Les publicités vantant, d’un côté, les liens entre les peuples, de l’autre les mérites de Western Union (WU), leader mondial des transferts d’argent en espèces, envahissent régulièrement les murs de la planète, dans une de ces campagnes que la société américaine aime à multiplier. Premier objectif : ne pas perdre sa place de leader sur un marché en pleine expansion. Le transfert de fonds des émigrés vers leur pays d’origine est considéré comme une « mine d’or » par les experts financiers.
Souvent lié par des accords aux réseaux postaux et ferroviaires nationaux, WU offre un maillage unique de 225 000 agences dans 195 pays. On est loin de la petite compagnie de télégraphe née en 1851 dans le Far West. Cette entreprise, rachetée en 1994 par le groupe américain de services financiers First Data – qui a refusé de répondre aux questions du Monde -, déclarait, en 2005, plus de 3 milliards de dollars de bénéfices (2,4 milliards d’euros).
Un profit issu, surtout, des 25 milliards de dollars de flux ayant transité entre les pays riches et les pays pauvres par son intermédiaire – l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) de la Tunisie (10 millions d’habitants).
Selon le Fonds monétaire international (FMI), les migrants sont la première source de financement extérieur des pays en développement. Ils ont envoyé, en 2005, plus de 160 milliards de dollars vers leurs pays d’origine ; une somme qui ne tient pas compte des transferts informels de type hawala dans les pays musulmans – une forme de transfert de gré à gré – ni d’autres mécanismes de compensation en Inde ou en Chine. Echappant à tout contrôle, ils permettent de verser une somme chez un commerçant qui dispose d’un correspondant dans le pays d’origine du migrant, ce correspondant remettant l’argent à une personne prévenue par téléphone.
A titre de comparaison, l’aide publique internationale au développement ne s’est élevée, en 2004, qu’à 79 milliards de dollars. La même année, dans les pays les plus pauvres, pour un dollar provenant de l’aide internationale, six étaient versés par les immigrés. En 2003, l’Inde, les Philippines et le Mexique étaient les premiers bénéficiaires de cette manne. Au Sénégal, les budgets des ménages sont constitués à 50 % par des versements de l’étranger.
WU surfe sur l’augmentation constante de ces flux. La société affiche près de 10 % de croissance par an, loin devant ses concurrents Travelex et Moneygram, aux commissions pourtant moins élevées. A Paris, Travelex propose un transfert de 250 euros pour 8 euros de commission, quand WU demande 24 euros. Pourtant, Travelex doit recourir, dans certaines régions, aux réseaux du géant WU, dont le secret du succès réside dans son implantation. Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, WU compte 1 000 agences, contre une dizaine pour Moneygram.
TRANSFERT PROHIBITIF VERS L’AFRIQUE
Ainsi, la firme est perçue comme « efficace, même si la commission est élevée », admet Adama Doumbia, un médecin d’origine malienne qui préside l’Amicale des Français d’origine africaine. Selon lui, les transferts de fonds ont généralement pour objet « la santé, la nourriture ou les réparations légères », mais prennent toute leur importance en cas d’urgence. « Lorsque les crickets sont passés, précise-t-il, j’ai envoyé de l’argent pour que ma famille puisse acheter une tonne de riz et de mil. »
Combien coûtent ces envois ? WU module en fait ses commissions selon les rapports de force locaux. Aux Etats-Unis, la concurrence et les pressions des organisations latino-américaines ont permis de réduire la commission de 20 % à 5 % des fonds en quinze ans. Mais le transfert vers l’Afrique reste prohibitif. « Western Union est très rentable grâce aux commissions », juge l’ambassadeur français Christian Conan, qui anime un groupe de travail sur le codéveloppement.
Pour se défaire de son image de conglomérat vivant de la misère du monde, WU s’active à promouvoir un profil humaniste. Il a ainsi largement célébré, en 2005, ses dix ans de présence en Afrique, distribuant à cette occasion des bourses universitaires et du matériel, en ayant pris soin, auparavant, de s’associer à des médias africains.
Face à cette emprise, certains « résistent ». Alhassan Burry préside Forim, un organisme qui regroupe, en France, 600 associations issues de l’immigration d’Afrique, d’Asie et des Caraïbes. « Le pseudo-mécénat de Western Union, l’aide au rapatriement des corps ou les prêts aux étudiants dans les pays d’immigration sont en fait des moyens pour étendre son hégémonie et se faire passer pour un acteur institutionnel, estime-t-il. Alors qu’il est une verrue qui ponctionne l’épargne des migrants et limite le codéveloppement à la seule consommation privée. »
« Western Union, c’est pour l’urgence, mais c’est de l’arnaque, explique Sékou Bathily, 34 ans, originaire de la région de Kayes, au Mali, qui vit dans un foyer de travailleurs à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Ceux qui utilisent souvent ce système sont généralement dépourvus de liens sociaux forts. » Son père, reparti dans son village de Gori Banda, l’avait fait venir en 1990. Aujourd’hui, Sékou Bathily dirige Bada France, qui gère l’épargne d’une trentaine d’adhérents originaires du même lieu. Grâce aux 10 euros versés tous les mois par chacun, l’association subvient aux besoins des familles au Mali, prend en charge les salaires des six enseignants de l’école qu’elle a fait construire en 2000 et finance le centre de santé communautaire.
Sur les fonds envoyés en commun au pays par Bada France avec une douzaine d’autres groupes de Maliens originaires de la région – jusqu’à 20 000 euros par passage, convoyés par des gens de confiance -, 80 % sont consacrés à la santé, à l’éducation ou à l’achat de nourriture et 20 % à des investissements collectifs tels que des puits. Le système de compensation est fréquemment utilisé, pour éviter les contrôles douaniers, les actes de banditisme « et les ponctions de Western Union », conclut Sékou Bathily.
Jacques Follorou