La présidente de Survie, animatrice de la Société des Amis de Mongo Beti et de la « Librairie des Peuples noirs » de Yaoundé, léguée à la jeunesse d’Afrique et du Cameroun par feu son mari, a accordé un entretien riche et décontracté à la rédaction d’Afrikara.com au sujet de la sortie de son ouvrage « Du racisme français » paru aux Arènes (Novembre 2007).
Odile Tobner, quelle est la genèse de votre ouvrage très attendu « Du racisme français » ?
Odile Tobner : Tout est parti de l’ouvrage co-écrit avec François-Xavier Vershave et Boris Boubacar Diop « Négrophobie » [2005, Les Arènes], en réponse au livre « Négrologie » de Stephen Smith. Déjà à ce moment, je pensais que Smith n’était que le dernier d’une longue chaîne de préjugés. Et que si son propos marchait si bien c’était parce que, dans le substrat culturel français, il y avait des choses qui étaient en écho, qui étaient acquises, prêtes à recevoir ce que disait Stephen Smith. Ce que je voulais c’était mettre en relief cet atavisme culturel qui n’a jamais été critiqué en France. Il n’y a jamais eu de véritable critique de cet héritage en France, au mieux on le raye, on en parle pas, au pire on le récupère ; donc il fallait mettre hors d’état de nuire ces préjugés.
Atavisme culturel ou pratiques de domination, comment les choses s’articulent-elles ?
O.T : Là c’est le jeu de l’infrastructure et de la superstructure. Quand on a une pratique coloniale, il faut avoir un discours de justification. Si on tue des Noirs c’est parce que ce sont des êtres inférieurs, on justifie ainsi des pratiques.
Dans votre ouvrage, vous prenez un horizon de quatre siècles …
OT : C’est effectivement très ancien, toute la période de l’esclavage est concernée. Elle a donné lieu à des pratiques et des discours de justification, qui étaient plus franchement « décomplexés » comme on le dirait aujourd’hui. Chez le père Labat, il n’y a aucune instruction, critique de ce qu’il a fait. Il y a toujours eu ce double enjeu des faits de domination, de déportation et des discours pour imprégner l’idéologie.
Quelle actualité de cette « tradition », puisque vous utilisez le terme de tradition de racisme ?
OT : Aujourd’hui c’est pour justifier le néocolonialisme qui a quand même entraîné l’échec des indépendances, le non-développement voire l’effondrement des sociétés africaines. Le discours actuel vise à dire « c’est de leur faute, c’est parce qu’ils sont paresseux, parce qu’ils sont ceci et cela « , et non parce que nous les avons maintenu sous notre domination.
Il y a aussi des discours racistes franco-français, des discours visant les Noirs et Africains vivant en France …
OT : Absolument, là le racisme rejoint la ségrégation. La chasse aux Noirs immigrés c’est la politique de Sarkozy. C’est très clair pour le conseiller du président Sarkozy, Guaïno qui dit qu’avec l’immigration, la mondialisation, la désintégration du travail, il y a un problème identitaire. Mais il ne dit pas aujourd’hui qu’on a un président d’origine hongroise il y a un problème identitaire. Qui vise t-il ? Pas le Hongrois ni ceux qui lui ressemblent, derrière cela il y bien un problématique raciste.
On en vient à tous les discours que l’on entend depuis 2005, avec Hélène Carrère d’Encausse, Georges Frêche, Finkielkraut, …
OT : Mon livre s’ouvre justement sur tous ces propos scandaleux qui ne scandalisent personne. Malgré une certaine médiatisation à l’arrivée c’est dans Libération qu’une tribune dédouane Pascal Sevran.
Que défendent finalement les Sevran, Carrère d’Encausse, Finkielkraut, etc…
OT : L’identité française disent-ils. Mme Carrère d’Encausse est russe d’origine mais elle peut être française puisqu’elle est blanche. C’est pareil pour Finkielkraut. Ils tiennent des positions purement racistes, les Noirs sont des gens inassimilables pour eux. Le terme inassimilable est utilisé, on parle aussi d’émeutes ethniques et non pas sociales.
