A défaut de les convaincre, le rapport conjoint de la Banque africaine de développement (Bad) et du ministère français de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, publié le 28 janvier dernier, devrait au moins inciter les pays du Sud, en particulier ceux d’Afrique, à prendre un peu plus en considération l’apport de la diaspora dans leur politique de développement. Intitulée « Les transferts des fonds des migrants, un enjeu de développement », l’étude a porté sur le Maroc, le Sénégal, le Mali et les Comores qui, malgré leurs caractéristiques économiques et sociologiques différentes, « ont en commun des liens migratoires et historiques forts avec un même pays développé, la France ».
L’enquête menée auprès de 2000 ménages en Afrique fait ressortir l’importance sociale, économique et financière des transferts de migrants. En 2005, plus de 1,5milliard d’euros a été envoyé de la France vers le Maroc, un montant qui représente 9% du Produit intérieur brut (PIB) et 750 % de l’Aide publique au développement (APD). La même année, 449 millions d’euros ont été transférés vers le Sénégal (19 % du PIB et 218 % de l’APD), tandis que le Mali a reçu de ses migrants 295 millions (11 % du PIB et 79 % de l’APD), et les Comores 70 millions (24 % du PIB et 346 % de l’APD). Les ménages bénéficiaires de ces fonds ont un niveau de vie et de revenu supérieur à la moyenne nationale:
855 euros au Mali, 615 aux Comores, 585 au Sénégal et 495 au Maroc. C’est de la région parisienne que l’essentiel des fonds est transféré puisqu’elle fournit 90 % des sommes envoyées au Mali, 63 % au Sénégal, 49 % aux Comores et 31 % au Maroc.
Le plus souvent, les sommes transférées en urgence sont destinées aux catégories les plus pauvres de la population, qui les utilisent en priorité dans des dépenses de consommation, de santé, d’éducation et accessoirement à l’acquisition de biens immobiliers ou à l’investissement productif. L’étude montre que l’aide à la famille absorbe 75 % des montants versés aux Comores, 60 % au Sénégal et environ 40 % au Maroc et au Mali et fait aussi ressortir la corrélation entre le niveau de qualification des migrants et l’utilisation des fonds transférés. Alors que « les migrants occupant des emplois faiblement qualifiés (75 %) transfèrent de 10 à 15 % de leurs revenus au titre de l’appui à la consommation familiale des ménages bénéficiaires », ceux qui ont un niveau de qualification et de revenus élevés « consacrent l’essentiel de leurs transferts à l’investissement dans leur pays d’origine ».
Les ménage bénéficiaires de ces fonds ont un niveau de vie supérieur à la moyenne nationale
Ayant flairé la bonne affaire, des Sociétés de transfert d’argent (STA), notamment Western Union, Money- Gram, Money Express, se sont positionnées sur le marché depuis les années 90 et ne cessent de croître, de l’ordre de 15 % par an. Face au faible taux de bancarisation dans de nombreux pays africains, les STA ont su proposer un service adapté aux besoins des immigrés, rapide et sécurisé, même si la qualité de ce service a un prix relativement élevé: entre 5 et 20% des sommes transférées. Dans une étude publiée en décembre 2007, la Bad avait déjà établi que la cherté des frais de transfert dissuade la diaspora de recourir au circuit officiel. D’où la nécessité, non seulement de casser le monopole dont bénéficie Western Union dans certains pays, mais aussi d’encourager la bancarisation des populations rurales, à travers notamment la création d’institutions de micro-finances par lesquelles les transferts pourraient s’effectuer.
N’ayant pas les moyens de mener une concurrence frontale contre Western Union, Money Express, un service du Groupe Chaka, au Sénégal, s’est positionné en 2002 avec succès, dans la captation des flux financiers à l’intérieur du continent, grâce à un partenariat avec les Caisses d’épargne, des Chèques postaux et d’institutions financières dans les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Depuis un an et demi, sa filiale, Money Express international, avec plus de 150 points de vente en Italie, propose des frais de transfert peu élevés (5 % du montant envoyé), ce qui, d’après El Hadji Malick Seck, le directeur général « a incité la diaspora à épargner plus qu’elle ne le faisait avant ».
Au Mali, où le taux d’informel est élevé (59 %), les institutions de microfinances comme Nyesigiso, un réseau de caisses d’épargne et de crédit, permettent de pallier l’absence de banques en milieu rural. « On s’est rendu compte que dans la région de Kayes, qui est une région de forte migration, les gens devaient parcourir 400 km pour venir toucher leurs mandats à Bamako. Depuis la création de Nyesigiso, les coûts de réception ont considérablement baissé, même si nous sommes obligés de passer par une banque, la réglementation actuelle ne nous autorisant pas à recevoir directement de l’argent », explique le directeur général, Modibo Coulibaly.
Parmi les quatre pays étudiés, seul le Maroc, grâce à son réseau de banques populaires, dispose d’un système bancaire adapté aux transferts de fonds des migrants: 41 % des fonds passent ainsi par le secteur formel, contre 36% au Sénégal et seulement 16 % au Mali et aux Comores. En s’implantant dans les pays émetteurs, quatre banques captent à elles seules 85 % du marché des migrants marocains, un succès dû au faible coût des transferts (environ 5% des sommes envoyées), mais aussi à la diversité des prestations offertes (assurance, placement, etc.).
Les frais de transfert peu élevés ont « incité la diaspora à épargner plus qu’elle ne le faisait avant »
Dans leurs conclusions, les auteurs du rapport ont identifié trois types d’approche en vue d’optimiser les transferts de fonds: une approche anglo-saxonne qui privilégie la fluidification de l’offre de services, un assouplissement de la réglementation pour stimuler la concurrence et la diffusion d’informations sur les prestations des opérateurs. L’approche hispanique en vigueur en Amérique Latine et adoptée au Maroc, met l’accent sur la bancarisation des migrants pour mieux capter leur épargne. Cette stratégie gagne de plus en plus de terrain d’autant que des rapprochements entre banques marocaines et celles d’autres pays du continent se multiplient.
Enfin, l’approche francophone, guidée par la politique de codéveloppement cherche à canaliser les ressources des migrants vers des investissements dans les secteurs de la santé, de l’éducation et dans la création d’entreprises. Dans cette optique, le directeur général du Trésor et de la politique économique français, Xavier Musca, a annoncé que la Caisse d’épargne va bientôt proposer un Compte épargne codéveloppement bénéficiant d’une déduction fiscale de 25 %, ouvert aux immigrés titulaires d’une carte de séjour en France et qui souhaitent financer des projets dans leurs pays.
Un autre produit, le Livret d’épargne codéveloppement « permettra au migrant de constituer une épargne qui ouvre droit ultérieurement à une prime lorsqu’il contactera un prêt aux fins d’investissement ».
Source: Joachim Vokouma
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