Ousmane, Sisoko, Issa, Mamadou, Kandioura… Derrière ces prénoms, une histoire. Celle de Maliens expulsés de France. Ils nous racontent la honte de rentrer au pays, et l’attente… pour retourner en France.
L’homme arrive à moto, le souffle court. Il s’installe, fébrile, dans la petite pièce de l’Association malienne des expulsés (AME, créée en 1996), à Bamako, où l’accueille le secrétaire de l’organisation. Parti en France en 2001 avec un visa touriste, Ousmane Cissé (*), 33 ans, y est resté pendant dix ans, sans papiers. Comme tous les autres, il avait fui le Mali pour tenter de trouver un travail et chercher une vie meilleure, parce qu’ « ici, même pour trouver un stage il faut être pistonné ». Interpellé par la police en revenant du travail, il a été placé en centre de rétention avant d’être expulsé en mai dernier. Ousmane fait partie des 288 Maliens expulsés en 2007 par la France, selon les statistiques officielles françaises. Un chiffre que conteste l’AME, qui a comptabilisé 479 expulsés par les vols Air France.
Rejet de la famille
Le retour est brutal. « Je n’ai pas un sou, toutes mes affaires sont en France, même ça, on me l’a prêté », lâche-t-il en montrant ses vêtements. En revenant au Mali, il espérait pouvoir compter sur le soutien de sa famille, à qui il avait envoyé la moitié de son salaire français tous les mois. Ce fut le contraire. « On m’a rejeté, dit-il amèrement. Ma mère me dit qu’elle en a marre de me donner de l’argent. Pour elle je suis devenu un poids. Je me sens rejeté. Quand je dis bonjour à mes frères, ils me tournent le dos. » Comme tous les autres expulsés maliens, Ousmane ne songe qu’à une chose : « Repartir ». En attendant, il reste chez sa mère, et tourne en rond. « Je ne fais rien de la journée. Je regarde la télé. Je n’en peux plus, il faut que je reparte, quitte à partir par la mer. Je préfère mourir que de rester ici », affirme-t-il.
Un échec et une humiliation
Face au rejet de la famille, pour qui l’expulsion est un échec et une humiliation, nombre d’expulsés refusent de revenir dans leur village d’origine, souvent situé dans la région de Kayes, d’où proviennent 80 % des Maliens de France. Ils préfèrent rester à Bamako, où ils espèrent trouver du travail. Souvent en vain. « Si je trouvais un boulot ici, je resterais, mais il n’y a rien ! », explique Mamadou Diarra, expulsé en avril 2005. Kandioura Diakité, lui, compte sur le consulat de France pour lui porter secours et lui permettre de revenir en France. Il y a vécu pendant 29 ans avant d’être expulsé en juillet 2007 – sa carte de séjour était périmée. S’il refuse de retourner dans son village, c’est avant tout pour pouvoir « partir sur-le-champ » au cas où le coup de fil du consulat surviendrait. Il ne travaille plus depuis son retour et a pris une location en attendant ce coup de téléphone qui l’obsède. Dans la pièce minuscule, un matelas est posé par terre, à côté d’un transistor, d’un bidon d’eau d’une théière. « Je voulais faire de petits travaux, mais ils peuvent m’appeler n’importe quand, donc je ne commence rien », s’excuse-t-il en levant les yeux sur les murs décrépis.
Rares sont ceux qui retrouvent un emploi
Rares sont les expulsés qui ont pu retrouver un travail. Issa Koné en fait partie. Mais, issu d’un milieu aisé, ce jeune Malien expulsé en 2007 a pu bénéficier des relations professionnelles de son oncle pour décrocher un emploi dans une société d’aéronautique. Pour les autres, la réinsertion est difficile. D’autant plus que rien n’est prévu pour eux : le ministère des Maliens de l’extérieur affirme ne rien pouvoir faire puisqu’ils sont de retour chez eux. Il existe bien une « cellule de réinsertion sociale », mais, faute de moyens financiers, elle se résume à un simple coup de fil à un potentiel employeur.
Une aubaine pour les passeurs
Faute de perspectives, Mamadou Diarra, désabusé, dit vouloir économiser très bientôt pour obtenir un nouveau visa par des passeurs. C’est l’effet corollaire du durcissement des lois sur l’immigration : le marché parallèle est florissant. Reste à trouver 5.000 € pour obtenir le précieux visa. * Le nom a été changé à sa demande.
Juliette Broissand Source: Le Télégramme