Tout au long de l’ouvrage « Du racisme français » on est dans deux ordres distincts. Celui de la réplique à des idées évaluées racistes, et en même temps celui de la pédagogie. « Démonter et démontrer » dirions-nous…
OT : Je suis d’abord un professeur qui écrit, fondamentalement. Je ne suis pas une romancière ni autre chose. C’est toujours pour faire un exposé pédagogique que j’écris. De l’autre côté avec Mongo Beti, nous avons toujours eu une approche pamphlétaire, de démontage des discours stéréotypés de domination. On a toujours eu cette position dans la revue « Peuples noirs, Peuples africains ». On nous l’a souvent reproché, mais c’est notre fonction. Il ne suffit pourtant pas de démonter pour être crédible, il faut par conséquent démontrer. A l’inverse ceux qui tiennent des propos racistes et discutables ne sont pas soumis à l’obligation de démonstration, on les croit sur parole. Il n’est que de voir, pour s’en convaincre, le dernier ouvrage de Pascal Bruckner, « La tyrannie de la pénitence », les affirmations ne sont presque jamais étayées mais comme les gens ne demandent qu’à le croire, ils avalent ces propos touts crus. Ce que nous disons, nous, doit être fortement étayé, c’est pourquoi je cite systématiquement ceux que je démonte et critique.
Quelles seraient les têtes de pont de cette histoire, cette tradition de racisme français ?
OT : Celui que je voulais vraiment mettre en avant c’est Montesquieu, qui est le type même de la mystification. On ne lit pas ce qu’il a écrit, on prétend donner à des fragments de phrases ou d’idées un sens contraire à celui contenu dans ses écrits. Montesquieu était un Machiavel français en politique, ce n’est pas un tenant de la vertu. En faire un droit-de-l’hommiste comme on dit aujourd’hui, c’est se tromper totalement, telle n’était pas sa préoccupation. Il a été extrêmement utilisé à l’école, médiatisé. Je voulais ensuite mettre à la lumière du jour des choses qui ont été passées sous silence, le père Labat est très peu connu pourtant il a produit de nombreux ouvrages et a été très lu. C’était une source importante pour tout le XIXe siècle. Mon travail tend aussi à démystifier, ainsi que Césaire l’a si bien fait dans « Toussaint-Louverture, la révolution française et le problème colonial », tous les amis des Noirs qui n’étaient pas favorables à leur émancipation immédiate. C’est du paternalisme, ce sont des faux-amis. A partir de 1935-1940, il n’y a plus eu que des faux amis pour l’Afrique et les Noirs, Leiris en était un. Les affirmations de Finkielkraut sur l’assistanat des Antillais sont du même acabit.
La difficulté de parler du racisme ne provient-elle pas du fait que beaucoup de figures emblématiques françaises tombent sous le coup du racisme ?
OT. : Peut-être, Il y aura une désacralisation à faire. Mais il faut se fier aux textes, à la réalité. Attaquer le racisme du beauf de service c’est confortable mais voir la genèse de l’attitude raciste dans l’élite intellectuelle c’est autre chose. Il y a eu aussi beaucoup de lâcheté de la part des élites française vis-à-vis du racisme, il n’y a pas eu de Herskovits en France, quelqu’un qui s’est engagé à fond dans la destruction des préjugés. On n’a pas eu de telles figures d’intellectuels, au contraire on a le crypto-racisme de gens « bien comme il faut » maintenant en France.
Les grands intellectuels ont contribué à la culture française, il est donc difficile de les désacraliser
OT. : C’est vrai et on me reproche mon indulgence par rapport à Sartre, mais c’est la toute petite exception qui a très vite eu la parole juste, qui a préfacé Fanon, Lumumba, qui a écrit dans la revue Présence Africaine. Mais il a évolué, il a commencé par adopter la même position que Senghor sur l’art noir, ensuite il a vu que politiquement il y avait un autre discours à tenir. A l’arrivée ça n’a pas été un de ses grands combats. Ponctuellement il a quand même eu des paroles assez justes. Quelques intellectuels se sont aussi engagés, c’est une toute petite minorité. Des gens que j’admire beaucoup comme Deleuze ne se sont jamais engagé dans les questions néocoloniales. La France est très franco-centriste, en dehors d’elle rien n’existe, mais elle ne se rend pas compte qu’elle n’est pas franco-française puisqu’elle prétend diriger l’Afrique. Il faut bien regarder un plus loin que Paris.
