Alerter l’opinion nationale et internationale sur la situation de ces malheureuses femmes zambiennes pour que des actions judiciaires soient initiées et qu’une grande mobilisation sociale et un plaidoyer auprès des autorités sénégalaises et zambiennes puissent être entamés. C’est le dessein que nourrit l’Initiative des Femmes Africaines du Millénaire contre la Pauvreté et pour les Droits Humains (Ifaped) ou Awomi, en conviant les médias à une conférence de presse samedi dernier 1er septembre à son siège sis à Yoff Layène sur la route de l’aéroport. En démarrant la manifestation à 16 h, la coordonnatrice des programmes d’Awomi, Mme Salimata Bocoum a noté la mise en œuvre par son institution de deux programmes, le Yowli (Initiative pour le Leadership de Jeunes Femmes) et le Wefu (Fonds d’encadrement des femmes) qui leur offre des opportunités économiques et soutient ce groupe de femmes zambiennes victimes de violences basées sur le genre.
Désespoir et suicide
Au total, elles sont une trentaine de femmes zambiennes qui ont choisi de suivre leurs maris au Sénégal. La plupart d’entre elles résident au Fouta, certaines devenues veuves ou divorcées vivent à Dakar. Les maris sont des Toucouleurs du Fouta ou des Sarakholés émigrés à Kitwe, la principale région d’extraction des pierres précieuses en Zambie. Les témoignages de ces femmes sont dramatiques et époustouflantes. La veuve Maman Ida Atanda est brisée, la quarantaine sonnée, elle vit mal encore le souvenir du suicide mélancolique et altruiste facultatif de sa fille aînée. Elle raconte son histoire en ces termes : « J’avais deux enfants avec mon mari quand nous étions arrivés à Dakar. Par la suite, nous avons sept enfants au total, quatre garçons et trois filles. Quand ses parents sont venus nous voir, ils lui avaient demandé si j’étais excisée et si je priais. Ils lui avaient proposé de marier une autre femme alors que nous avions choisi la monogamie surr notre certificat de mariage…Déjà au village, alors que j’étais au terme de ma grossesse, les parents de mon mari m’avaient invité dans une hutte au lieu de me porter à l’hôpital. Une vieille femme m’avait demandé de me déshabiller parmi d’autres. Quand je l’ai fait, en voyant mon clitoris, elles avaient toutes fuit dehors, aucune d’elles ne voulait s’occuper de moi. C’est une femme venue de Tosriga qui m’a assistée. Après cela et la discrimination qui s’en suivit, j’étais revenue à Dakar… Au moment de mon mariage, mon mari avait accepté que je garde ma religion, c’était notre pacte car je voulais rester chrétienne.
Un jour, de retour de la messe, j’étais rentrée dans la cuisine pour faire le repas quand une de mes belles sœurs m’avait dit que ce que je préparais était impropre à manger dans la mesure où je n’étais pas musulmane. De l’altercation qui s’en était suivie, mon mari m’avait sévèrement battue, ma belle sœur m’avait donné un coup de pilon à la tête. J’avais réussi à m’échapper en direction de la plage, là où est érigée la porte du Millénaire. J’avais tenté de me suicider. J’avais attaché mes yeux et plongé dans l’eau », déclare-t-elle en notant qu’elle doit son salut à la vigilance d’un vendeur peulh dont la femme avait alertée. Recueillie après un quart d’heure par les sapeurs pompiers, Maman Ida avait fait une semaine à l’hôpital. Après ce drame, son mari lui avait proposé d’aller au village dans le département de Bakel. « Je lui avais intimé de me ramener chez moi en Zambie », dit-elle. Meurtrie par les nombreuses histoires vécues par la suite au village, Maman Ida Atanda avait fui pour revenir à Dakar.
Quand son mari décéda quelque temps après, sa belle famille lui avait proposé de se remarier avec son beau frère. Selon elle, ce dernier était plus terrible que son frère. « Il m’aimait, mais pas mes enfants. Il les chassait de la chambre au moment de se coucher. Mes enfants étaient obligés de traîner jusque tard dans la nuit », avoue-t-elle. La gorge nouée par l’ampleur des sentiments, elle ressasse le suicide de sa fille aînée. « Elle s’est suicidée à cause de ces problèmes. Enfermée dans sa chambre, elle avait avalé des comprimés. Quand nous avions défoncé la porte, elle gisait par terre, de sa bouche sortait une mousse visqueuse. Elle avait rendu l’âme sur le chemin de l’hôpital Abass Ndao… Au moment de se suicider, elle m’avait laisse une note retrouvée dans son soutien-gorge lors de l’autopsie. Elle y avait écrit : Maman pardon. Ta souffrance est grande dans ce pays, mais je pense que tu es la seule à pouvoir la supporter, moi non. Je préfère mourir… Cette note, je la garde toujours sur moi. Voilà mon histoire », confesse Maman Ida qui est par ailleurs indignée par le fait que toutes ces filles sont excisées contre son gré. « C’est abominable. On leur a coupé le clitoris. Elles saignaient à la traînée », dit-elle.
Incertitude, faiblesse, et maladie
Pour ce qui concerne Véronique, elle révèle que depuis 16 ans, elle ne peut pas dire si elle est mariée ou divorcée. Elle a trois enfants, deux filles et un garçon. « C’est par amour que je me suis mariée. Je suis une chrétienne pratiquante depuis l’âge de seize ans. Mon mari m’avait proposé de me convertir à l’Islam. Par amour pour lui, j’avais essayé de pratiquer sa religion. J’ai passé cinq ans pour cela à Tambacounda et Matam. En venant au Sénégal, j’avais laissé ma voiture à l’aéroport. Depuis neuf ans que je vis à Dakar, je n’ai pas pu obtenir une maison et le loyer est très cher. Mon mari est resté en Zambie et s’est marié à une autre femme avec qui il a deux enfants. Je souffre beaucoup et demande de l’aide. Je lance ce message aux sénégalais et aux zambiens. Mon fils aîné est en 3e année à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, il m’était difficile de l’entretenir jusque là », dit-elle.
