«MON FRÈRE était quelqu’un de bien. Il est venu en France pour me donner un rein et c’est moi qui lui avais demandé de rester pour ne pas être seule . Il est venu pour me sauver la vie, et c’est lui qui meurt. C’est comme s’il s’était sacrifié pour moi. » Ce jeune Malien de 29 ans est décédé vendredi après avoir sauté dans la Marne, en contrebas du pont de Joinville pour échapper à un contrôle de police à la gare RER de Joinville (Val-de-Marne). Hier, 400 personnes se sont rassemblées sous la pluie sur les lieux du drame à l’appel de Réseau éducation sans frontières (RESF) pour rendre hommage à la victime.
Baba était arrivé en avril 2004 du Mali. Il a 25 ans, est titulaire d’un BEP électricité. Par chance, il est compatible avec Maïmouna, aujourd’hui âgée de 40 ans, qui souffre d’une insuffisance rénale. Le jeune homme accepte de donner l’un de ses reins et se fait opérer en juin. « Lorsque je l’ai vu en consultation annuelle, il se portait parfaitement bien, il faisait du sport… » se souvient le professeur Christophe Legendre, chef de service de transplantation rénale à l’hôpital Necker à Paris, qui l’a fait venir d’Afrique pour effectuer cette transplantation.
Témoignage de sa Soeur Maimouna Traoré sur RTL
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Célibataire , Baba habite ensuite avec sa soeur dans un deux-pièces humide situé à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis). Il dort sur le canapé, effectue quelques petits travaux de ménage ou dans le bâtiment et joue au foot au Stade olympique de Rosny-sous-Bois, un club de 1re division de District de Seine-Saint-Denis. « Il adorait ça, c’était sa passion ! » se souvient Mahamadou, un ami que Baba connaissait déjà au Mali. Hier, les joueurs du club et leurs adversaires ont observé une minute de silence sur le terrain du stade Armand-Girodit et le numéro 2, porté par Baba, ne sera repris par personne jusqu’à la fin de la saison.
« Il ne savait même pas nager ! »
Mahamadou est encore sous le choc. C’est chez lui que la victime se rendait vendredi lorsqu’il a été contrôlé par les agents de la RATP et la brigade anticriminalité. Baba a son pass Navigo, mais pas de papiers. D’après sa soeur, son autorisation provisoire a expiré il y a un an et son renouvellement a été refusé, mais elle n’a jamais entendu parler de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière délivré en janvier par le préfet de Seine-Saint-Denis à l’égard de son frère. Le jeune homme n’avait pas peur d’être arrêté, selon ses proches. Il avait déjà été interpellé en septembre et en décembre, avant d’être relâché : « Je ne comprends pas pourquoi il a pris la fuite, ni pourquoi il s’est jeté dans l’eau. Il ne savait même pas nager ! reprend Maïmouna. Il m’avait dit : s’ils ne me donnent pas de papiers, je retournerai au Mali . » La colère se mêle à la tristesse : « Les policiers n’auraient pas dû le suivre, même s’il prenait la fuite… Il n’avait rien volé. Ils avaient l’adresse et auraient pu venir le chercher ici… » Des amis de la victime s’interrogent : « Pourquoi Baba a-t-il sauté ? Il a dû se sentir menacé », raconte l’un de ses coéquipiers de l’équipe de football.
D’après une source proche du dossier, le contrôle s’était passé normalement et les policiers n’étaient pas au contact de Baba lorsqu’il s’est jeté dans la Marne. Une enquête a été confiée à l’inspection générale des services, comme c’est systématiquement le cas lorsqu’il y a un mort. L’autopsie du corps devrait se dérouler aujourd’hui.
De violentes échauffourées ont éclaté hier, vers 5 heures, entre les policiers et les pensionnaires du centre de rétention administrative de Vincennes (XII e ). L’incident a eu lieu alors qu’un homme de 30 ans s’apprêtait à prendre l’avion pour le Mali après une décision d’expulsion. « Les hommes sont devenus ingérables », rapporte Pierre Willem, délégué syndical régional de l’Unsa-Police, qui évoque aussi une « possible réaction » à la mort du sans-papiers malien Baba Traoré.
Anne-Laure Abraham
Le Parisien , lundi 07 avril 2008