Le Sénégal n’est plus officiellement membre de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA), et a repris depuis, le 12 mai, la gestion technique et commerciale de ses aéroports et aérodromes.
L’Etat sénégalais justifie cette sortie de l’organisation technique africaine par le fait que le trésor sénégalais ne perçoit rien de l’ASECNA dont le siège se trouve à Dakar, la capitale de ce pays d’Afrique de l’ouest. A la direction de l’ASECNA, les autorités de l’agence n’ont pas réagi, c’est le mutisme total.
Mais les membres du personnel local de l’agence, plus nombreux, craignent d’être licenciés par la suite, tandis le staff étranger s’interroge sur l’éventualité d’une délocalisation du siège de l’ASECNA qui compte une cinquantaine d’agents. Le ministre sénégalais des Transports terrestres et aériens, Farba Senghor, a annoncé, la semaine dernière à Dakar, que son pays se retirait définitivement de l’ASECNA et prenait en main la gestion de son espace aérien à partir du 12 mai 2008. Selon Senghor, son pays a toutes les compétences requises.
« Le Sénégal a décidé de relever le défi afin de continuer à mériter la confiance des usagers du ciel africain et de la communauté de l’aviation civile internationale en reprenant la gestion de son espace aérien », a déclaré Senghor.
Ironie de l’histoire, c’est en 1959 à Saint-Louis dans l’ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (AOF), au Sénégal, qu’est née l’ASECNA, et c’est ce même pays qui, après 48 ans, annonce son retrait de l’agence.
En fait, la sortie du Sénégal de l’ASECNA était imminente depuis un moment. D’abord, c’est Madagascar qui s’est retiré de l’organisation en octobre 2007 pour des raisons liées aux ressources financières et à l’immensité de son territoire, dont les redevances éventuelles suffisent à financer la gestion des aéroports et aérodromes de la Grande île de l’océan Indien.
Ensuite, le 14 novembre 2007, le Sénégal a annoncé son retrait pour compter de mai 2008. Mais le 30 octobre déjà, le ministre des Transports aériens rendait publique la dénonciation, par l’Etat sénégalais, du contrat particulier le liant à l’ASECNA pour la gestion des aérodromes. Il avait publié également l’exigence d’une nouvelle clef de répartition plus équitable des ressources générées par la gestion de son espace aérien.
Selon, Senghor, cette manne financière permettra au Trésor public du Sénégal d’accéder directement aux ressources générées par la gestion de son espace. « L’Etat ne gagne jusqu’ici aucun sou sur les droits de trafic international », affirmait-il, donnant l’exemple de la future compagnie « Air Téranga Sénégal » dont la redevance de concession, a-t-il dit, est fixée à 15 pour cent du chiffre d’affaires à verser au trésor.
Après ces déclarations du ministre, en octobre dernier, la direction de l’ASECNA avait tenu un point de presse au siège. Le président du Conseil d’administration (PCA) de l’agence, Jacques Courbin, avait affirmé que l’ASECNA »n’est pas menacée par les pays qui veulent reprendre leur droit », ajoutant que le »Sénégal n’a pas fait quelque chose qui ne s’est pas fait ailleurs ».
« L’ASECNA assure elle-même ses moyens de subsistance depuis 1995 suite à la suppression de la contribution des Etats; elle ne vit uniquement que des redevances qu’elle perçoit des usagers de ses services dont les redevances directement facturées aux compagnies et celles des aéroports ».
Toujours en octobre, le Sénégal avait demandé un audit de l’ASECNA pour voir d’éventuelles malversations financières qu’il reprochait à l’agence. Mais les syndicats avaient dénoncé un marché de gré à gré imposé, selon eux, par le ministre des Transports, à la direction générale de l’ASECNA. Ils disent vouloir tirer également au clair le décaissement, par la direction, de plus de 352 millions de francs CFA (environ 838.000 dollars) destinés à un cabinet d’audit.
Finalement, après six mois de tergiversation, le Sénégal se retire de l’ASECNA. Même s’il n’y a pas encore eu de signature d’un protocole de transfert des activités aéronautiques nationales, comme cela avait été prévu entre le ministre des Transports aériens et le PCA de l’ASECNA, le pays a pris la décision de rompre le contrat initial et de reprendre la gestion technique et commerciale de ses aéroports avec ses propres moyens.
Interrogé par IPS sur la situation des employés sénégalais travaillant à l’ASECNA, le ministre des Transports aériens a affirmé : « Il n’y aura aucune incidence sur le personnel, tant du point de vue emploi que des…salaires ». Senghor a même indiqué qu’il n’y aurait pas de licenciement, ajoutant que les avantages du personnel seront conservés.
Mais les déclarations du ministre n’ont pas rassuré pas les employés sénégalais de l’ASECNA. Pour eux, le gouvernement Wade a fait beaucoup de torts aux travailleurs dans ce pays après la rupture de contrats précédents avec des entreprises privées.
Alioune Dieye, un des agents, a rappelé l’exemple des ex-employés de AMA Sénégal, une entreprise de ramassage d’ordures, pour illustrer sa préoccupation. « Quand le gouvernement Wade a rompu sa coopération avec AMA Sénégal, on avait dit aux travailleurs qu’il n’y aura pas de licenciement et qu’ils seront conservés, mais aujourd’hui, c’est des gens licenciés qui ne sont pas indemnisés et qui ne sont pas intégrés non plus dans la nouvelle société de ramassage d’ordures. Et c’est le même discours avec l’ancienne Société des transports (SOTRAC). Moi franchement, ça m’inquiète… »
Si la direction générale de l’agence n’a fait encore aucune déclaration officielle sur le retrait du Sénégal, certains cadres de l’ASECNA ont exprimé leur opinion à IPS, même si certains ont préféré garder l’anonymat.
Abas Ndiour, un Sénégalais, dit qu’il attend de voir ce qui va se passer, mais il déplore le retrait de son pays.
Une Burkinabé déclare sous anonymat que le retrait du Sénégal était imminent, mais elle dénonce la manière de le faire, estimant que cela ne sauvera pas le pays de son marasme économique. « Le ministre des Transports sénégalais pense que si son pays prend les choses en main, cela peut les sauver de la crise économique et alimentaire à laquelle son pays est confronté. Moi, je veux qu’on délocalise vite le siège pour qu’on travaille ailleurs », ajoute-t-elle.
Un cadre ivoirien estime qu’il faut vite signer les dossiers pour délocaliser la direction. « La Côte d’Ivoire est prête à accueillir le siège, même si déjà, on entend dans les coulisses que le Cap Vert serait pressenti ».
Par contre, un Togolais pense que le Sénégal est un poids lourd. « Même si l’article 10 de la convention de 1974 stipule que tout Etat membre de l’ASECNA peut se retirer pour assurer les services et entretenir toute exploitation d’utilité aéronautique, le Sénégal ne doit pas quitter l’agence. Rien n’est signé encore et attendons de voir », observe-t-il.
Sur plus de quatre décennies d’existence et d’intégration, l’ASECNA a connu des menaces de départ et de nouvelles adhésions. D’abord, c’est le Mali qui avait menacé en 1960 de quitter l’agence, suivi du Congo-Brazzaville en 2007. Mais ces deux pays sont restés au sein de l’agence. Et c’est Madagascar qui est parti finalement en octobre 2007, suivi du Sénégal en mai 2008. Ils sont maintenant 17 Etats membres.
Posté le 20 May 2008 par biko