Décédé dans la nuit du samedi à dimanche, à l’âge de 99 ans, l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia, a été inhumé, hier, à Yoff. Il y avait une foule nombreuse à l’Hôpital Principal de Dakar où plusieurs personnalités politiques, coutumières et religieuses s’étaient donné rendez-vous pour saluer la mémoire d’un des premiers bâtisseurs de la Nation.Le chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, était représenté par le Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré, conduisant une forte délégation composée de ministres et hauts fonctionnaires. Toute la classe politique y était, en plus des députés, anciens ministres et parlementaires. Conformément à la volonté du défunt, la cérémonie s’est déroulée en toute simplicité, comme l’a rappelé un de ses proches.« Il a voulu, de son vivant, que tout se déroule dans la simplicité et la grande humilité. Nous vous invitons à des prières dans les mosquées et grandes mosquées pour le repos de son âme », a dit le représentant de la famille Dia à l’assistance. Il a ajouté que le président Dia a toujours souhaité que « le Sénégal retrouve son unité et sa cohésion pour le bonheur de tous ».Le cortège devait ensuite s’ébranler vers la Zawia El Hadji Malick Sy où s’est déroulée la prière mortuaire avant l’inhumation à Yoff.
Né en 1910, d’une famille paysanne, Mamadou Dia (de son vrai nom Mamadou Moustapha Dia), est un ancien pensionnaire de l’école primaire supérieure Blanchot à Saint-Louis, puis de l’Ecole normale William Ponty. Titulaire du baccalauréat, il exerça les fonctions d’instituteur dans plusieurs localités du pays avant l’indépendance puis dans l’arrondissement de Mbadane, dans le département de Mbour où vivait sa grande sœur. Il devint plus tard directeur d’école. C’est par la suite qu’il poursuit ses études supérieures en Sciences économiques à l’université de Paris.
Membre du Grand conseil de l’Afrique occidentale française (Aof) depuis 1947, Secrétaire général du Bloc démocratique sénégalais (Bds) depuis 1948, Mamadou Dia est élu au Conseil de la République le 14 novembre 1948.
Candidat du Bds le 18 mai 1952, il est reconduit au Sénat. Moins d’un an après, en février 1953, lors du premier congrès des Indépendants d’Outre-mer qui réunit à Bobo Dioulasso 60 délégués des territoires de l’Union française, il se voit confier le Secrétariat général du comité de coordination.
Au cours de ses deux mandats de sénateur, Dia vote pour la ratification du Pacte atlantique (28 juillet 1949), repousse la discussion du projet de loi électorale (2 mai 1951), vote pour la Loi Marie favorable à l’enseignement privé (12 septembre 1951) et se prononce en faveur de la ratification du traité instituant la Communauté charbon-acier (le 1er avril 1952).
En compagnie du président Senghor, sur la liste du Bds, il se présenta aux élections législatives du 2 janvier 1956. Ce qui permit à son parti de remporter les deux sièges à pourvoir par le Collège unique du Sénégal.
Le 18 mai 1957, il est élu vice-président du Conseil de gouvernement du Sénégal et forme un gouvernement homogène composé de représentants du Bloc populaire sénégalais dont il était le Secrétaire général.
Son compagnonnage avec le président Senghor continua jusqu’à l’indépendance du pays dont il est le signataire. Deux ans après, survinrent les événements de 1962. Il fut arrêté puis incarcéré à la célèbre prison de Kédougou, à l’est du Sénégal avec plusieurs de ses ministres dont Me Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye, etc.
Libéré en 1974 puis amnistié par Senghor, Mamadou Dia déclarait lors des élections présidentielles de 1983 face à Abdou Diouf alors président de la République qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’Etat, mais « d’un coup contre la nation ». Plusieurs projets sociaux sont à son actif. Il s’agit de la mise en place des coopératives rurales, des Habitations à loyer modéré (Hlm), du lotissement des quartiers de Pikine, les Foyers de jeunes, etc.
Ne pouvant être en marge de la politique, le président Dia surnommé le Premier Mawdo, nom qu’il aimait beaucoup, allait créer le Mouvement démocratique populaire (Mdp) avec ses amis de longue date dont Mody Diagne qui fut son chef de Cabinet, Me Abdoulaye Thiaw, Oumar Marone, Valdiodio Ndiaye et d’autres jeunes cadres sénégalais.
A la suite d’une fusion, le parti devenait Mouvement pour le socialisme unifié (Msu) avec feux Babacar Sané et Amadou Tidiane Ba, le député Bamba Ndiaye, Massène Niang, l’actuel coordonnateur, etc.
Le président Dia a beaucoup contribué à la vie politique sénégalaise par ses écrits et ses positions. Malgré son âge, cet homme de culture aimait discuter avec les plus jeunes, nous confiait son ancien directeur de Cabinet, le français Rolland Colin.
Rolland Colin, ancien Directeur de cabinet de Dia : « Un militant du développement à la base »
Auteur du livre « Sénégal, notre pirogue au Soleil de la Liberté », Rolland Colin a été le dernier directeur de Cabinet du président Dia.
Ce fonctionnaire de l’administration coloniale, ancien élève de Senghor à l’Enfom, a travaillé avant l’indépendance avec deux figures de proue de la politique sénégalaise, Dia et Senghor.
Véritable témoin privilégié de la marche vers l’Indépendance, mais également des déchirements qui ont opposé les deux hommes, M. Colin a servi d’intermédiaire entre Mamadou Dia et Senghor. Il a vu arriver dans l’administration sénégalaise les Babacar Bâ, Cheikh Hamidou Kane, Daniel Cabou, Christian Valentin, Habib Thiam, Abdou Diouf…
Dans le dernier entretien au « Soleil », il y a un an, à la parution de son livre sur le Sénégal, l’ancien collaborateur direct déclarait que « le président Dia militait déjà, à l’époque, pour un développement à la base : les communautés devraient devenir des lieux de l’expression paysanne ».
Il a rappelé que Dia a parlé de coopératives de développement dans la fameuse Circulaire 32 où il exposait sa doctrine. « Quand mon livre est paru et qu’il en a pris connaissance aux détails, il m’a dit : je n’ai pas besoin de réhabilitation formelle, la seule réhabilitation qui compte pour moi, c’est celle de la vérité, du témoignage. Or, un livre comme celui-là m’apporte ce que j’attendais et maintenant c’est aux Sénégalais de me réhabiliter et personne d’autre. Je ne reconnais à aucune institution le droit et le devoir de me réhabiliter ; c’est la vérité qui devrait s’établir ».
El Hadji Abdoulaye THIAM
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Posté le 26 Jan 2009 par biko