Voici le texte complet du discours de Ségolène Royal à Dakar, le 6 avril 2009, où elle demande pardon pour l’allocution de Nicolas Sarkozy en 2007.
Merci, chers amis de votre hospitalité, dont je sais qu’en wolof, elle se dit teranga. Un mot magnifique qui exprime une valeur que, de longue date, les civilisations africaines exaltent.Dans cette salle qui porte son nom, je pense bien sûr à l’oeuvre de Léopold Sedar Senghor, à ce qu’il voulut et fit pour son pays.Je pense aussi, et votre université porte aujourd’hui son nom, à Cheikh Anta Diop.Je pourrais vous dire que je suis une amie ancienne et fidèle du peuple sénégalais, mais je vous dirai beaucoup plus : je suis une fille de l’Afrique et une soeur des hommes et des femmes d’ici.C’est sur votre terre que je suis née, à Ouakam. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de deux ans. Je n’en ai pas beaucoup de souvenirs conscients. Mais tout s’est imprimé. Car on garde enfouis en soi les couleurs, les musiques, la chaleur, la lumière, les parfums engrangés dans les premiers jours de sa vie. De cette naissance, j’ai toujours ressenti un profond sentiment de fierté. C’est une force d’être une citoyenne du monde et d’avoir toujours le réflexe de regarder ce qui se passe loin de nos frontières et plus loin encore dans l’hémisphère sud.
Avant de me lancer dans la campagne présidentielle, je suis revenue au Sénégal. J’avais besoin de retrouver mes racines et de renouer avec mes origines. À cette occasion, j’ai rencontré une femme à Thiaroye, avec une centaine d’autres. Elles avaient perdu leurs fils, noyés alors qu’ils tentaient de gagner l’Europe. Nous nous sommes longuement serrées dans nos bras. Cette femme, submergée par le chagrin, a décidé, avec d’autres, de le dépasser en s’investissant pour les jeunes de son village.
Nous nous sommes revues longuement hier. Que de progrès dans leurs actions dont j’avais vu les balbutiements en 2006 : activité de pêche, artisanat, alphabétisation des femmes. Avec quel courage toutes ces mères ont dépassé leurs souffrances pour prendre en main leur vie, leur subsistance, et donner à leurs enfants des raisons d’espérer et de vivre dignement de leur travail dans leur pays.
Ces femmes symbolisent la force des êtres humains quand ils utilisent leurs souffrances pour créer l’espoir. Quand ils agissent localement pour apaiser le monde dans sa globalité.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que je parle de l’Afrique. À Villepinte, dans le discours d’ouverture de la campagne présidentielle, ce continent était au coeur de mes préoccupations (« De quoi souffre-t-elle l’Afrique ? D’une économie mondiale absolument débridée qui ne laisse aucune chance à des produits agricoles fragiles et incapables de rivaliser avec les politiques de pays bardés d’atouts financiers et technologiques ! »).
Elle était là aussi, l’Afrique, dans l’ouvrage coécrit avec Alain Touraine, Si la gauche veut des idées. J’y annonçais : « L’Afrique est notre avenir. Le développement de l’Afrique sera l’oeuvre des Africains », et dans Femme debout, écrit avec Françoise Degois.
Dans chacune de mes responsabilités, j’ai toujours pensé à l’Afrique. En 1992, ministre de l’Environnement, j’avais choisi le Mali comme pays partenaire d’actions communes environnementales. Devenue ministre de l’Enseignement scolaire, j’ai pris beaucoup de soin à intégrer le Sénégal dans des actions de développement commun de l’Éducation, comme la bibliothèque de Ouakam.
Je pourrais vous donner bien d’autres exemple de cette préoccupation au long cours et de ce lien indéfectible qui me ramène toujours vers l’Afrique tant est forte ma conviction que cette alliance entre le continent européen et le continent africain est une chance à saisir pour équilibrer un monde multipolaire qui doit construire la paix et la prospérité. C’est dire à quel point dans le contexte actuel de toutes les violences qui nous assaillent, crise économique brutale, dégâts environnementaux, désastres sanitaires, notre responsabilité est forte et notre capacité commune à oser les stratégies visionnaires qui nous donnent les clefs du monde d’après. L’Afrique, je ne l’ai jamais lâchée.
