Chez les Soninkés, la virginité avant l’union de deux êtres a toujours été une valeur fondamentale, un gage de pudeur, de fidélité et aussi de chasteté. Mais aujourd’hui, avec la libération des mœurs, elle est reléguée au second plan pour finir par n’être plus qu’un fantasme. Pis, elle divise jeunes et vieux.
« Personnellement, je trouve que la virginité doit être une obligation avant le mariage. C’est une très belle preuve d’amour et de patience, de la fierté, de l’estime de soi, un respect des mœurs religieuses », estime Abibatou Diakhaté, animatrice des collectivités éducatives. Abondant dans le même sens, Coumba Sakho soutient qu’avoir une sexualité avant le mariage est contraire à ses principes et à sa religion. « Je tiens beaucoup à ma virginité, quitte à rester seule jusqu’à la fin de mes jours ». Comme Abibatou et Coumba, elles sont nombreuses ces filles à penser que la virginité est le meilleur cadeau qu’elles puissent offrir à leur époux. Cependant, avec les évolutions sociales, cette tradition a fortement changé. Et dans certains cas, la virginité n’est plus imposée. De l’avis de Kady Soumaré, nombreux sont les hommes qui épousent des femmes qui ne sont pas vierges.
« Il y en a qui s’en moquent complètement », note-t-elle. Même si elle reconnaît qu’avant, la virginité de la femme avant le mariage était obligatoire. « La virginité était une condition importante pour la jeune fille qui voulait se marier. Il y a très longtemps, un marabout qui était parti à la Mecque avait dit à son retour que ce pagne amènerait des problèmes dans les familles, et c’est une tradition qu’il fallait abroger. Depuis, à Bakel, les femmes le font de moins en moins », explique Mara Danthira Traoré. Maintenant, d’après cette dame, de plus en plus de jeunes filles découvrent vivent leur sexualité avant de s’engager ad vitam aeternam. Toutefois, elle met en garde, car cette folie peut souvent s’avérer fatale. Selon elle, il arrive, et c’est fréquent, qu’un homme découvrant que sa femme n’est plus vierge divorce. « Avant, une fille avait peur de faire des bêtises, car elle se disait que si son mari ne la trouve pas vierge, ça peut être catastrophique. Aujourd’hui, elles s’en f… et font n’importe quoi, parce qu’avec les progrès scientifiques, elles peuvent aller dans des pharmacies trouver des médicaments qui peuvent les aider à retrouver leur virginité. Alors, elles font leur connerie et, le jour de leur mariage, trouvent des solutions », souligne Sophie Diallo. Pour d’autres, la médecine est là pour sauver leur honneur et soulager leur souffrance. Pour échapper à la honte, celles qui ont les moyens font recours à la chirurgie qui ne laisse pas de traces visibles.
Influences de la modernité
Même si le mariage traditionnel en pays soninké a ses propres charmes et que dans les différentes localités on reste toujours très attaché à la tradition, les grands rites se célèbrent de moins en moins. Surtout dans des villes comme Bakel, Kidira et Tambacounda où les nouvelles générations ont tendance à copier sur l’Occident. Les festivités sont organisées sous forme d’une réception dans des salles de fête, en présence des tantes, cousins, oncles, frères et sœurs, neveux et nièces, amis, voisins… La cérémonie est rehaussée de danses et de chants, sous les regards des nouveaux mariés habillés de vêtements modernes. Le couple occupe alors le devant de la scène et les invités, venus d’horizons divers, défilent sans arrêt pour remettre leurs cadeaux. « La veille du mariage, un bal est organisé. Certains marabouts l’ont interdit, mais des gens s’y adonnent. Le mariage se modernise, on loue une robe pour la mariée, les amis amènent des cadeaux. Elles tiennent à ce bal, parce qu’elles veulent récupérer ce qu’elles ont investi », informe Idrissa Diarra. Ce qui est déplorable, d-t-il, c’est qu’au cours des bals de mariage, du début jusqu’à la fin, on ne met pas de musique soninké. « Ceux qui sont contre opte pour le tam-tam, plus traditionnel et plus authentique. Ce jour là, toutes les danses soninkés sont revisitées, et les gens donnent leurs présents en tenues traditionnelles soninkés », indique-t-il.
