Emigration: La solitude des épouses d’émigrés -Comment les femmes sénégalaises gèrent l’absence de mari

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Leur époux est parti à l’étranger pour subvenir aux besoins de la famille. Depuis des mois, parfois depuis des années. Ces femmes restent alors seules avec les enfants et gèrent comme elles peuvent la lourdeur de l’éducation, la belle-famille, le manque d’argent et les exigences de la fidélité… L’exemple du Sénégal.

Lorsque Fatou [1] s’est mariée, elle savait que c’était pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse et la pauvreté, dans la santé et la maladie, pour aimer et chérir son mari jusqu’à ce que la mort les sépare. Mais ce qui a séparé cette Sénégalaise de son époux ce n’est pas la mort, mais une cruelle distance. Depuis huit ans, son amour vit et travaille aux Etats-Unis pour offrir une vie meilleure à sa famille.

Ils seraient nombreux à avoir quitté leur terre pour trouver du travail en Europe ou aux Etats-Unis. Et ce n’est pas toujours parce qu’ils n’avaient pas un emploi : le mari de Fatou a laissé son poste de policier pour rejoindre le pays de l’oncle Sam. « Nous avons recensé beaucoup de femmes dont les maris sont partis depuis cinq à huit ans. Je crois que l’on peut dire, en milieu urbain, que 15% à 20% des femmes sont dans cette situation », commente Youssou Touré, enseignant porte-parole de la Fédération générale des travailleurs du Sénégal.

Vivre avec des bouts de ficelle

L’exil de longue durée serait surtout fréquent en zone rurale. D’après les associations que nous avons contactées au Sénégal, les hommes envoient de l’argent à leur famille dans la majeure partie des cas. La fréquence varie en fonction des revenus. « Il m’envoie de l’argent tous les quinze jours ou tous les mois selon ses moyens. Ce n’est pas assez, mais il me dit que la vie est dure aussi aux Etats-Unis. Et puis, c’est le seul garçon de sa famille, il n’a que des sœurs. Alors il doit aussi aider ma belle-famille, qui n’a pas de moyens », explique Fatou.

Elle note que depuis son départ aux Etats-Unis, tout a terriblement augmenté. « La bouteille de gaz est passée de 950 FCFA à 2 700 FCFA et le litre d’huile de 450 FCFA à 750 FCFA », se plaint-elle. Dans ce contexte, cette mère de deux enfants peine à joindre les deux bouts. Jusqu’à récemment, elle faisait du petit commerce pour s’en sortir, mais, l’affaire n’étant plus rentable, elle a abandonné et se débrouille pour tenir le coup.

« La solidarité telle que nous la connaissons tend à disparaître. Or, le gouvernement ne fait rien pour ces femmes. Mais elles ne croisent pas les bras. Elles se mettent à travailler, se réunissent en groupements d’intérêt général et participent à des tontines », observe le syndicaliste Youssou Touré. « Certains hommes envoient l’argent à leur père ou à leur mère, qui décideront de combien ils doivent donner à leur belle-fille. Parfois, la belle-famille prend avec elle l’épouse mais la fait travailler comme une bonne à tout faire », souligne Khady Fall Tall, présidente de l’Association des femmes d’Afrique de l’Ouest.

Gérer le quotidien et les coups de blues

Tenir le coup en l’absence de son mari, qui lui aussi a démissionné pour partir en 2000 aux Etats-Unis, ce n’est pas le souci de Diaw [2]. Elle est cadre dans une société et gagne suffisamment bien sa vie pour ne pas souffrir financièrement. « Il envoie de l’argent tous les mois environ. Mais qu’il en envoie ou pas, cela n’a aucun effet », confie-t-elle avec aplomb.

