Une date : 1886. Un homme : Mamadou Lamine Dramé. Entre l’évocation du nom de ce résistant et celle de la présence française, il y a le siège du Fort de Bakel trois jours durant. La fierté qu’on tire de ces morceaux d’histoire a poussé à la réhabilitation des sites historiques, à l’émergence d’un type de bénévolat culturel. Celui-ci va au-delà du Fort et s’étend à tout le patrimoine culturel de Bakel dans des rites comme la circoncision et des activités traditionnelles comme la poterie. Aujourd’hui, le maître-mot est « revalorisation » après la reconstruction de l’édifice en 1818-1820 sur les ruines de l’ancienne forteresse bâtie entre 1714 et 1715. Reportage dans cette commune de Tambacounda chargée d’histoire.
Les stigmates du temps sont passés par là. Entre deux siècles et l’avènement des indépendances, la vieille bâtisse a changé de fonction. Mais la courbe du fleuve, elle, est restée. Le cours ceinture encore le Fort de Bakel. Le niveau de l’eau est plusieurs mètres en dessous du site historique, au bas d’une pente jalonnée de pierrailles et d’arbustes. De loin, il ressemble à une immense silhouette. De près, le Fort Faidherbe – c’est son nom – se présente en deux étages reliés par une passerelle. Tout le long de la muraille épaisse qui en fait le tour, figurent encore les meurtrières où, jadis, les soldats plaçaient leurs fusils. Souvenirs d’autres temps, époque où il fallait mobiliser des hommes pour protéger les navires des compagnies commerciales. A partir de Bordeaux ou de Marseille, ces embarcations remontaient le fleuve vers Matam ou Podor. C’était le temps des verreries, du fer, du sucre qu’on échangeait ici contre de l’or et d’autres produits locaux.
Fort René Caillé de Bakel
De cette appellation » Fort de Bakel « , il ne reste que la nostalgie héritée de l’histoire. Les lieux abritent désormais les services de la préfecture. Mais surtout, le » vieux guerrier » concentre en lui tous les espoirs de donner un coup de fouet au tourisme dans ce département. Au cœur d’un tel challenge, un homme. Il s’appelle Ibrahim Damian Bathily. Ce septuagénaire, ancien instituteur, est un passionné de culture. D’histoire aussi. » Le fort commence à entraîner des retombées du point de vue touristique. Durant le rallye Paris-Dakar, les gens sont très heureux de découvrir notre potentiel culturel. C’est une période durant laquelle ce lieu est très fréquenté « , explique-t-il. Il se prête volontiers au jeu des questions-réponses. Sa joie, c’est de constater que le défi est en passe d’être relevé. Ce qui n’était pas du tout évident au début. » Un jour, quelqu’un m’a dit que Bakel est le plus beau coin du monde. Nous devons une telle reconnaissance à la richesse de notre patrimoine culturel « , soutient-il avec une nette satisfaction. La remarque consacre une action étalée sur dix ans.
Retombées d’une attaque – En 1989, ont eu lieu les premières Journées culturelles de Bakel. A la même date, ont été entrepris les travaux de réhabilitation du Fort destinés à lui donner un aspect » respectable « . Les crevasses ont été refaites au ciment par une équipe envoyée par le ministère de la Culture. Des projecteurs ont été installés pour simuler les sons et lumières en des occasions exceptionnelles. Le manège a été renforcé par l’éclairage des fortins. A l’intérieur comme à l’extérieur, les murs ont accueilli d’importantes couches de peinture. D’autres diront par devoir de mémoire. » Le principal événement à l’existence de ce Fort est l’attaque de Mamadou Lamine Dramé en 1886. Ce n’était pas un brigand, mais la réalité c’est qu’il voulait islamiser la zone allant du Boundou à la Gambie. L’Almamy du Boundou s’y est opposé et a été contraint à chercher refuge auprès de ses alliés français à la tête desquels se trouvait le capitaine Le Franc « , selon M. Bathily. Le centenaire de cet événement, qui avait divisé Bakel en pro et anti-Dramé, a été fêté en 1986.
