L’Afrique, malgré les dénégations répétées de ses propres fils happés dans la matrice des imaginaires coloniaux, demeure étudiée et représentée historiquement sous l’empire de l’inconscient de dominé et de déification obsessionnelle du Blanc et de (s)a civilisation. Le domaine monétaire n’est qu’une illustration éloquente, de ces prénotions infondées que les faits empiriques ruinent totalement.
Le premier réflexe veut que toute réalisation plus ou moins moderne donc présumée à l’actif des civilisations dominantes ait été vierge d’expérience africaine pré-coloniale, et ce sont des chercheurs africains qu’il est routinier d’entendre dire, au sujet de la monnaie par exemple que hormis le troc et la variété des échanges biens contre biens, le continent africain, les vénérés ancêtres, ignoraient la monnaie, les devises, leurs fluctuations.
Rien à l’épreuve des faits n’est plus faux que de telles allégations frappées aujourd’hui encore de l’empreinte colonialo-évangélisatrice du nègre tenu par la main et sortant de l’erreur absolue pour découvrir, encore à demi sauvage, la vérité qui lui est ontologiquement extérieure.
Les Africains font usage de la monnaie dans toutes ses fonctions modernes d’unité de compte, d’intermédiaire entre les échanges -moyen de paiement- et de réserve de valeur. De plus, dans des royaumes très caractéristiques comme Kongo il existe une véritable création monétaire -métallique ou non- entourée des précautions de monopole étatique des emblèmes et de l’authentification monétaires ! Des révolutions monétaires ont d’ailleurs marqué les économies africaines pré-coloniales qui ont eu à s’adapter aux mutations des conditions des échanges locaux et internationaux, utilisant tantôt des monnaies-marchandises, comme le sel, les bandes de coton, le riz , le raphia, la poudre d’or etc, tantôt des formes monétaires métalliques en cuivre, fer, or à effigie depuis la période antique.
Pour le Shaba des monnaies en cuivre sont attestées depuis le VIIème siècle, elles changent de formes et de matériaux selon les cycles politiques, économiques, l’épuisement des matières jusqu’au XVIIème siècle. Le Soudan actuel, ancienne Nubie était le royaume de l’or, la poudre d’or y était utilisée comme étalon monétaire, des villes comme Tombouctou ou Djenné connaissaient l’usage de monnaies métalliques à effigies, avec variation des taux de change. Les Fang de Guinée équatoriale utilisaient jusqu’à il y a peu une monnaie appelée ékwélé, monnaie de cuivre, en forme de lance qui se comptait jusqu’au million. Symptomatiquement le mot désignant le million était akuru, dérivé de akut signifiant la folie en langue Fang, et exprimant la démesure du nombre.
Ces formes monétaires anciennes, les paléo-monnaies, cumulaient des fonctions économiques et non économiques, usages sociaux, rituels, culturels, l’économie étant enchâssée dans le culturel. Outre la modernité de certaines formes monétaires africaines anciennes comme les monnaies en or et à effigies, des entités politiques avancées avaient développé le phénomène monétaire jusqu’à concevoir un monopole de la production monétaire, monopole royal institué, géré et protégé avec diligence.
Ce fut le cas de Kongo où le Mani-Kongo, souverain contrôlait la production de la monnaie, les coquillages nzimba. Le lieu de leur récolte était une île interdite aux hommes et aux étrangers, seules des femmes sous le contrôle des envoyés du Mani-Kongo pouvaient réaliser la cueillette des nzimba. Le royaume Téké utilisait les pagnes de raphia comme monnaie. L’accès aux fibres de raphia spécifiques servant de monnaie était strictement filtré par le souverain, réservé à quelques groupes de tisserands spécialisés, alors que l’activité de tissage des pagnes vestimentaires était par ailleurs libre et généralisée.
L’intérêt d’un contrôle de la production monétaire semblait avoir été très bien perçu chez les Africains, les Fang de Guinée équatoriale produisaient la monnaie de cuivre ékwélé en plusieurs étapes que seuls les aînés pouvaient réaliser entièrement. C’était à des forgerons spécialisés qui transformaient le cuivre que revenaient les tâches de fabrication d’armes, d’outils divers et de monnaie ékwélé. Corporation soumise à de nombreux interdits, seuls quelques uns finalisaient et authentifiaient la production de monnaie qui devait rentrer en usage dans la communauté. Le mode d’authentification des monnaies, la charge symbolique qu’elles portaient, les insignes caractéristiques, faisaient souvent appel à l’immatériel, autre moyen de limitation de l’accès à la production monétaire réelle et symbolique.
Les formes monétaires africaines pré-coloniales étaient souvent tellement bien implantées socialement que les colonisateurs se sont parfois réduits à les utiliser ou même à les contre-faire. Pour optimiser leur capacités commerciales avec la côte ouest-africaine, les Portugais font tisser des imitations de pagnes gambiens aux îles du Cap Vert ; parallèlement de faux coquillages en porcelaine sont manufacturés par les Français et introduits au Soudan.
Le colonisateur qui investit l’Afrique entre les XIVème et XVIIIème siècles connaît l’universalité du fait monétaire qu’il vit sur le continent. La fable du troc ne sera inventée qu’après le processus de dé-monétarisation des économies africaines de leurs formes monétaires anciennes, afin d’introduire en les légitimant des supports occidentalo-monétaires facilitant grand œuvre colonial.
Posté le 27 Mar 2007 par biko