Ce qui lui fait mal, comme à Fatou, c’est l’absence de l’être aimé. « Ce n’était pas prévu qu’il parte aussi longtemps, raconte-t-elle. Vraiment, je ne m’y attendais pas. Je gère seule mes deux enfants, mais son absence pose un réel problème. Lorsqu’ils rentrent de l’école, il me demandent pourquoi leur papa ne vient pas aussi les chercher et ils veulent savoir quand il va rentrer. Il répond toujours la même chose : il va venir. » Cette promesse, l’époux de Fatou la lui fait tous les ans.

Elle y croit, mais cela n’empêche pas les coups de blues. « Dans ce cas-là, je reste à la maison, je surveille les enfants, je fais la cuisine, je me change les idées en parlant avec d’autres femmes… », énumère Fatou. A-t-elle pensé à divorcer ? « Non, jamais. Il téléphone tous les mois ou tous les quinze jours et on plaisante beaucoup, comme on le faisait avant. Au niveau de nos relations, rien n’a changé : on ne se querellait pas, on ne se querelle toujours pas ! »

« Divorce par défaut d’entretien du ménage »

En revanche, pour Diaw, c’est l’inverse. Les disputes rythment les fréquents coups de téléphone, discussions par e-mails ou chats sur Internet. « La distance crée trop de frustration. Alors ça m’apaise de lui parler. Mais j’ai déjà pensé plusieurs fois à me séparer de lui. Je me demande toujours pourquoi je reste. En plus, j’ai appris par des rumeurs, qu’il m’a dit être fondées, qu’il voulait prendre une autre épouse : une femme qu’il a rencontrée là-bas et avec qui il a envie de vivre. Je lui ai opposé un « niet » catégorique », explique la mère de 37 ans qui se rend tous les ans aux Etats-Unis pour voir son mari.

La séparation. C’est l’option que certaines femmes choisissent lorsque leur conjoint ne donne plus signe de vie et ne transfère plus d’argent. « Elles demandent le divorce par défaut d’entretien du ménage car le contrat de mariage spécifie que le mari doit entretenir sa famille. Mais ce cas de figure est rare, d’autant que la majorité des femmes qui sont dans cette situation vivent pour beaucoup au fin fond du pays et ne connaissent pas leurs droits », explique l’avocat Cheikh Fall.

Des liaisons interdites qui se terminent par un infanticide

Le divorce est aussi la solution pour refaire sa vie. « Les villageoise que l’on épouse avant de partir pour des années n’ont pas conscience des privations physiologique et affective qui les attend », poursuit Khady Fall Tall. Certaines épouses esseulées finissent par prendre un amant. Pour retrouver la chaleur et de la tendresse d’un homme. En chair et en os. Une relation vécue dans le plus grand secret car l’infidélité d’une femme est très mal vue. Du coup, lorsqu’une grossesse naît de la liaison dangereuse, les futures mères cachent leur ventre porteur d’un enfant illégitime.

Dans la presse, on lit souvent des histoires terrifiantes concernant le fruit du péché. On parle régulièrement d’avortements ratés et d’infanticides destinés à laver ou éviter la honte d’avoir succombé aux plaisirs charnels avec un autre. « Souvent, les femmes écopent de dix ans de prison, au lieu de 20 maximum, parce que les juges compatissent à la peine de la femme et savent ce qu’elles traversent. Ils tiennent compte de circonstances atténuantes, comme sa solitude, si elle avait un complice, si elle est illettrée, si elle est mineur… De très bons avocats ont même pu acquitter leur cliente », raconte Cheikh Fall, qui a défendu de nombreux cas de ce type à ses débuts.

Pour Fatou et Diaw, prendre un amant n’est pas à l’ordre du jour. Elles expliquent que l’idée ne leur a même pas effleuré l’esprit. Ce qu’elles veulent, c’est retrouver l’homme qu’elles ont épousé et vivre à ses côtés. Jusqu’à ce que la mort les sépare.

[1] Son prénom a été changé

[2] Son prénom a été changé

Auteur: Habibou Bangré   

Seneweb.com

Posté   le 15 Jan 2007   par   Fatou, une

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