Il y a 20 ans des gens comme Georges Frêche n’auraient pas pu dire les énormités que l’on sait …
OT. : Premièrement la proportion de Noirs en France a augmenté, ceux qui étaient admis après la guerre étaient peu nombreux. Maintenant qu’il y a une vraie composante migratoire en France les choses ne sont plus pareilles. Les Antillais ont été massivement transplanté en France et on vite senti ce problème dont plusieurs de leurs auteurs ont parlé. Je me rappelle d’une anecdote parmi une quantité, qui date des années 78-80 où à la préfecture de Police on a voulu dissoudre une association antillaise parce que à ce moment là les étrangers n’avaient pas le droit de créer des associations. Une association antillaise était ainsi considérée comme une association étrangère, alors que c’était des citoyens français. Il y a cette ignorance crasse du fonctionnaire de base de la préfecture de police de Paris, mais il y a aujourd’hui Sarkozy qui dit de Condoleezza Rice qu’elle est étrangère aux Etats-Unis ! On se demande pourquoi se sent-il obligé d’en parler puisque ce n’est pas le sujet. A part un site Internet qui en a parlé, c’est passé inaperçu.
Est-ce que le racisme français est fondamentalement une question d’élite ou y a t-il selon vous une osmose entre le peuple et les élites ?
OT. : Je crois qu’il y a une imprégnation du peuple qui vient des élites. Il faut attaquer à la tête, à la racine.
On ne comprend pas la popularité des personnalités comme Zidane ou Noah qui ont des origines africaines
OT. : Ce sont des exceptions, ce sont des idoles du sport.
On dirait de cet ouvrage qu’il est à la fois réplique, argumentation, fourni de beaucoup de références diverses : journalistiques, philosophiques, littéraires,
OT : J’ai voulu le rendre facile, ce n’est pas un ouvrage savant, volontairement je n’ai pas mobilisé toute ma documentation sur ces questions. J’ai choisi des exemples très accessibles. La thèse est accessible, le discours va à l’essentiel.
Comment situer ce livre ?
OT : C’est effectivement une intervention pour rendre la dignité à une population diffamée, une pratique d’égalité citoyenne. Le but recherché est d’attaquer les discriminations, les processus insidieux qui empêchent l’égalité citoyenne de fonctionner, en cela c’est un ouvrage républicain. Un ouvrage pour les jeunes de la diaspora africaine, je crois, pour qu’ils retrouvent leur dignité, qu’ils évitent les dérives sectaires et de haine.
Peut-on être optimiste ?
OT. : Les jeunes générations de Français vivent avec leurs camarades de toutes origines. Les couples mixtes passent inaperçus aujourd’hui, il restera du racisme mais les jeunes générations fraternisent au-delà des couleurs et origines.
Pourquoi un travail sur le racisme contre les Noirs ?
OT. :Pour l’islamophobie le travail a déjà été fait. Mon histoire personnelle me pousse à parler du racisme frappant les Noirs. Sur l’Antisémitisme il n’y a pas de vide sur le sujet, le terrain est même très occupé alors que la Négrophobie est sous-dite, c’est ça le racisme fondamental en France. C’est ce racisme, le moins décrit, le moins analysé, le moins connu, le plus proscrit avec des interdits d’expression, on parle de dolorisme, ce racisme est lui-même stigmatisé par des quantités de mots, des pures machines de guerre verbales voulant empêcher de le dire.
Dans les statistiques sur le racisme en France les premiers rapports ne mentionnaient même pas le racisme frappant les Noirs…
OT. : Alors que c’est le premier racisme en France : les insultes dans les commissariats, les meurtres non élucidés, les autres discriminations visibles et non visibles. La négrophobie est le racisme le plus ancien et le plus solide dans l’idéologie. Pourtant le Noir est celui qui a été le plus assimilé au Français, il est en cela, souvent, le Français le plus pur, et il est le moins accepté, c’est du racisme. Culturellement Mongo Beti était dix fois plus français que Sarkozy, qui connaît peu d’auteurs français …
Source: Afrikara