Banania, une si longue histoire de mépris: Lettre au Maire de Courbevoie

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Dans l’iconographie coloniale qui a le plus diffusé l’imaginaire du nègre naïf, niais, sans esprit, heureux de sa servitude, figure la fameuse et fétiche image publicitaire du tirailleur sénégalais liée à la marque de chocolat Banania. Une marque et une image qui ont fait florès, et qui après une période d’oubli relatif -pour ce qui est de la représentation du soldat sénégalais au moins- refait surface depuis quelques années dans une France s’affirmant décomplexée.

La diffusion d’images et de représentations aussi connotées est une modalité courante de racisme contemporain et quotidien, socialisant les peuples et populations dans un regard biaisé des phénotypes différents. Ces mille actes anodins, portés par des personnalités ou institutions hors de tout soupçon, conservent les caractères dépassés d’une société qui a été coloniale et impériale dans son identité, et peine à s’exorciser de ces chosifications. Les projets tels que celui de la mairie de Courbevoie, de consacré à une exposition «Banania», enferment dans le rapport colonial, la dépréciation de l’Autre citoyen, une partie significative de la population française et humaine. Une rémanence qui ne pourrait construire une convivialité humaine et citoyenne à terme.

Pour information, voici l’annonce de la mairie de Courbevoie.
Exposition «Banania», son histoire à Courbevoie
Une rétrospective proposée du 15 au 29 septembre 2007 à l’occasion des Journées du patrimoine.

Banania : la simple évocation de ce nom suffit à retomber en enfance !

La célèbre boisson chocolatée est née à Courbevoie en 1914 dans un petit atelier de la rue Lambrechts.

Alors que la marque en est encore à ses balbutiements, la première guerre mondiale éclate. Banania  participe à l’effort de guerre en envoyant un convoi de quatorze wagons chargés de boîtes de poudre cacaotée pour remonter le moral des poilus.

Ce coup publicitaire permet à la marque courbevoisienne et à son personnage fétiche, le tirailleur sénégalais, de se faire connaître de la France entière…

L’exposition proposée par la Ville de Courbevoie permettra aux visiteurs de découvrir les origines courbevoisiennes de Banania et l’évolution de l’image de la marque à travers la publicité.

Le public pourra ainsi admirer de nombreux objets de collection, notamment des boîtes métalliques, des produits publicitaires insolites et des affiches anciennes ainsi des documents d’époque.

Enfin, une partie de l’exposition sera consacrée à l’histoire du chocolat et à sa fabrication depuis la récolte des cabosses, en passant par la torréfaction jusqu’à la production de poudre chocolatée.

Dans une lettre datée du 1er septembre 2007, adressée au député maire de Courbevoie, Armand Adotevi, juriste, proteste vigoureusement contre l’utilisation dangereuse de cette icône s’il en est du préjugé racial, colonial.

Armand ADOTEVI
92400 Courbevoie

Lettre de Armand ADOTEVI au Maire

Monsieur Jacques KOSSOWSKI
Député des Hauts-de-Seine
Maire de Courbevoie
Hôtel de Ville
92401 Courbevoie Cedex

Objet : Protestations -« exposition »  -Babania son histoire à Courbevoie-

Courbevoie, le 1er Septembre 2007

Monsieur le Député Maire,

Je prends la liberté d’attirer votre attention sur ce que ci-après exposé : Je découvre sur les panneaux destinés à l’annonce ainsi qu’à la diffusion des informations municipales de la ville de Courbevoie une affiche qui propose je cite (sic) une «exposition» du 15 au 29 septembre 2007 sur je cite (sic) «Banania … son histoire à Courbevoie ». L’affiche est soutenue par une illustration [en format plein champ]tirée d’une très vieille campagne de promotion publicitaire représentant un homme noir mis en exergue en habit de tirailleur, ventant les délices d’une boisson matinale chaude.

Saviez-vous Monsieur le Député Maire qu’en son temps, cette représentation du tirailleur africain véhiculant le slogan (y’a bon banania) donna de l’homme noir l’image d’un être inférieur, arriéré, goguenard, bucolique et stupide parce que perçu comme tel par les colons ?

Le caractère infantilisant, désobligeant et éminemment vexatoire de cette représentation de l’homme noir ne saurait valablement être contesté par nul esprit sérieux.

Les théories tendancieuses (c’est un euphémisme) développées au 19ème siècle sur la perception qu’avait l’homme blanc de l’homme noir sont détestables, inadmissibles et outrageantes.

J’ignore le contenu de  « l’exposition » envisagée, cependant, j’ose croire qu’il ne s’agit pas dans l’esprit des organisateurs de cette « exposition », sous couvert d’une manifestation prétendument « culturelle » de mettre à nouveau en pâture par distraction l’homme noir à travers des transferts hardis et douteux nés de l’imagination des colons.

Les organisateurs de cette « exposition » sont-ils à ce point dépourvu d’idées pour se contenter de resservir ce genre de regrettables clichés ?

Se peut-il que la ville de Courbevoie propose à l’hilarité et au régal des yeux de visiteurs empressés, une « exposition » déclinant les «esquisses» de la propagande nazie tirée d’une galerie de portraits (au goût improbable) inspirés par la perception qu’avaient les nazis du juif ?
                                                                                                                                                             Je m’interroge sur l’intérêt éducatif et/ou la vocation d’un tel projet en l’an 2007 !

  • La boisson matinale chaude dont il est question a t-elle besoin du soutien de la municipalité de Courbevoie pour que l’on redécouvre [ses]mérites ?
  • S’agit-il en réalité d’offrir à la bonne société « civilisée » blanche, un moment de condescendance aux dépens de l’homme noir en la circonstance instrumentalisé à des fins douteuses comme tant et tant [il]le fut à travers l’histoire de l’humanité ?!
  • S’agit-il d’une manifestation ayant pour objet d’exprimer reconnaissance et gratitude à l’attention des très nombreux combattants africains noirs qui payèrent de leur vie la libération de la France pendant les deux guerres puisqu’à ce jour, ni les survivants, ni les ayants droit de ceux décédés ne perçoivent une pension au montant équivalent à celui servit à leurs compagnons d’armes de métropole ?!
  • Nombreux sont les noirs d’ici et d’ailleurs qui ne se reconnaissent pas dans les clichés de nigauds et autres poncifs racistes que symbolisa « banania ».

En l’état, et sous toutes réserves … la réédition et la diffusion de l’image dont s’agit ne me paraissent pas opportunes.

À toutes fins utiles, il m’a paru indispensable de vous faire tenir la présente.
                                                                                                      
Vous en souhaitant bonne réception et dans l’attente, je vous prie de croire, Monsieur le Député Maire, à l’assurance de ma respectueuse considération.

Armand ADOTEVI

Afrikara

Posté   le 10 Sep 2007   par   biko

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