Naissance d’un empire
Dès la fondation de l’Empire du Mali par Soundjata Keita circa 1230, Tombouctou commence à avoir une importance de plus en plus grande. Mais la cité entre par la grande porte de l’Histoire universelle durant le règne de l’Empereur Kankan Moussa (qui régna de 1312 à 1337), frère et successeur de l’Empereur explorateur Aboubakar II. En 1324, Kankan Moussa entreprend son pèlerinage à la Mecque, avec une fastueuse escorte de plus de 60 000 hommes-soldats. A cette époque, son Empire, plus grand que toute l’Europe occidentale, produisait la moitié de tout l’or du monde : Kankan Moussa avait donc avec lui, le partageant gracieusement sur son chemin, plus de 11 tonnes d’or qui perturberont la côte de l’or à la bourse du Caire pendant 12 ans. Il rentrera de ce pèlerinage en 1325, ramenant avec lui un grand nombre de docteurs, d’érudits, d’intellectuels et de lettrés de tous types, principalement attirés par sa richesse. Parmi eux se trouve l’architecte arabe d’origine andalouse Abu Ishaq es-Saheli, qui sera chargé de construire la fameuse cité de Djingareyber. La réputation de Tombouctou comme cité de l’or, de la science et de la culture trouve son origine à cette époque.
Mais sans doute, Tombouctou atteint son âge d’or sous la bannière de l’Empire Songhaï, et plus précisément sous la dynastie des Askias. Effectivement, l’Askia Mohammed (Mamadou) Touré arrive au pouvoir en 1493, après avoir détrôné le fils de Sonni Ali Ber. Cet officier militaire d’origine SONINKE impose une organisation économique, administrative et militaire dont l’efficacité ne put que difficilement être atteinte par les autres empires de son temps. Il fait son pélèrinage à la Mecque en 1495, revient avec le titre de Calife, et décide d’intensifier la politique de développement intellectuel et scientifique de Tombouctou.
Tombouctou,pôle intellectuel
Ainsi, au début du XVIe siècle, la cité de Tombouctou a plus de 100 000 habitants, dont 25 000 étudiants, tous scolarisés dès l’âge de 7 ans dans l’une des 180 écoles coraniques de la cité. Tombouctou avait donc l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés du monde à cette époque.
Le joyau de ce système éducatif était l’Université de Sankoré, une Université où s’étudiaient la théologie, le droit coranique, la grammaire, les mathématiques, la géographie et la médecine (les médecins de Tombouctou étant particulièrement réputés pour leurs techniques de chirurgie oculaire dont le traitement de la cataracte par exemple). La splendeur de cette Université se manifestait alors par des échanges avec les Universités de Fès, de Cordoue, et surtout avec l’Université Al-Azhar du Caire.
C’est aussi ce qui explique pourquoi l’Empereur Kankan Moussa et son vaste empire figuraient sur les meilleures cartes géographiques du XIVe siècle. Sur la plus fameuse d’entre elles, il tient une pépite d’or à la main.
De tous les érudits de Tombouctou, le plus fameux fut sans aucun doute Ahmed Baba (1556-1627), un scientifique, théologien, philosophe et humaniste prolifique, auteur de plus de 50 livres traitant tous de sujets différents, et qui fut recteur de l’Université de Sankoré. Pour rencontrer cet ancien disciple du savant Mohammed Bagayoko, les érudits de tous les pays musulmans venaient régulièrement à Tombouctou.
L’attraction que Tombouctou exerçait sur les intellectuels du monde musulman se révèle dans les «Tariks», chroniques écrites par des lettrés musulmans (arabes ou non) décrivant les événements et l’actualité de leur temps. Le Tarik le plus célèbre à propos de Tombouctou et du Soudan Occidental est le «Tarik es-Soudan», écrit par Abdelrahman es-Saadi (1596-1656) — Soudan signifie «Pays des Noirs» en arabe, et le Soudan occidental désigne l’Afrique occidentale actuelle — Cet érudit de Tombouctou décrivait sa cité natale comme étant «exquise, pure, délicieuse, illustre cité bénite, généreuse et animée, ma patrie, ce que j’ai de plus cher au monde».
