Faut-il abolir la peine de mort ? La question divise les Maliens. Tant et si bien que le débat autour du projet de loi qui devait avoir lieu en décembre dernier à l’Assemblée nationale a finalement été repoussé en avril prochain…
Le Mali rejoindra-t-il les 14 pays africains qui ont supprimé de leur loi pénale, la peine de mort ? Le projet de loi portant sur son abolition devait être débattu à l’Assemblée nationale, le 11 décembre dernier, La discussion a finalement été renvoyée par les députés à la session d’avril 2008. Un sursis de quelques mois qui permettra, peut-être, de dépassionner le débat. « L’abolition de la peine de mort veut dire que, quelle que soit la raison pour laquelle une personne tue une autre, elle ne sera pas punie ! », fulmine Siaka Diallo, un jeune chômeur installé autour du thé avec ses camarades. « Utiliser la mort pour punir un meurtrier reviendrait à se rabaisser à son niveau et ne serait pas compatible avec les valeurs humaines », lui rétorque Oumar Touré, un enseignant. Dans son discours à la Nation, en septembre dernier, le président de la République, Amadou Toumani Touré (ATT), en annonçant son engagement à supprimer la peine capitale, pensait simplement aligner le droit sur la pratique. L’article 4 du Code pénal prévoit, en effet, la peine de mort, par fusillade, mais dans les faits, le Mali figure au nombre des pays abolitionnistes (131 sur 196 États l’ont déjà totalement ou partiellement abolie). Le pays n’a connu aucune exécution capitale depuis près de 30 ans (1980) bien que des condamnations à mort y aient encore été prononcées. Ces sentences ont systématiquement été commuées en réclusion criminelle à perpétuité par grâce présidentielle.
Sourde opposition
Avocats, professeurs de droit, chefs religieux, citoyens ordinaires, chaque Malien y va de son commentaire depuis que le projet de loi a été adopté en Conseil des ministres, en octobre, et déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Une sourde opposition est en particulier venue des milieux islamiques.
En novembre, Modibo Sangaré, président de l’UNPR (Union nationale pour la renaissance), un parti d’obédience musulmane, avait organisé, à Bamako, une marche de protestation qui a été réprimée. Bilan: 40 blessés, selon les organisateurs. Quelques jours plus tard, ATT rencontrait des représentants du Haut conseil islamique pour demander aux musulmans de dépassionner le débat. Il a par ailleurs promis d’organiser une large concertation pour informer sur le sens de l’abolition de la peine de mort.
En attendant, dans les mosquées, les imams dénoncent à tout vent le projet de loi. Pour le célèbre prêcheur Chérif Ousmane Haïdara, il est tout à fait normal que les musulmans se sentent plus concernés. « Face à un meurtre, une fois les responsabilités situées, le meurtrier est à son tour tué. C’est ce que dit le Coran (versets 178 et 179 de la sourate 2, intitulée « La vache », Ndlr). Celui qui tue, sera tué. Là-dessus, il n’y a rien à redire », soutient-il dans un prêche virulent tenu sur une radio locale. Selon lui, le président a été contraint par l’étranger d’accepter une telle aberration dans un pays à 90% musulman et la loi sur l’abolition de la peine de mort ne passera pas. Dans une interview au quotidien. L’indépendant, l’avocat Kassoum Tapo, 5e vice-président de l’Assemblée nationale et initiateur l’année dernière d’une proposition de loi sur l’abolition de la peine capitale, ne cache pas son amertume.
Nous sommes dans une république laïque. Ce n’est pas la peine de mort telle que prévue par la charia (loi islamique, Ndlr) qui est appliquée au Mali. C’est une autre loi. Aujourd’hui, c’est un faux débat que veulent installer certains. « Nous ne rentrons pas dans ça. Autant nous demander de mettre dans le Code pénal, la lapidation en cas d’adultère ou de couper la ou les mains des voleurs! Ce sont là des règles de la charia non applicables au Mali », s’indigne l’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats. Pour lui, maintenir la peine de mort est parfaitement inutile et empêche le Mali de coopérer judiciairement avec d’autres.
La loi du Talion
« La mort ne permet aucun retour en arrière, Une éventuelle erreur judiciaire ou une injustice dans son application serait donc totalement irréparable, alors qu’une personne emprisonnée à tort peut toujours être libérée et indemnisée, s’insurge Boubacar Diarra, professeur de droit à l’Université de Bamako dans une longue tribune au quotidien « Le Républicain ». La justice étant humaine, il est impossible de garantir que de telles erreurs ne puissent arriver ». A ses yeux, la Justice doit évoluer vers une logique de rééducation des criminels.
Tout le contraire de la peine de mort qui exclut que le délinquant puisse s’amender, se repentir et reprendre sa place dans la société…
Au Mali, tous ne partagent pas cette opinion Idrissa Maïga, un fonctionnaire, juge ainsi intolérable que des bandits s’arment jusqu’aux dents et tuent les honnêtes citoyens pour s’approprier leurs biens « Si le meurtrier sait qu’en tuant, il sera tué, il évitera de commettre le meurtre ». Selon lui, la peine de mort existe dans l’islam pour préserver la vie et elle est essentielle à la stabilité sociale Avec conviction, il défend la loi du Talion . œil pour œil, dent pour dent et… vie pour vie.
Fousséni TRAORE
(Syfia International)