TALENTS EN COURT. Avec son deuxième court-métrage Maman(s), Maïmouna Doucouré, 30 ans, aborde le bouleversement qu’est la polygamie à travers les yeux d’une enfant.
Elle nous retrouve après l’avant-première de son court-métrage Maman(s) à l’UGC Ciné Cité 19 de Paris, rayonnante d’avoir réuni près de 300 spectateurs et recueilli tout autant de réactions. Car avec Maman(s), présenté dans le cadre du dispositif Talents en Court initié par le CNC et l’Association des ami(e)s du Comedy Club, Maïmouna Doucouré savait qu’elle s’attaquait à un sujet tabou : celui de la polygamie, dans laquelle elle est « née » et dont elle s’est inspirée. «Pour moi c’est un film sur l’amour, sur l’interprétation qu’une petite fille se fait de l’amour à travers ses parents».
Bien que cette pratique soit tolérée dans certains pays et interdite en France, Maïmouna Doucouré témoigne qu’autour d’elle ce cas de figure est « courant » et laisse plus de séquelles qu’on ne le croit : « certains de mes amis ont été détruits par la polygamie parce qu’on ne pense pas aux enfants. Jusqu’au jour où cela se ressent dans leurs résultats scolaires ou qu’ils dérapent. Il y a un réel problème de communication dans les familles ».
Née en 1985 à Paris d’une mère commerçante et d’un père éboueur venus du Sénégal, Maïmouna Doucouré a connu une « belle » enfance faite « de rires et d’aventures » au milieu d’une fratrie de dix enfants dont elle est la cinquième. Le 19e arrondissement de Paris qui l’a vu grandir, elle le qualifie comme un vrai « melting-pot », oscillant entre « la galère et la générosité des gens ».
Bonne élève (« j’ai eu la chance d’avoir des parents très à cheval sur l’éducation même si eux-mêmes n’étaient pas allé à l’école »), Maïmouna Doucouré suit des cours de théâtre via une association puis demande à s’orienter en S : « Tu es folle ? C’est trop dur ! », lui disent ses camarades et conseillers d’orientation. « Depuis, plus on me dit que quelque chose est impossible, plus j’y vais », rapporte celle qui a décroché le baccalauréat qu’elle souhaitait.
“Au-delà du cinéma, les Noirs font toujours des pubs pour les préservatifs, le sida”
Diplômée d’une Licence en biologie de l’Université Paris 6, Maïmouna Doucouré réalise que quelque chose lui manque. Le besoin de s’exprimer : « J’ai toujours écrit en me disant ‘‘Peut-être qu’un jour’’… Je savais que des choses en moi devaient sortir ». Depuis l’enfance, elle consomme des films, à la télévision ou en VHS, avec ses grands frères : « Scarface, Le Parrain, Boyz N the Hood, Freddy… C’est avec eux que j’ai découvert le cinéma ».
Décidée à ne pas passer à côté de sa vocation, Maïmouna Doucouré travaille pour intégrer le Laboratoire de l’Acteur de Paris 11e (« 350€ par mois ! ») où elle se forme à l’actorat. Puis tombe par hasard sur un appel à scénario du festival HLM sur Cour(t). En deux jours, le texte est rédigé, envoyé. Quelques temps plus tard, le téléphone sonne. Lauréate. « Je me suis dit : c’est un signe. Puis je me suis demandé : comment fait-on un film ?».
Après avoir appelé des amis et cherché des informations sur Internet, Maïmouna Doucouré gère de A à Z le tournage d’un court-métrage avec dix enfants, Cache-cache, qui remporte le 3e Prix de HLM sur Cour(t) et la mention spéciale du jury du festival Génération Court d’Aubervilliers (93).
Au cours d’un autre festival, elle rencontre le réalisateur et producteur bordelais Zangro qui lui propose de produire son court-métrage suivant. « Il m’a beaucoup poussée. Avec lui, j’ai compris que c’est quand tu crois que ton scénario est fini que le travail commence ». Ensemble, ils réunissent le soutien du CNC, de France 3, TV7 Bordeaux et la Région Aquitaine pour tourner Maman(s).
Si cette adepte de la carte illimitée apprécie In the Mood For Love, La séparation, Breaking the Waves, Incendies, Les 400 coups, Amélie Poulain ou Welcome, la représentation des minorités dans le cinéma français lui semble bien en retard. « Au cinéma, les Noires sont toujours des nounous, des femmes de ménages… Au-delà du cinéma, les Noirs font toujours des pubs pour les préservatifs, le sida… Comme si nous ne mangions pas de yaourts. Si toutes les minorités arrêtaient un jour de consommer, les gens se rendraient compte qu’elles existent».
Alors, pour faire du cinéma et non du « cinéma issu de… », Maïmouna Doucouré aspire à réaliser des films «qui font réfléchir », avec des acteurs « sans clichés », afin qu’en France il soit un jour possible de « faire bouger les choses et créer ce qui n’existe pas ».
Claire Diao/http://bondyblog.liberation.fr