Tout aussi célèbre est le «Tarik es-Fettah» écrit par Mahmoud al-Kati, le neveu, trésorier et conseiller de l’Askia Mohammed Touré. Selon cet auteur, Tombouctou était caractérisée par «la solidité des institutions, les libertés politiques, la pureté morale, la sécurité des personnes et des biens, la clémence et la compassion envers les pauvres et les étrangers, la courtoisie à l’égard des étudiants et des Hommes de Science». Il peut être intéressant de mentionner la particulière ascendance de Mahmud al-Kati («al-Kati» est une déformation de l’arabe «al-Quti», le Goth): il était le fils d’une nièce de l’Askia, et de Ali Ben Ziyad, un Wisigoth islamisé qui décida de fuir les persécutions religieuses du sud de l’Espagne, traversant tout le Maghreb pour s’établir définitivement au «Pays des Noirs».
Léon l’Africain à Tombouctou
Une autre fameuse description de Tombouctou trouve son origine dans la visite faite en 1512 par Léon l’Africain, un musulman de Grenade (né comme Al Hassan ibn Muhamad al-Wazzan) qui dût aussi fuir l’Andalousie avec toute sa famille en 1494, devant l’intégrisme chrétien des Castillans. Après avoir vécu au Maghreb, puis à Rome où il se mit sous la protection du pape Léon X (qui le baptisa en lui donnant son nom), il écrivit sa fameuse «Description de l’Afrique» où il affirma à propos de Tombouctou: «On y vend beaucoup de livres venant de Berberie, et on tire plus de bénéfice de ce commerce que de toutes les autres marchandises» (rappelons que Tombouctou se trouvait au centre d’un Empire qui produisait la moitié de tout l’or du monde). Car effectivement, la cité comptait plus de 80 bibliothèques privées, la bibliothèque personnelle de Ahmed Baba par exemple était riche de plus de 1 700 livres, sans être selon ses propres dires la plus grande de la ville : c’est que malgré ses immenses richesses et sa puissance économique, Tombouctou se voulait plus une cité de Savoir et de Science qu’une cité de commerce.
L’âge d’or de l’Empire Songhaï et de Tombouctou se termine à la fin du XVIe siècle. En 1591, le Sultan marocain Ahmed el-Mansur y envoie une expédition militaire de mercenaires dirigés par un renégat espagnol, le pacha Youder. Ils vaincront les armées songhaï lors de la décisive bataille de Tindibi, puis entrent par la suite à Tombouctou. En 1593, le Sultan marocain décide de prendre le plus précieux de Tombouctou : il ordonne l’arrestation de tous les intellectuels, docteurs et lettrés de Tombouctou, et leur déportation à Marrakech (ainsi fut exilé Ahmed Baba, qui fut ensuite contraint par la force à enseigner à l’Université de Marrakech).
Abderahman es-Saadi relatera les circonstances de cette invasion : «Les gens du Pacha pillèrent tout ce qu’ils purent trouver, faisant mettre à nu hommes et femmes pour les fouiller. Ils abusèrent ensuite des femmes (…). Parmi les victimes de ce massacre on comptait neuf personnes appartenant aux grandes familles de Sankoré : le très docte jurisconsulte Ahmed-Moyâ; le pieux jurisconsulte.
Mohammed-el-Amin, (etc…). Mais surtout, comme le dira Mahmoud al-Kati dans son Tarik el-Fettah, orpheline de ses érudits, docteurs et lettrés, «Tombouctou devint un corps sans âme». Tombouctou ne réussira plus à regagner son prestige d’antan. Pourtant, lorsque René Caillé arriva à Tombouctou en 1828, il ne pourra s’empêcher de s’extasier : «Les habitants sont doux et affables envers les étrangers, ils sont industrieux et intelligents dans le commerce qui est leur seule ressource…
Tous les Nègres de Tombouctou sont en état de lire le Coran et même le savent par cœur». Même 140 ans après avoir perdu son indépendance, Tombouctou pouvait encore s’enorgueillir d’avoir une population à 100% alphabétisée, ce dont presque aucune autre ville au monde ne pouvait se prévaloir.
Tombouctou est aujourd’hui classée comme patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO. Un programme a été mis sur pied pour protéger et restaurer les quelques 15 000 manuscrits qui sont aujourd’hui accessibles et qui datent de l’époque médiévale. On estime à quelques 100 000 le nombre de documents en circulation qui datent de la même époque et dorment dans des bibliothèques privées.
Autant de témoignages précieux sur ce que fut, et sera à jamais, Tombouctou.
La Nouvelle République