Mariée en 1995, Madjuri qui a eu son premier enfant l’année suivante a été elle aussi trompée par son mari qui l’a conduite au Sénégal sous un faux prétexte. « Quand j’ai eu mon deuxième enfant en 1998, mon mari avait décidé de revenir avec moi au Sénégal. Il m’avait dit qu’il voulait partir aux Etats-Unis et attendait le visa. Il m’avait promis qu’il nous ferait partir dès l’obtention du visa. Quand j’en avais parlé à mes parents, mon père était d’accord, mais ma maman était réticente. Mais comme j’aime mon mari, je suis venue en 2002 au Sénégal. L’année suivante, j’avais un autre enfant. Mon mari décéda après. J’avais le choix de me remarier à son frère ou de repartir sans mes enfants. J’avais accepté, mais je n’avais pas la paix au Fouta. Il y avait beaucoup de problèmes. J’avais regagné Dakar où une de mes sœurs m’avait hébergé. J’étais retournée reprendre mes deux filles et laisser le garçon au village avec beaucoup de difficultés. Trouver un logement n’est pas facile à Dakar. C’est seulement l’année dernière que j’en ai trouvé un qui est très cher, j’éprouve d’énormes difficultés pour le payer. Présentement, je voudrais rentrer au pays », souligne-t-elle.
Une autre qui a vécu 16 ans au Fouta est schizophrénique depuis 6 ans. Son internement pour une période d’une vingtaine de jours a beaucoup contribué à l’amélioration de sa santé. Selon elle, les membres de sa belle famille l’enfermaient et l’attachaient à une corde. « Mon mari n’a plus de moyens, il est au village », raconte-t-elle. Deux autres concitoyennes sans doute écœurées par ce traitement inhumain dont elle fait état versent des larmes de compassion. « Chantal en est une autre, elle devait être là pour témoigner, ce bébé est sa fille. Il y a un huissier qui est présentement chez elle pour la faire sortir », révèle Mme Salimata Bocoum.
Recherche de solutions
En guise de réponse à ces témoignages, Mme Bocoum rappelle que ces femmes n’ont pas le choix car une fois au Sénégal, les maris confisquent leurs passeports. Elles n’ont plus de papiers légaux. Certaines sont divorcées et jetées à la rue, elles ne peuvent plus réclamer leurs droits. Toutefois c’est le dilemme qui entoure leur situation. Certaines, disent-elles, se sont mariées sans le consentement de leurs parents et auraient honte de rentrer dans ces conditions désastreuses. Il y a aussi leurs enfants qu’elles ne veulent pas abandonner sur place. Sur cet aspect précis, Me Demba Ciré Bathily a suggéré l’établissement pour elles de dossiers individuels pour savoir celles qui veulent rentrer et celles qui choisiront de rester pour une raison ou une autre. Il a par ailleurs suggéré de faire l’inventaire d’autres femmes étrangères qui seraient dans la même situation, à l’image des congolaises, pour entamer une procédure plus élargie.
Dans sa démarche, Awomi offre à ces femmes des opportunités économiques par le plaidoyer et les aide à mener des activités génératrices de revenues. Il faut retenir que Awomi a été crée en Mai 2005 au Sénégal et lancée au Kenya. Son but est de mettre en avant le savoir des femmes, leur leadership, et surtout leurs droits à tous les niveaux du processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques économiques et des stratégies d’éradication de la pauvreté. Il s’investit aussi dans la lutte contre les violences faites aux femmes et pour le renforcement de leurs capacités dans le domaine socio-économique.
ENCADRE
Les deux cas de suicide notés dans ce texte (Maman Ida Atanda et sa fille aînée) confortent la théorie Durkheimienne sur le suicide. « Si un individu se suicide, c’est qu’il est mené à l’autolyse par une force plus grande que lui qui le dépasse ». La première tentative de suicide de Maman Ida, même si elle est avortée, ressort du même mobile que celle qui a emporté la vie de sa bien aimée fille aînée. Les deux cas de suicide sont causés par la mélancolie, et sont par conséquent liés à « un état d’extrême tristesse vécue en constance ». Les mobiles les rangent dans la même catégorie du « suicide altruiste facultatif » dont a parlé Emile Durkheim dans son ouvrage. Dans cette catégorie, « il serait mieux que l’individu le fasse », pense Durkheim. Le même sentiment a animé la maman et sa fille au moment de passer à l’acte, bien qu’elles sachent qu’il leur coûterait la vie.
Dans une autre mesure, la différence culturelle a porté un grand coup sur ces braves dames perdues par leur amour. En parcourant des milliers de kilomètres pour venir au pays de la Téranga, elles ont fait face à la souffrance conjugale. Sur qui faut-il reposer la responsabilité ? Sinon sur elle ou sur leurs maris ? Dans la mesure où elles sont chrétiennes, et choisi délibérément de se marier pour le meilleur et pour le pire, pourquoi ne se résignent-t-elles pas ? Pour le cas de leurs maris, il est loisible d’admettre qu’ils ont simplement failli à leurs responsabilités. Car même si la religion musulmane admet la polygamie, il est plus correcte de dire la vérité en ces circonstances. Pourquoi avoir menti à ces femmes, juste pour le simple plaisir de les marier ? C’est honteux et irresponsable. Ils devraient prendre le temps de connaître tous les paramètres inhérents à la culture qui est la leur.
Auteur: Cherif Faye
Source: Sud Quotidien