Confrontés à la pénurie des produits à grande consommation comme le gaz, le riz et autres denrées de première nécessité, les ménages sénégalais sont au bord de la rupture. Un véritable « parcours du combattant » pour disposer aujourd’hui une bombonne de gaz. Des journées d’attente pour un sac de riz. C’est là quelques photos de la misère que vivent les familles depuis quelques semaines.
Le long de la route de Rufisque, en direction de Mbao, plusieurs dizaines de personnes, des femmes et de jeunes filles, des garçons et des pères de famille, une ou deux bouteilles de gaz aux mains, prennent d’assaut le chemin des dépôts de gaz. Ils recherchent tous du gaz. « Nous revenons bredouilles de l’usine d’emplissage ; nul ne peut définir cette situation. Nous sommes vraiment fatiguées. Depuis plus d’une semaine, nous errons à la recherche de gaz. Nous sommes devant ce dépôt Lobou Mame Diarra sans résultat », a souligné Fatou Ndiaye en sueur, la bouteille de gaz à la tête.Un peu plus loin, dans l’impasse longeant la zone franche industrielle vers l’usine d’emplissage de Total Gaz, des jeunes garçons d’une quinzaine d’années d’âge font le réquisitoire du régime de Maître Abdoulaye Wade. Cheikh Tidiane Seck, une bombonne de gaz chargée de 5 kg à la main, s’arrête pour vider sa bile verbale. Agé de 14 ans et originaire de Yeumbeul, il a révélé qu’il a cherché, avec ses amis depuis quatre jours, sans succès. « Nous ne sommes pas contents car Abdoulaye Wade n’a pas fait ce qu’il avait promis. Aujourd’hui, le gaz et le riz sont introuvables. L’eau et l’électricité insuffisantes. » C’est avec beaucoup de difficultés que nous avons obtenu ces bouteilles », déclare-t-il d’un air préoccupé.
Sa copine Mame Diarra Ndiaye ne dit pas le contraire. « Depuis ce matin, nous sommes à l’usine. Nous sommes allés presque un peu partout durant les jours passés. Nous venons de Yeumbeul, et nous devrons vite rentrer », fait-elle. Il est déjà 18 heures. Plusieurs femmes et des enfants venus pour le compte de leur maman font la navette entre la station Touba Oil, Lobou Mame Diarra et Total Gaz, les seuls points où se rendent les populations d’autant que les dépôts et les boutiques de quartier sont vidés. Fatou Binetou Diop vient de la légion de Gendarmerie d’Intervention (Lgi). Elle semble très pressée d’arriver chez elle avec sa nouvelle trouvaille. « C’est depuis cinq jours ma bouteille s’est épuisée. Mais c’est aujourd’hui que j’avais décidé de venir en chercher et j’ai la chance », se ravit-elle. Pour ce qui le concerne, Landing Bodian, âgé de trente ans, est serein. Il est persuadé qu’il trouva son gaz et n’a pas d’ailleurs perdu son sourire, même si cette situation ne l’enchante guère. « Depuis deux jours, je suis ici. C’est très dur et très éprouvant. Je devrai en ce moment être en train de récupérer, mais je suis obligé de venir faire la queue pour obtenir une bouteille », déclare-t-il tout en notant que grâce à la mode, le charbon ne peut plus se substituer au gaz.
Ibrahima Traoré, immigré malien, restaurateur au garage de Rufisque estime que « Cette situation est très mauvaise pour nous restaurateurs. Nous en souffrons beaucoup. Non seulement, le charbon ne peut pas faire notre affaire, mais il est introuvable. Nous ne pouvons pas en avoir une quantité suffisante », regrette-t-il. Selon lui, le Mali ne connaît jamais ces sortes de rupture en approvisionnement de gaz. Alors que le butane vient des ports de Dakar ou d’Abidjan.
La couleur limite les choix
Dans une autre mesure, la couleur de la bouteille est un élément commercial très relevé par les fournisseurs de gaz. À chaque usine ses propres bouteilles. Alors, quand il faut les changer, l’on change pour ceux qui emmènent la bouteille qu’il faut, celle de leur label. Beaucoup de femmes, arrivées à bout de la queue constituée, se sont vues refuser le service de l’échange. Une vieille dame a juré qu’elle a été éconduite par ailleurs avec sa bonbonne rouge. Elle fait le guet devant la porte de Lobou Mame Diarra. Elle déplore avec beaucoup de regret ce qu’elle appèle le népotisme des ouvriers de l’usine. « Ils laissent passer les propriétaires des voitures à qui ils vendent sans s’occuper de nous. Nous avons passé la journée sous le soleil. Et nous avons vu des gens venir tout de suite et ressortir avec une bouteille chargée. C’est une question de népotisme. Ils vendent seulement à leurs amis et parents », dit la vieille dame peulh.
Les boutiques de quartier, principaux points de vente des bonbonnes de gaz ont épuisé leur stock depuis quelque temps. La matière est devenue si rare que certains n’hésitent plus à déclarer qu’ils l’auraient acheté à n’importe quel prix pourvu qu’ils l’aient vu. La pénurie de gaz alimente les causeries en banlieue. Tout le monde se lamente de cette situation jugée incommode et anormale.
Intrigue au foyer
La même situation est observée dans la distribution du riz. Les boutiques et les magasins ont épuisé les stocks depuis plusieurs semaines. Les rares sacs disponibles sont acquis à des prix époustouflants. Le sac de 50 kg est vendu dans certains magasins à 16 000 Fcfa ou plus. Certains boutiquiers ont juré de ne pas y toucher jusqu’à nouvel ordre. Au moment où les commerçants soulignent qu’ils ne peuvent pas vendre à perte, le gouvernement ne semble pas évaluer l’ampleur du désespoir des nombreuses familles dépourvues de leur plat de riz à profusion et de leur gaz pour bouillir le fameux « ataya » (thé) après le repas.
L’image d’un Sénégal en prend forcément un coup. Et du coup, les pères de famille ne savant plus à quel saint se fier s’en remettent à Dieu. Il ne peut pas y avoir de journée sans délestage. Alors que des rumeurs font état de l’arrivée d’une cargaison en gaz, la question dans toutes les lèvres est de savoir si elle pourra satisfaire la demande actuelle exacerbée par la longue pénurie. Pour prouver la véracité d’une telle information, notre tentative de joindre l’Association Sénégalaise des Produits Pétroliers a aussi été infructueuse. Mais à quand la fin de ce chapelet de misères ?
Cherif FAYE
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Posté le 10 Jul 2008 par biko