C’est une conviction très profonde. Ce n’est pas seulement une conviction d’ailleurs, c’est une raison d’agir. C’est pourquoi aujourd’hui, présidente d’une région française, j’ai choisi comme principale coopération décentralisée, une région du Sénégal, la région de Fatick. Et cette coopération est si efficace, si exemplaire (j’y reviendrai), qu’elle vient d’être retenue comme le premier modèle de référence de coopération décentralisée par le programme des Nations unies pour le développement.
Voilà, chers amis, la démonstration politique par la preuve qu’il y a un lien très étroit, pour l’avenir de l’humanité entre le local et le global, c’est-à-dire entre les actions concrètes de terrain qui bénéficient directement aux gens et les échelons financiers à l’échelle des États et des organisations internationales qui doivent les permettre.
Oui, il y aura un avenir pour l’humanité avec une Afrique forte, debout et respectée, partenaire d’une Europe forte, debout et respectée.
Oui, je veux devant vous porter une parole de respect, de fraternité et de justice, celle qu’aurait dû porter le G20 en associant davantage l’Afrique dans son ensemble. Au-delà des avancées positives qu’il faut saluer et qui viennent poser d’autres règles du jeu, pourquoi l’Afrique ne s’y trouve-t-elle pas ? Pourquoi avoir écarté un milliard d’habitants et un tiers des ressources naturelles de la planète ? Ce n’est ni juste ni efficace. Tout comme n’est ni juste ni efficace l’absence de ce continent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies ou encore sa sous-représentation dans les conseils du FMI et de la Banque mondiale. L’Afrique doit enfin avoir toute sa place dans les instances internationales, car nous avons besoin d’elle, de sa vision, de ses talents, de sa faculté de don, de ses idées.
Chers amis, nous vivons une époque historique, avec une crise sans précédent, faite de drames, mais aussi d’opportunités. L’opportunité de nous en sortir en décidant des changements profonds et des valeurs nouvelles qui nous permettront d’inventer le monde d’après, un monde plus humain et plus juste.
L’aménagement à la marge du système actuel ne permettra pas la sortie de crise. Les peuples doivent exiger de leurs gouvernants et de leurs élites qui n’ont su ni anticiper ni guérir qu’ils changent de logique.
Partout, les peuples se révoltent. Il n’y aura pas de paix sans justice. Et il n’y aura pas de justice sans respect. La finance doit impérativement être mise au service de l’économie réelle et l’économie réelle au service des hommes et des femmes.
Une crise écologique sans précédent menace notre survie. Depuis 2000, le nombre de personnes touchées par des catastrophes naturelles a triplé. D’ici 2040, un milliard de personnes seront contraintes à se déplacer, victimes de la sécheresse, de l’appauvrissement des sols, de la hausse du niveau de la mer. La plupart seront originaires des pays en développement et du continent africain en particulier. Les forêts denses de ce continent sont menacées par la surexploitation des sols et par une agriculture intensive destinée non pas à nourrir les peuples, mais aux seules exportations. En 2025, 750 millions de personnes vivront dans des zones désertiques. Aujourd’hui déjà, seule la moitié de la population africaine a accès à l’eau potable.
Une crise financière et bancaire d’une ampleur inouïe provoque par ailleurs une crise économique et sociale mondiale. Cette crise, l’Afrique et les pays émergents n’en sont pas responsables et pourtant, ils en sont les premières victimes. Pour la première fois depuis 50 ans, le commerce mondial s’est contracté de près de 10 %. L’accès au financement pour des projets de développement a, lui aussi, été réduit de plusieurs milliards de dollars. L’Afrique, trop souvent oubliée de la mondialisation, est aussi l’oubliée des plans de relance. Les bâilleurs du Fonds monétaire international, et en particulier les Pays du Nord, devront impérativement consacrer le triplement des réserves décidées lors du G20 aux pays en développement, notamment à l’Afrique.
La boulimie financière, l’avidité de profit, la gloutonnerie d’argent ont conduit le monde au bord du précipice en inversant les valeurs, en prenant l’accessoire pour l’essentiel, en oubliant que le bonheur des êtres humains – éducation, santé, culture, alimentation, cadre de vie – doit impérativement passer avant tout le reste, oui je dis bien tout le reste.
En oubliant ce principe fondamental « par le peuple, pour le peuple » qui est d’ailleurs aussi le principe de gouvernement de la République du Sénégal, nous voici tous entraînés collectivement vers le gouffre si nous subissons. Mais nous sommes nombreux, à l’échelle planétaire, à avoir les moyens et la volonté de réagir et à refuser de subir.
