Dans ma famille, on est conteur depuis la naissance parce que je suis descendant d’une famille de griots qui enseigne les contes et les transcrit. Dans les sociétés traditionnelles malinké la fonction ou la vocation de notre famille porteuse de coutumes, de mémoires et de traditions -, c’est l’enseignement. Mais tous les descendants ne sont pas forcément conteurs car chacun choisi sa voie en fonction de ses dons. En ce qui me concerne, mon don est peut-être devenu celui de l’art de la parole mais avant c’était l’écoute. Je savais écouter plusieurs personnes à la fois et avais la capacité d’analyser les paroles de chacun. J’ai joué pour la première fois en 1972 dans la troupe familiale avant de rejoindre le théâtre en 1977. Le déclic s’est produit 20 ans après ; j’avais besoin de liberté. J’ai alors tout arrêté pour me consacrer au conte.
Vous avez été convié pour la première fois au Festmoc. Que représente pour vous cette vitrine promotrice des arts de la parole au Cameroun ?
Sincèrement c’est une bonne initiative sur les plans artistique et culturel. D’ailleurs, il n’y a jamais eu de mauvaise initiative sur ce plan. Comme la canne guide l’aveugle, c’est de la même manière que la culture définit l’homme.
En revanche, je rejette l’étiquette de contemporain qu’on a tendance à coller à toutes les expressions artistiques. Le monde a toujours été contemporain et il n’y a pas de conteur contemporain. Nous sommes des conteurs à partir des histoires du passé et du présent. Et nos enfants vont se fier à ces étapes et suivre le même processus. Le conte qui se dit au village peut être raconté en ville ; seuls les éléments géographiques et le matériau vont changer, c’est normal. En Afrique, on a les légendes, les épopées, les mythes, les histoires, les louanges, les devinettes, les proverbes et les fables. Comment expliquer que toutes ces activités soient résumées au conte en Occident ?
Quelle place donnez-vous au conte ?
Je considère le conte comme un moyen d’expression vitale qui véhicule l’éducation et le savoir-vivre. Dans le conte, l’importance réside dans la réflexion qu’on en tire et chacun peut l’interpréter à sa manière. Je dirais sans ambages que c’est un support pédagogique pour les analphabètes.
Les arts de la parole ont-ils encore pignon sur rue à cette ère de l’universalité où les conteurs ont du mal à s’imposer aussi bien en Afrique qu’ailleurs ?
En matièred’d’art de l’oralité, je trouve que toutes les organisations mises sur pied en Afrique sont insuffisantes. La manière dont je voie les porteurs de projets, surtout les directeurs de festivals, se regarder en chien de faïence, m’attriste. Il y a de la place pour tout le monde., Nous ne réinventons pas la boussole. Nous ne savons pas instaurer de confiance en nous. Au lieu de cela, nous excellons dans la politique du ventre face à l’Occident.
La place de la parole dans la société africaine est incontournable car c’est la seule chose qui réunit l’Afrique. On reproche à cette aire géographique de ne pas se relier à l’écriture, c’est faux. Le problème réside dans la transformation que l’écriture impose à ce continent. Or, l’Afrique a sa place, mais dans une forme d’écriture qui lui est spécifique : la parole. Notre complexe d’infériorité nous fait croire que le meilleur vient de l’Occident au détriment de nos réalités. Nous devons juger par nous-mêmes de nos propres compétences et donner de la place à notre parole.
La seule chose qui puisse sortir l’Afrique de la boue, c’est la parole, l’oralité. Quand on parle de mondialisation culturelle, on se tourne vers notre continent, parce que la puissance de son oralité est unique au monde, tout comme on regarde l’Europe sur le plan économique. En fait l’écriture a sa place dans ce concert des nations ; mais, c’est n’est pas elle qui donnera de la valeur à l’oralité africaine. Néanmoins, le respect de l’oralité demeure dans l’écriture.