après le débat suscité par la mention du «rôle positif» de la colonisation à l’article 4, alinéa 2 de la loi du 23 février 2005, présentée par l’UMP. Les intellectuels s'étaient déchirés autour de cette controverse qu’on aurait pu croire enterrée avec l’abrogation, par décret, de l’article litigieux, en mars 2006. Elle n’était en réalité qu’assoupie. «C’est évident, cette nouvelle affaire est un miroir grossissant de l’extrême sensibilité de la société à ce sujet», analyse Mouloud Aounit.
Et, pour le Cran comme le Mrap, c’est bien l’esprit de la loi de février que l’on retrouve dans les formulations du Petit Robert 2007. Outre le retrait des dictionnaires des rayons des librairies, ils réclament la mise en place d’un groupe de travail pour trouver «une définition de la colonisation qui n’est pas contestable», selon Patrick Lozès. Alain Rey évoque de son côté la possibilité d’échanger l’exemple pointé du doigt dans l’entrée «coloniser» par une citation d’Aimé Césaire. Tirée du «Discours sur le colonialisme».