Aujourd’hui plus que jamais, nous devons être à la hauteur du défi que le siècle nous pose. Les forces de vie doivent l’emporter sur les forces de l’argent.
Et d’abord, pour bâtir un monde commun, qui fait reculer la rupture intolérable qu’engendrent les inégalités dans la répartition des richesses. Selon l’ONU, 2 % de la population mondiale possède 50 % de la richesse mondiale quand la moitié de la population doit se contenter d’à peine 1 % de cette richesse. La malnutrition est responsable de plus de la moitié de la mortalité infantile. Deux tiers des séropositifs dans le monde se trouvent en Afrique. Rien qu’en 2007, un million de personnes sont mortes à cause de la pandémie. 40 millions d’enfants n’ont toujours pas accès à l’école et moins de la moitié des enfants en école primaire n’achèvent pas leur cursus alors même que, nous le savons tous, l’éducation est la condition absolue du développement.
Il existe un seuil de richesse, et un seuil de pauvreté, à partir desquels, ce qui est en cause, c’est l’unité même de l’espèce humaine.
Certes, des progrès existent. Mais dans les pays pauvres, on le sait, la misère a doublé en 10 ans. L’aggravation de la pauvreté s’est traduite par les émeutes de la faim.
Je le dis avec la plus grande solennité : cette situation n’est pas tenable. C’est terminé le temps où certains pensaient pouvoir s’en sortir en fermant les yeux sur le péril.
Il est urgent que nous définissions ensemble à l’échelle planétaire d’autres façons de faire, d’autres formes de solidarité, d’autres transferts de richesse.
Il est urgent que les pays du Nord tiennent enfin leurs promesses et respectent leurs engagements internationaux. En aucun cas, la crise ne doit donner prétexte à baisser l’aide au développement.
De quelle aide publique parle-t-on ? Aujourd’hui, elle se compose essentiellement des annulations de dettes et de prêts. La part des financements destinés à de nouveaux projets, elle, diminue. Ce qui a été donné d’un côté a été repris de l’autre.
Je veux pour mon pays, la France, et pour l’Europe le courage de ne pas se payer de mots. Et l’honnêteté de ne pas tromper ceux qu’on prétend aider. Le respect commence là.
Lorsque j’étais à Belém, j’ai entendu Lula dire qu’il en avait assez d’être convoqué dans les grandes capitales du Nord par de jeunes banquiers qui lui disent comment gérer son pays, alors qu’ils n’y ont jamais mis les pieds et savent à peine où il se situe.
Sous la plume d’Aminata Traoré, j’ai lu que les Maliens en avaient assez que ceux qui n’ont jamais vu une boule de coton leur disent ce qu’ils devraient en faire.
Dans les textes d’artistes comme Tiken Jah Fakoly ou le rappeur Didier Awadi, j’ai entendu la colère que provoque l’injustice. De nombreux universitaires et responsables politiques africains demandent que l’Europe tire la leçon d’accords de partenariats économiques qui ont échoué et qui sont perçus non comme une aide, mais comme un rapport de force.
L’aide au développement ne doit plus être une version moderne de la charité, condescendante, assénant ses certitudes depuis Washington, Bruxelles ou Paris. Elle doit être construite avec, et non pas pour. Mais des progrès ont été faits, il faut le dire, et je voudrais vous rappeler comment nous nous en sommes inspirés.
Deux principes ont guidé la coopération décentralisée menée entre la région de Fatick et la région Poitou-Charentes que je préside : ne jamais plaquer de solution toute faite mais chercher ensemble, en mutualisant nos expériences, les meilleures réponses ; appuyer les initiatives locales, fidèles à un esprit d’écoute qui conditionne le succès de tout programme.
Avec la région de Fatick, nous avons développé un programme de coopération qui comprend plusieurs volets : agricole, écoénergétique, écotouristique, économique, sanitaire et éducatif.
Notre coopération agricole a commencé à l’automne 2004. Nous avons déjà obtenu de très bons résultats en formation des éleveurs caprins, en amélioration des structures, en niveau de production, en respect de l’environnement.
Ces succès nous permettent aujourd’hui d’envisager de nouveaux partenariats, notamment avec Agronomes et Vétérinaires sans Frontières.