Les jeunes préfèrent un mariage d’amour
Les jeunes croient dorénavant au mariage d’amour et veulent choisir eux-mêmes leurs partenaires. Pour nombre d’entre eux, « le monde a changé et l’on ne peut plus se marier selon les critères d’autrefois ». Car, soutiennent-ils, les mariages arrangés mettent les deux partenaires devant le fait accompli. « Je crois que c’est celui qui se marie qui doit choisir la femme de sa vie. Certes, la famille doit donner son avis, parce qu’il est impossible qu’une relation réussisse sans l’approbation des parents, mais franchement, c’est moi qui choisirais ma future conjointe », indique Sory Diarra. Du côté des jeunes filles également, on estime que les parents n’ont plus à s’imposer sur les choix opérés par leurs enfants. « Chacun est responsable de son avenir. Donc, le choix ne doit engager que les partenaires », souligne Rokhaya Cissé. Pour Sophie Diallo, c’est à l’homme de choisir lui-même sa future épouse.
« Le problème, c’est que ce n’est ni la femme ni l’homme qui choisit, mais plutôt les parents. C’est la famille qui impose, qu’on aime la personne choisie ou non. Si certaines filles se révoltent, d’autres, par contre, ont peur de leurs familles et n’osent pas dire non », soutient cette femme qui dit ne plus croire aux traditions. « Une fille aussi doit se marier avec quelqu’un qu’elle aime, mais pas quelqu’un qu’on lui impose. Ces genres d’union sont souvent source de problèmes. Même si la femme souffre, elle a peur de quitter son mari, elle reste par obligation. Si c’est l’homme qu’elle a choisi, elle reste par amour », ajoute-t-elle. « Nous vivons selon la tendance actuelle, et il est hors de question de me marier selon les critères d’autrefois. Je n’épouserai un homme qu’après l’avoir connu et étudié son caractère », fait savoir Binta Sakho.
Ces jeunes ont beau vouloir changer l’ordre des choses, la réalité est là. Les mariages traditionnels résistent beaucoup plus. Tout le contraire des mariages d’amour qui sont éphémères et virent souvent au drame. « La majorité des couples qui se sont mariés de manière traditionnelle ont réussi à préserver leur ménage, parce qu’ils ont reçu des bénédictions. Or, de plus en plus de jeunes couples divorcent », informe Mara Danthira Traoré.
Or, cauris et perles rouges…
Au septième jour, à la sortie de la chambre nuptiale, les amies de la mariée vont, ensemble, faire la lessive pour les jeunes époux. Ensuite, il y a le yankandé ou cérémonie de présentation des cadeaux offerts à la mariée par son mari et les deux familles, surtout les mères de la fille. « En milieu soninké, avant le mariage, le jeune marié doit obligatoirement préparer un trousseau complet pour son épouse. De même, les parents de cette dernière prépareront une valise pour leur fille avec tous les objets ménagers qui lui serviront dans son nouveau foyer », précise Kadia Bomou. Cette cérémonie donne lieu à une grande fête. Les parents des deux jeunes mariés se retrouvent pour déballer les habits et autres objets ménagers de la mariée. Tout le monde est convié à ce grand rendez-vous. Et c’est le niaxamala qui présente aux invités les bijoux, les boubous, les pagnes, la vaisselle, les ustensiles et autres cadeaux. À la fin de la cérémonie, on lui donnera sa part et les festivités seront terminées.
« Quand le mariage est fait, on met au tour du front de la mariée un fil avec au milieu un anneau d’or, un cauris, et une perle rouge. Au bout d’une semaine, elle l’enlève pour la mettre au tour du cou. Elle ne l’ôte que quand elle a un enfant », révèle Idrissa Diarra. Il y a aussi, souligne-t-il, le fait que la jeune fille peut rester deux à trois mois dans la chambre nuptiale avant de prendre son service ménager. Cela varie selon les familles. Quand elle commence à faire la cuisine, c’est un évènement qui est fêté, mais cela dépend des possibilités de l’époux. C’est une occasion pour la mariée de démontrer que chez elle, elle était habituée aux travaux ménagers et qu’elle sait également faire la cuisine.
La tradition Soninké menacée ?
Même si le style moderne gagne du terrain, certains jeunes tiennent encore à respecter les traditions, héritage qu’ils essaient de garder jalousement. Selon Abdou Khadre Tandia, les intérêts, les tentations, les modes, les préjugés menacent fortement les traditions. « Les Soninkés sont de grands voyageurs. La télévision, les voyages et les échanges ont fait que les choses évoluent rapidement. Les populations essaient de résister, mais avec les jeunes, ça ne tient pas longtemps », soutient-il. « On est en train d’être envahis et phagocytés par les autres et, de plus en plus, les jeunes s’inspirent des modèles venant d’ailleurs. Ils se parlent dans d’autres langues, surtout les filles. La tradition est fortement menacée, et c’est pour cette raison qu’on a créé des associations et qu’on anime des émissions pour essayer de ralentir la noyade », indique-t-il.