« Il a souffert, mais il est mort dignement », a indiqué à l’AFP son assistant Clarence Delgado avant de préciser que M. Sembène était « malade depuis décembre » et qu’il était décédé à son domicile.
Né en janvier 1923 dans une famille de pêcheurs à Ziguinchor, en Casamance, Ousmane Sembène était un autodidacte de talent. D’abord écrivain, il se lance dans le cinéma au début des années 1960 afin de s’adresser plus facilement à des populations souvent illettrées et ne parlant pas toujours français.
« Monté » à Dakar dans les années 1930, il exerce d’abord plusieurs petits métiers et traverse maintes épreuves, en Afrique et en Europe, avant d’enfin pouvoir s’installer dans un fauteuil de réalisateur.
Il est notamment mécanicien, charpentier, maçon, « enrôlé contre (son) gré » comme tirailleur lors de la Seconde Guerre mondiale, ouvrier, docker. Son premier roman, « Le docker noir », s’inspire d’ailleurs de cette expérience, suivi par d’autres: « O pays, mon beau peuple », « Les bouts de bois de Dieu », « Le Mandat »…
Conscient que « l’image est plus accessible » que les livres, Ousmane Sembène suit ensuite une formation à l’institut de cinéma VGIK de Moscou et se lance dans ce qu’il appellera du « cinéma forain ».
« Je peux aller au village et présenter le film. Car tout peut être filmé et transporté dans le plus profond village de l’Afrique », avait-il expliqué en 2005 à une journaliste de l’AFP.
De « Borom sarret » (1963), racontant une journée dans la vie d’un pauvre transporteur, à « Mooladé », plaidoyer contre l’excision et hommage aux femmes, en passant par « La Noire de… » (1966), « Le Mandat » (1968), « Ceddo » (1976), sa filmographie montre un « cinéma progressiste profondément populaire », affirment les critiques du septième art.
Son premier long-métrage, « La noire de … », est considéré comme le premier long-métrage négro-africain.
Au lendemain des indépendances, il est l’un des premiers artistes africains à prévenir des dangers de dérives de l’ère post-coloniale, et à appeler à « un changement radical des politiques africaines ».
« L’Afrique perd un de ses plus grands cinéastes » et un « fervent défenseur de la liberté et de la justice sociale » a déclaré le secrétaire général de la francophonie et ancien président sénégalais Abdou Diouf.
Pour le ministre de la Culture malien, Cheick Oumar Sissoko, également cinéaste et proche d’Ousmane Sembène, « l’Afrique du cinéma a perdu un de ses phares ».
« L’homme n’a jamais fonctionné qu’en Afrique et pour l’Afrique », affirme M. Sissoko qui assure que M. Sembène « a amené l’Afrique à comprendre son identité et à se construire un horizon culturel ».
M. Sissoko salue notamment « l’examen de nos sociétés africaines » de celui qu’il considère comme « la référence » du cinéma africain.
Cheikh Ngaïdo Ba, le président des Cinéastes sénégalais associés (CINESEAS) déplore la « perte d’un grand maître ».
« Pour lui le cinéma était la meilleure école pour raconter des histoires », explique-t-il.
Ousmane Sembène a été récompensé à deux reprises au festival de Venise. Il a reçu le prix de la critique internationale pour « Le mandat » en 1968, et le prix spécial du jury en 1988 pour « Le camp de Thiaroye », un film retraçant la violente répression de tirailleurs sénégalais réclamant leur solde par l’armée française.
Il a également reçu le prix « Un certain regard » lors du festival de Cannes en 2004 pour son film « Moolaadé », un plaidoyer contre l’excision.
Il était membre fondateur du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), organisé tous les deux ans.
En 2005, M. Sembène affirmait avoir « un coeur de 20 ans ». « Un militant reste jeune toute sa vie », assurait-il.
Ousmane Sembène doit être inhumé lundi à Dakar.