Nous avons développé l’énergie solaire pour l’accès à l’eau. Et nous pouvons maintenant, tout en économisant la consommation du bois, électrifier des chèvreries, des fromageries, des pompes à eau, des services publics, notamment des établissements scolaires et des unités sanitaires rurales. Je les visiterai demain et pendant trois jours avec les élus et les habitants de Fatick.
À terme, l’énergie solaire permettra d’électrifier les territoires isolés du réseau électrique conventionné, notamment les îles du Saloum.
Et grâce à ces réalisations, la région de Fatick a été retenue par le programme des Nations Unies pour le développement comme région-pilote pour la lutte contre le changement climatique.
Voilà comment, en agissant localement, on transforme globalement.
Pour favoriser le développement de l’écotourisme, nous avons lancé des projets-pilotes dans la zone du parc naturel du delta du Sine-Saloum et dans l’arrière-pays.
Bientôt, les habitants de ces régions pourront accueillir des visiteurs de tout le Sénégal, de toute l’Afrique de l’Ouest, et du monde entier, tout en respectant l’harmonie et les équilibres de la nature locale.
Voilà comment, en agissant localement, on transforme globalement.
Plus généralement, le Poitou-Charentes a soutenu la mise en place du microcrédit pour permettre aux éleveurs de financer les fourrages et les équipements dans les coopératives pour le lait.
La devise du microcrédit est la nôtre : agir localement, transformer globalement.
Ce programme dans son ensemble englobe de nombreux partenaires locaux et en particulier les Groupements de promotions féminines. Elles sont venues en Poitou-Charentes. Elles m’ont raconté leur histoire. Elles m’ont dit tous leurs efforts en tant que mères, en tant qu’épouses, pour colmater les brèches du quotidien. Elles m’ont dit les trésors d’ingéniosité, d’opiniâtreté, de créativité qu’elles déploient.
Nous nous sommes appuyés sur cette ingéniosité et sur cette créativité pour imaginer des programmes de développement pionniers : microcrédit, foyers de cuisson améliorée, utilisation de l’énergie solaire pour les séchoirs et pour les fours. Les potentiels des savoir-faire locaux ont été valorisés. Des forgerons, des potières ont été formés, des centres de production d’inserts en céramique ont été construits, des villages ont été accompagnés dans leur démarche écotouristique. Mais surtout, nous avons beaucoup appris nous-mêmes par les missions d’échange et nos agriculteurs et nos techniciens en énergie solaire ont beaucoup appris en venant ici. C’est dans cet échange de réciprocité que nous sommes plus efficaces ensemble.
La qualité du partenariat a été reconnue par le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui a signé une lettre d’intention le 17 novembre 2008 avec les deux Régions.
Notre programme de coopération décentralisée va faire de Fatick la première région du Sud à devenir neutre en émission de gaz carbonique.
C’est à travers ce type d’action, conjuguée naturellement à l’action d’un État, que l’on peut changer les règles de la planète. Partout se mettent en place ces actions qui changent concrètement la vie des gens, créent de la ressource, développement des régions. Ces petites rivières font de grands fleuves.
La coopération décentralisée, bien sûr, ne remplace pas des coopérations à l’échelle des États et des continents. Mais on pourrait faire tellement plus si on n’avait ne serait-ce que quelques miettes des milliards perdus par les établissements bancaires.
L’aide au développement n’est pas un luxe de pays riche. C’est précisément parce que nous sommes tous confrontés, ensemble, au même moment, à la plus grave crise économique que nous devons agir ensemble. Car nul ne s’en sortira seul et encore moins contre les autres, mais les uns avec les autres.
Chers amis, vous le voyez, il existe des raisons profondes d’espérer. J’aime cette phrase de Martin Luther King : « Il n’y a que quand il fait suffisamment sombre que l’on peut voir les étoiles. »
Une de ces lueurs est apparue récemment, aux États-Unis d’Amérique avec l’élection de Barack Obama. Au-delà du symbole de cet homme noir, jeune, qui accède à la première puissance du monde et redonne une fierté à tous les hommes et femmes de couleur et, plus largement, à ceux qui se sentent opprimés, au-delà de ce symbole créateur d’espoir, il y a la politique américaine qui change radicalement.
Son économie s’est effondrée comme une maison rongée par les termites depuis des années et qui s’écroule subitement. Une violence qui oblige l’Administration Obama à mener une révolution sur tous les fronts. Front intérieur avec la refonte du système financier, la loi sur les superbonus, l’investissement dans la croissance verte. Front extérieur avec un tournant dans les relations internationales, le dialogue. Cette stratégie de la main tendue portera ses fruits, j’en suis convaincue. Dialoguer même lorsqu’il n’y a plus de mots pour le faire. Construire des médiations là où le dialogue est rompu. Voilà ce que doit être la diplomatie du XXIe siècle.
