Deux mois après avoir été interné aux Urgences de l’hôpital de Fann, Abdou Dramé, 19 ans, jeune supporteur de l’Asc Kussum, a poussé, hier, son dernier souffle. Il avait, selon ses proches, «été atteint par une balle à blanc, tirée par la police au cours d’incidents survenus lors du match opposant Kussum à Sandial. Sa famille a saisi la justice.
C’était le dimanche 18 septembre 2011, une éternité… La Zone 1 de Dakar organise, dans le cadre de ses activités de Navétanes, une rencontre entre l’Asc. Kussum et Sandial. La rencontre de football finit en queue de poisson, lorsque Sandial, alors menée par 1 but à 0, égalise. Les supporteurs da Kussum contestent le but, au motif qu’il y avait un hors-jeu non sifflé par l’arbitre. Sous l’emprise de la colère, ils réagissent vigoureusement en envahissant l’air de jeu pour manifester leur courroux. La rencontre est interrompue, suite aux actes de violences qui s’en sont suivis.
Quelques minutes après le début des incidents, les éléments du Groupement mobile d’intervention (Gmi), préposés à la sécurité, interviennent de façon musclée pour rétablir l’ordre. «Les policiers ont tiré plusieurs grenades lacrymogènes en direction des supporteurs», raconte Amidou Dabo, Vice-¬président chargé du Sport et de la Culture de l’Asc Kussum. Sous l’effet nocif des lacrymogènes, les supporteurs des deux camps vident le stade et s’engouffrent dans les étroites ruelles de la Médina. Ils sont poursuivis par les éléments du Gmi qui quadrillent la zone. Dans la foule des manifestants, se trouve un jeune supporteur de l’Asc Kussum : Abdou Dramé, 19 ans. Désaxé dans sa course, le jeune supporteur s’affale sur le goudron, à quelques mètres de son domicile. Il est secouru par la foule qui réalise qu’il avait été «atteint par une balle à blanc, à hauteur de la nuque». Il est tout de suite acheminé à l’Hôpital Principal de Dakar. Où, faute de place, Abdou Dramé est orienté vers l’hôpital de Fann. Il est maintenu en observation, mais son état de santé va de mal en pis et il finit par entrer dans un coma profond, très profond de deux mois. A en croire ses proches, «Abdou Dramé a, durant son séjour à l’hôpital de Fann, subit une opération, au cours de laquelle deux billes noires sont extraies de sa tête». «L’opération qu’il a subie nous avait permis d’espérer. Il discutait avec les visiteurs, riait par moments et faisait des clins d’œil à ses amis. Mais hélas, il a plongé de nouveau dans le coma», confie son oncle, Saryia Maréga.
«La maman de la victime revient de La Mecque mercredi»
Le regard hagard, il se souvient des derniers moments passés en compagnie de son neveu. «Quand je suis allé le voir pour la dernière fois, j’ai perdu tout espoir. Parce que le médecin ne m’avait pas caché que son état était devenu très critique. Il m’a expliqué qu’ils ont tout fait pour le sauver. C’est pourquoi, je n’ai pas été surpris d’apprendre qu’il est décédé hier vers 5 heures du matin. Et c’est au moment où le muezzin appelait les fidèles à la prière que Abdou s’en est allé discrètement», témoigne son oncle, visiblement très affligé. «Abdou est mort à la fleur de l’âge, sans voir son père qui se trouve au Congo, ainsi que sa mère, Mariam Maréga, partie à La Mecque», avise d’un ton peiné Saryia Maréga. Qui renseigne que la maman de la victime sera de retour à Dakar, mercredi prochain. En lieu et place de la joie, elle aura droit à un accueil triste, très triste…
La police soutient n’avoir jamais été avisée d’un tel incident
Du côté de la police, le commissaire central Harona Sy, interpellé sur la question, a tout d’abord présenté ses condoléances à la famille éplorée, ainsi qu’aux membres de l’Asc dont le défunt était membre. Cependant, le commissaire Sy a dit toute sa surprise d’apprendre une telle information. «Il est toujours regrettable de perdre un proche, mais je peux vous assurer que c’est vous qui m’apprenez cette nouvelle.» Poursuivant, le patron de la sécurité régionale a dit ne pas comprendre que de tels faits se soient produits en septembre et que, depuis lors, «ni la famille du défunt, ni les dirigeants de l’Asc, encore moins les responsables de l’Odcav ne saisissent la police». Mieux, le commissaire Sy a expliqué, si toutefois les faits se sont passés comme articulés par les proches du défunt, «le minimum aurait été de saisir ceux que vous incriminer, vous ne le faite pas, vous attendez deux mois et à la suite d’un décès, pour accuser explicitement». Aussi, a-t-il relevé que la police n’utilise pas des cartouches à blanc, dans le cadre de ses activités de maintien de l’ordre public, mais plus tôt « des grenades lacrymogènes». Informé que les proches de la victime ont saisi la justice à cet effet, le commissaire central a indiqué «qu’en tant que citoyens, ils sont dans leur bon droit de saisir la justice qui tranchera en disant le Droit. La police répondra valablement à toute injonction, si elle est interpellée».