Point d’histoire et promenade à travers les vestiges d’une époque lointaine dans le temps. Ce qu’il en reste aussi et que Bakel tient à montrer au monde, c’est le pavillon René Caillé. Entre ce site et le Fort, se niche actuellement un vieux quartier. Ce vaste ravin où ont été édifiées des habitations met en relief un grand » chapeau » de roches ocre et de tuiles sur la colline et à plusieurs mètres de là. » Lui aussi était tombé en ruine. Le plan a été remis à un architecte qui a tout repris depuis le bas. Il n’a pas été construit par René Caillé comme beaucoup le pensent. Il n’était que de passage au cours d’un voyage qui devait le mener à Tombouctou en 1824. En 1989, lors des évènements sénégalo-mauritaniens, l’armée sénégalaise en avait fait un poste d’observation pour la rive droite. Le pavillon avait aussi abrité un Centre de lecture pour enfants en 1988 « , explique, pour parler de son utilité, notre septuagénaire et guide du jour. L’endroit était occupé par les gendarmes et anciens fonctionnaires coloniaux. Du fait de beaucoup d’accidents qui s’y sont passés, on en parla même comme d’un lieu hanté. Aujourd’hui, les trois tours qui l’entourent restent visibles. Au Sud, le Mont aux Singes, au centre la tour Joris et au nord, la tour des Pigeons que le développement de l’habitat a fait se retrouver au beau milieu d’une maison. Dans le cimetière militaire, les épitaphes, anonymes à un moment du fait de l’usure du temps, ont été refaites par l’armée sénégalaise.
Revalorisation du Fort de Bakel
Chants et Mysticisme – Ici, le silence enveloppe l’atmosphère, contrairement au Fort rythmé par le ballet de véhicules de service, d’agents de la préfecture et de l’administration pénitentiaire. Dans une pièce, on fait le point à propos des missions dépêchées dans certaines localités. Quelques hommes sont penchés sur leurs dossiers. On est loin de soupçonner l’existence d’un musée en ces lieux. Une pièce isolée, fermée à clef, n’est ouverte que lorsqu’un visiteur se présente : un journaliste, des touristes et des élèves préparant un exposé. Ce n’est pas un musée reconnu par l’Etat. C’est le fruit du travail d’une association collaborant avec la municipalité de Bakel, qui, elle, est jumelée à une structure associative française. Au-delà du Fort, du pavillon René Caillé, des tours, du cimetière militaire, c’est cet endroit, pas du tout vaste, qui sert de laboratoire à la revalorisation de la culture bakeloise. » La nécessité de la revalorisation a été sentie après les premières Journées culturelles. Après des recherches aux Archives nationales, d’enquêtes faites auprès des populations, nous en avons conclu que le département recelait un patrimoine riche et varié. Nous avons mis sur pied l’Association pour la Revalorisation de la Culture à Bakel (AREVAC) » se souvient M. Bathily. Les traditionalistes ont été mis à contribution sur des thèmes comme la circoncision. Ici par exemple, ce thème, en lui-même, est riche en significations sur le plan culturel. Tirés du cercle familial, réunis hors du village, les initiés sont sous la protection d’un » bao » ( » selbé » chez les wolofs). Et ce dernier est tenu d’avoir des connaissances en sciences occultes pour assurer la protection mystique de ceux qui veulent franchir les frontières du monde des hommes. Ont aussi lieu des séances de chants, de devinettes, des luttes de clans, etc. » Cette partie de notre patrimoine culturel était en voie de disparition « , rappelle notre interlocuteur. Sur la même lancée, sont organisées des expositions sur la poterie locale. Mais les dernières découvertes et non des moindres, ce sont des scories qui, à en croire M. Bathily, montreraient qu’il y avait le traitement du fer dans la zone et ceci bien avant l’arrivée des Français et le siège du Fort, trois jours durant, par Mamadou Lamine Dramé. Celui-là même qui est désormais dépeint, non pas comme un envahisseur ou un brigand opérant sur la courbe du fleuve, mais comme un résistant parmi les fils de cette terre accidentée. Une terre aride mais qu’arrose aujourd’hui une fierté tirée du passé. Les stigmates du temps, n’ont, au moins, pas tué ce sentiment bien ancré chez les Bakélois. A la grande joie des militants de la Culture.
Habib Demba FALL (Le Soleil)