Il y a ensuite le forum de Belém. L’altermondialisme n’a jamais autant mérité de porter son nom. Penser le monde différemment, faire le serment de dépasser tous les schémas, les lieux communs, les systèmes de pensée qui rapetissent, être créatif et réaliste à la fois. À Belém, comme à Washington, j’ai ressenti la même pulsation : celle de l’énergie vitale des peuples qui prennent les fausses vérités à contre-pied, se rassemblent, joyeux, sentant que le monde d’après se soulève.
Oui, je crois à la force citoyenne, la force du peuple qui se dresse, comme s’est dressé le peuple des outremers, autour d’un leader qui a porté la soif de justice et de respect : Élie Domota. Aucune atteinte à la dignité, aucune arrogance ne peuvent résister à la force de conviction et à la détermination d’un peuple qui a soif de respect et d’actions justes.
L’écoute, la démocratie participative, la médiation font leurs preuves partout où elles s’appliquent. Là où l’écoute est défaillante, là où l’exaspération et la violence surgissent.
Plusieurs révolutions soufflent sur le monde et notamment une révolution des couleurs. Nous sentons bien que nous sommes à un tournant. Mais nous ne savons pas quel en sera le sens.
Si bien que la question qui se pose à nous aujourd’hui, Sénégalais et Français, Africains et Européens, est celle-ci : Que faire naître ensemble ? Et comment le faire naître ?
La réponse commune, nous la vivons ici dans cette salle, nous la vivrons encore à Fatick demain, avec tous les exemples de développement durable. C’est celle de la fraternité qui nous permet de bâtir ensemble des solutions respectueuses de la planète que nous partageons. Vous avez autant, si ce n’est plus, d’atouts que nous avec l’énergie solaire pour réussir la croissance verte. Alors, vous imaginez comment nous pouvons être efficaces en unissant nos efforts et nos volontés.
Chers amis, pour le meilleur et parfois, hélas, le pire, nos destins ont été liés. Ils sont liés.
Le pire : ce fut l’esclavage, cette « déportation la plus massive et la plus longue de l’histoire des hommes », comme l’a écrit Christiane Taubira dans l’exposé des motifs de notre loi de 2001 qui reconnaît ce « crime orphelin » pour ce qu’il fut : un crime contre l’humanité.
Le pire, ce fut la colonisation, dont une partie de la droite, dans un projet de loi, a essayé de nous faire croire, en 2005, qu’elle eut des « aspects positifs ».
Voici ce que je disais en 2005 au ministre de l’Intérieur à ce sujet :
« La vive réaction de nos compatriotes des Antilles vous a permis de mesurer l’offense faite à la République par la loi adoptée par votre majorité, qui promeut une lecture révisionniste de la colonisation et heurte, dans l’Hexagone comme outre-mer, celles et ceux pour qui l’adhésion à la France ne peut s’inspirer que des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, bafouées hier par le colonialisme et aujourd’hui par les discriminations.
L’honneur de la République, c’est la lucidité d’une histoire partagée dans une France accueillante à tous les siens. »
Permettez-moi d’être très claire. Qu’il y ait eu, à cette époque, des hommes et des femmes sincères de bonne volonté, cela est sûr. Mais on n’a rien dit quand on n’a dit que cela. Le problème est que la colonisation fut un système. Ce système doit être condamné pour ce qu’il fut : une entreprise systématique d’assujettissement et de spoliation. Ses séquelles doivent être combattues sans fléchir.
Les colonisés n’avaient pas le choix. Le travail forcé et le code de l’indigénat étaient la règle. Et le mépris. Et le racisme. Et la violence d’un système qui fit les uns ployés sous le joug des autres.
Je veux rendre honneur à ceux qui, dans toute l’Afrique, se sont battus et sont morts dans un combat qui était le combat des Africains, oui, et de toute l’humanité.
Et je suis fière qu’il y ait eu en France des consciences pour s’insurger et des militants pour se porter aux côtés de ceux qui luttaient pour leur indépendance. Ceux-là défendaient nos valeurs quand la colonisation en était la négation.