A sa suite, le colonel Alioune Ndiaye de la Cellule de communication de la police a quasiment embauché la même trompette. «C’est vous qui m’apprenez cet incident ayant coûté la vie à un supporteur.» Il a, en sus, informé ne pas être en mesure de réagir, car ne maîtrisant pas les contours de cette affaire.
SARYIA MAREGA, ONCLE DE LA VICTIME, COMPTE SAISIR LA JUSTICE «Nous avons déposé une plainte et nous irons jusqu’au bout»
«Je ne peux pas comprendre que l’on utilise des balles à blanc pour disperser une foule. De plus, Abdou a reçu deux balles à la tête, vous imaginez ? Cela veut dire qu’on avisé sur lui et certainement à bout portant. Faire cela à un enfant de 19 ans, c’est grave», se désole Saryia Maréga. La bave à la bouche, la colère à la gorge, il soutient : « Les balles à blanc ne transpercent certes pas le crâne, mais les billes peuvent s’y loger. Même si Abdou avait survécu, sa vie n’aurait plus de sens.»
A la suit, de l’incident, il assure que la famille avait déposé une plainte auprès du Procureur et à la Division des investigations criminelles (Dic). «Nous comptons poursuivre la procédure jusqu’au bout. Un rendez-vous avec le Procureur nous a été fixé pour mercredi prochain. Et l’autopsie sera effectuée d’ici là», assure-t-il. A l’en croire, ce n’est qu’à la suite de toutes ces procédures, que la famille va inhumer le défunt. Saryia Maréga dit reconnaître que, les médecins ont tout fait pour sauver son neveu. Mais, précise-t-il, il y a un fait important qu’il ne peut taire. «Au niveau de l’hôpital de Fann, le certificat médical nous a été refusé. On nous l’a délivré, il y a juste cinq jours, c’est-à-dire le 15 de ce mois. On a dû menacer le médecin pour qu’il nous délivre, ce document capital. Un acte pareil n’est pas normal, car ce certificat médical devrait nous être remis dès le lendemain des faits», révèle-t-il.
AMIDOU DABO, VICE-PRESIDENT CHARGE DU SPORT ET DE LA CULTURE A «KUSSUM » « Quand les préposés à la sécurité mettent les populations en situation d’insécurité, ça devient très inquiétant»
Amidou Dabo, vice-président chargé du Sport et de la Culture de l’Asc «Kussum», trouvé au niveau de la maison mortuaire, n’a pas mis de gants pour fustiger les faits. Il a tout d’abord précisé que ces faits sont récurrents à la Médina. «Lorsqu’un match de football de Navétane est programmé au stade Iba Mar Diop, quelles que soient les origines de ses équipes, leurs supporteurs sont contraint de passer par la Médina. Et lorsqu’une rencontre est émaillée d’incidents, la police tire des grenades lacrymogènes pour les disperser, mais ce sont des habitants du quartier qui en pâtissent, même s’ils ne sont pas concernés. » Dénonçant avec la dernière énergie les incidents qui ont coûté la vie au jeune Abdou Dramé, ce responsable de l’Asc Kussum a argué que «la police doit arrêter de tirer des balles à blanc, « dans le cadre des services de maintien de l’ordre». A l’en croire, «ils peuvent à la limite utiliser des grenades lacrymogènes afin de disperser les foules qui manifestent». Sur le même registre, il a rappelé :, «I1s (les policiers) sont chargés d’assurer notre sécurité, mais lorsque ces préposés à la sécurité mettent les populations en situation d’insécurité, allant, comme c’est le cas avec cette affaire, jusqu’à mettre nos vies en péril, ça devient très inquiétant.»