Les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique bénéficiant d’accords tellement préférentiels avec l’Union européenne qu’ils n’ont cessé de s’appauvrir depuis qu’ils les ont signés sont sommés de signer de nouveau une mouture européenne devant les lier par « libre-échange » à cette région opulente du monde.
Les fameux Accords de Partenariat Economique. Un enjeu que tous les pays d’Afrique semblent prendre au sérieux, brusquement et avec une poussée d’urticaire généralisée, la date butoir pour obtempérer à l’UE étant fixée au 31 décembre 2007. Une date pourtant connue depuis des années …
Entre 1975 et 2000 les relations économiques liant les échanges africains et européens étaient régies par un système dit de préférences tarifaires, sur le papier, faisant bénéfice à l’Afrique des exemptions et réductions de droits de douanes les plus avantageux au monde à l’entrée de l’Union Européenne, assortis de plus d’aide au développement.30 ans plus tard les économies africaines dotées de tant de « préférences » ont dégringolé le plus vite et le plus loin ni comparativement aux autres régions du monde ; elles sont au plus bas dans la réalité existentielle humaine, vidées de l’essentiel, exsangue, bouffées par une dette criminelle et fantôme, comptable, que les peuples n’ont jamais ni consentie avalisée démocratiquement ni encore moins vue se transformer en biens collectifs durables.
L’Union européenne qui a continué sa construction sans rien demander à personne, surtout pas aux Africains qui s’obstinent dans la démarche contraire, démantèle l’ancien système tarifaire qui lui était avantageux pour un autre qui lui sera au moins aussi avantageux -utilitarisme oblige- en imposant un accord de libre-échange à l’Afrique, suivant des modalités processuelles codifiées par elle.
Les effets mécaniques d’un accord de libre-échange sont ce qu’il y a de plus évident pour les Africains placés en situation de cumuls de handicaps et d’asymétrie historique aggravée : prédation des ressources africaines, paupérisation accrue et recolonisation du continent par l’économique. Après les PAS, les privatisations, les dévaluations, cet accord viendrait donner le coup de grâce à la résistance des peuples face au procès de leur expropriation de fait. La loi des multinationales à l’heure du capitalisme financier va réduire les pays à de simples actifs financiers cessibles, c’est déjà le cas pour les soi-disant dettes, et dépecer les pays de l’intérieur -privatisations- et de l’extérieur par le désarmement tarifaire qui interdira aux Etats de protéger leurs économies.
La situation des agriculteurs africains est la caricature de cette mascarade à la libéralisation, puisque les Africains auront en face d’eux des concurrents à la productivité structurelle plus élevée en sus des subventions dont ces derniers bénéficient depuis des décennies et qui leur ont permis des investissements et une assise industrielle difficile à atteindre par ailleurs à moyens disproportionnément inégaux. Rajoutés à cela l’ancrage monétaire colonial du franc CFA à l’Euro qui surestime les produits africains et la cause des filières agro-industrielles africaines serait entendue à la signature des APE. L’économiste libéral et prix Nobel Joseph Stiglitz ne s’y était pas trompé qui avait considéré publiquement les APE défavorables aux Africains.
Après les 30 ans de PAC, ACP, subventions, soutiens formels et informels aux producteurs européens, ceux-ci se sont fortifiés en infligeant des pertes inéquitables, endettements et manques à gagner aux économies africaines. Ce volet de réparation n’est tout simplement pas abordé dans les débats. Pas même par les Africains, l’intérêt d’avoir des centres de recherche d’élite payés pour servir le bien commun et pas les prébendes groupusculaires ici encore coule de source. Le ridicule de la situation est dépassé lorsque souvent les pays Africains s’en remettent aux simulations des centres de recherches … européens [payés et mandatés par l’Europe !] pour évaluer le bien fondé sur leurs économies des politiques promues par l’Union européenne. Du grand art.
Toutes les économies du monde protègent leurs économies par divers instruments plus ou moins avouables. Les économistes admettent en général que les industries naissantes ou dans l’enfance jouissent de protections ciblées. Dans la pratique les secteurs stratégiques intensifs en emplois, à forte précarité, les industries sénescentes également. Le libre échange tarifaire n’exclut pas le protectionnisme qui passe désormais par l’expertise des normes sanitaires, industrielles, administratives changeantes qui limitent les flux jugés menaçants pour des économies officiellement ouvertes mais concrètement fermées. Faute d’avoir investi dans ce genre d’outils, là encore l’Afrique ne pourra donner la réplique.
La tension autour des APE est surtout un révélateur des faiblesses et inconséquences africaines coupables, étant donné qu’il n’y aucun intérêt à revenir sur les politiques de recolonisation de l’UE qui sont considérées comme constantes, données par l’histoire et le présent des relations UE-ACP : pas d’approche unitaire africaine, des pays signent ou négocient les APE de façon bilatérale (Ghana, Côte d’Ivoire, …) alors qu’ils sont tenus par des accords régionaux africains concurrents et incompatibles -Cdeao, Cemac, Sadc, Comesa, …
La SADC et l’Afrique australe ne sont pas en ordre de marche et les unions régionales vacillent. L’impréparation règne, aucune vision stratégique de l’évolution des grands ensembles économiques n’apparaît. Les comportements absurdes de cavalier seul resurgissent, chacun croyant marquer l’histoire de son insignifiante pierre, invisible à l’œil nu. Me Wade, qui a torpillé plusieurs actions collectives africaines, opposant son plan Omega françafricain à la Renaissance africaine de Thabo M’Beki -pour finir par accoucher d’un rien de rien, le Nepad-, qui a signé d’accords de co-développement facilitant l’expulsion d‘Africains d’Europe, se prononçant contre les réparations coloniales, … fait illusion en refusant ostensiblement les APE au nom de l’Afrique.
Sans concertation avec les autres chefs d’Etat de même diktat que lui. Le même a dégradé une démocratie à la quelle les Africains se raccrochaient comme un des modèles non abouti mais contrebalançant les Gnassingbé Eyadema et consorts, au mépris des peuples tente de se trouver un dauphin et successeur en la personne de … son fils ! Contre les APE en attendant un os de la Françafrique, on a retenu la leçon de l’immigration choisie.
Les APE sont un hors jeu et une erreur sur toute la ligne dans l’orientation des échanges africains au XXIe siècle occidental. Le plus important est de travailler aux intégrations régionales, mal appliquées malgré une batterie de textes, et de trouver un positionnement stratégique gagnant vis-à-vis des grands blocs comme l’Asie, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Venezuela en arbitrant entre projets industriels, financiers et commerciaux, sans oublier les assistances techniques intra-africaines, Sud-Sud, l’amélioration du capital cognitifs. L’industrie non redécouverte de la culture matérielle africaine est et reste un secteur capable de démultiplier jusqu’à l’inimaginable les performances du continent, mais une élite aliénée ne saurait y voir que folklore et muséographie…