Je crois que nous avons le devoir de poser les mots justes sur ce qui fut. Car les mots font plus que nommer : ils construisent la réalité et le regard qu’on porte sur elle. Nos plaies d’histoire ne sont pas toutes cicatrisées. Le devoir de mémoire n’a pas besoin de permission. Chacun s’en acquitte avec la subjectivité et l’héritage qui est le sien. Ce dont, en revanche, nous sommes collectivement comptables et responsables, c’est du droit à l’histoire et du devoir de vérité.
Ce droit à l’histoire et ce devoir de vérité, c’est ce qui permet de regarder les faits en face et de partager un récit qui ne soit pas ressassement du passé, mais moyen de le dépasser sans amnésie et de se projeter ensemble dans l’avenir.
Dans la dernière lettre qu’il a écrite à sa femme avant d’être assassiné, Patrice Lumumba a dit sa foi inébranlée dans l’établissement de la vérité historique : « L’Histoire dira un jour son mot. L’Afrique écrira sa propre histoire. »
Honneur aux maîtres de la parole qui conservèrent et transmirent. Honneur aux historiens de l’Afrique qui ont rappelé au monde que non seulement l’Afrique était le berceau de l’humanité, mais qu’elle était, avec l’Asie mineure, le berceau de la civilisation humaine.
Honneur aux historiens de l’Afrique qui ont rappelé au monde l’existence des grands royaumes et des grands empires de l’Afrique. Honneur aux historiens de l’Afrique qui ont retracé les mille et une relations nouées bien avant la conquête, en des temps où le Sahara, la Méditerranée et l’océan Indien n’étaient pas des frontières, mais des points de passage et de mise en contact.
Quelqu’un est venu ici vous dire que « l’Homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ».
Pardon pour ces paroles humiliantes et qui n’auraient jamais dû être prononcées et qui n’engagent pas la France. Car vous aussi, vous avez fait l’histoire, vous l’avez faite bien avant la colonisation, vous l’avez faite pendant, et vous la faites depuis.
Et ce que Léopold Sedar Senghor et Aimé Césaire ont magistralement accompli avec le concept « négritude », vous l’avez poursuivi avec le mot « Afrique «, cet étendard d’une dignité reconquise.
C’est pour cela que les oeuvres des historiens Cheikh Anta Diop du Sénégal et de Joseph Ki-Zerbo du Burkina Faso constituent non seulement un sommet de la science, mais aussi un sommet de la lutte pour la liberté.
C’est pour cela qu’il était si important de démontrer comme ils l’ont fait que la Grèce ancienne devait tant à l’Égypte ancienne qui elle-même devait beaucoup à l’Afrique. Ils ont montré que les langues africaines permettent le même déploiement de la rationalité humaine que les langues européennes.
Il leur a souvent été reproché d’être partisans.
En insistant sur leur engagement indépendantiste et panafricain, on a voulu mettre en doute la rigueur scientifique de leurs recherches.
Mais aujourd’hui, chaque jour, les découvertes de l’égyptologie valident les thèses de Cheikh Anta Diop.
Une certaine histoire européenne de l’Afrique a voulu dénier aux Africains la fierté d’être Africains.
Et comme le pensait Lumumba, écrire c’est agir et agir c’est écrire.
Pour aujourd’hui, il est bon que se constituent autant que cela est possible des équipes mixtes de chercheurs africains et européens pour retracer le destin commun de l’Afrique et de l’Europe. Car c’est en élucidant ensemble les pages communes de nos histoires que nous pourrons écrire ensemble les pages communes de nos futurs.
Alors oui, il est temps que nous pratiquions davantage entre nous l’égalité vraie, loin des paternalismes, des misérabilismes, des ostracismes, loin des doubles langages qui masquent mal les doubles jeux.
Oui, la France doit honorer sa dette à l’égard de l’Afrique et que les Français doivent apprendre à l’école ce qu’ils ont reçu de l’Afrique.
Quand notre territoire national fut envahi, l’Afrique fut un refuge et une aide pour les forces de la France libre.
Les soldats africains ont contribué, sur tous les champs de bataille, à inverser le cours de l’histoire.
Le 8 mai 1945, sans l’Afrique et les Africains, jamais la France n’aurait retrouvé sa liberté.
Alors comment oublier la sanglante répression menée au camp de Thiaroye contre des tirailleu
http://www.lesoir.be/actualite/monde/le-discours-complet-de-2009-04-07-699915.shtml
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Posté le 08 Apr 2009 par biko